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L’exil parisien des comédiens suisses

La Suissesse Adélie en pleine répétition de Fanfan la Tulipe à Paris. swissinfo.ch

Si de passage à Paris vous rencontrez de jeunes suisses, entre 18 et 25 ans, il y a de fortes chances pour qu'ils fassent... du théâtre. Etudier ou travailler sur une scène est la principale cause d'immigration des jeunes suisses romands dans leur pays voisin.

Bertrand voulait se changer les idées après son école de recrue. Maud a échoué pour la troisième fois au concours d’entrée de l’école de théâtre lausannoise. Gaël en a eu marre de ses études de mathématiques appliquées à Neuchâtel. Adélie était venue faire un stage d’été après sa Matu’. Le point commun entre ces jeunes romands? Ils ont tous quitté la Suisse pour ‘jouer’ à Paris.

«Je voulais faire comédien », se souvient Gaël, un grand gaillard aux cheveux roux, l’air débonnaire. «Au début, j’ai pensé à étudier à Bruxelles mais c’était compliqué, il y avait plein de paperasserie à remplir. Du coup, je me suis inscrit à Paris au Cours Florent, puis j’ai changé d’école, j’ai terminé mes études… Ça fait cinq ans que je vis ici».

Personne ne sait exactement combien ils sont, ces jeunes comédiens suisses qui étudient ou travaillent en France. Ni l’Ambassade suisse ni les écoles ne tiennent un décompte du nombre de comédiens en herbe dans la ville. Il faut dire que certains ne restent que quelques semaines – le temps d’un stage -, d’autres échappent aux statistiques en étant binationaux… Mais dans presque toutes les écoles de théâtre parisiennes, on rencontre des citoyens helvétiques.

Une part de destin

Evidemment Paris fait rêver: la ville de Molière et de la Comédie Française présente chaque soir plusieurs centaines de pièces. Et parfois la chance sourit aux audacieux venus de l’autre côté du Jura – on pense à Vincent Perez ou à Jean-Luc Bideau.

Pourtant, dans l’univers théâtral parisien, la plupart des jeunes suisses sont arrivés là un peu par hasard. «Quand on m’a fermé la porte de la Manufacture[la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande], j’étais perdue. Un ami m’a conseillé de tenter l’ESAD [Ecole Supérieure d’Art Dramatique de la Ville de Paris]. Je n’avais plus rien à perdre, j’y suis allée et ça a marché! », raconte Maud, une genevoise de 25 ans, longue chevelure brune et grand sourire.

Adélie, elle, ne pensait pas être acceptée au Cours Florent à la fin de son stage, à tout juste 19 ans: «J’avais déjà prévu de faire une année sabbatique. Le stage, c’était dans l’idée de peut-être, un jour, suivre ces cours… Du coup, ça a été chaud de trouver un appartement et déménager de Nyon [canton de Vaud] à Paris en trois semaines!»

Depuis un an, elle habite donc dans un petit studio au pied de la butte Montmartre et rejoint ses 22 camarades tous les matins – beaucoup de français, une suisse allemande et trois belges. Ce matin, c’est cours de cinéma: «Ah bon! je ne pensais pas que t’étais suisse», s’exclame Emeric, son prof depuis quelques semaines, «tu n’as pas d’accent à la Godard… dommage! ». Rectification des élèves: «Oh, si, elle a un accent… mais seulement quand elle s’énerve!»

Chassez le naturel, il revient au galop

Sur scène, rien ne semble distinguer Adélie, Maud, Gaël ou Bertrand des acteurs français. C’est donc en dehors qu’il faut chercher les différences… «Mes amis m’appellent la ‘Suissette’, très organisée, consciencieuse, toujours à l’heure avec ma Swatch», raconte Maud. Avant d’analyser: «Même dans mon jeu, j’ai un côté ordonné, que j’ai du mal à casser. Mes limites de jeu sont peut-être là.»

Même son de cloche chez les professionnels. Philippe Morier-Genoud, acteur franco-suisse et membre du jury au Conservatoire de Paris observe qu’«on sent qu’ils ont quelque chose de différent: une tonalité, une couleur. Il y a une qualité du travail et un certain académisme aussi…»

Ces traits peuvent être des avantages sur le marché du travail: «Etre suisse, c’est un gage de sérieux. Moi, j’arrive à l’heure, contrairement à la majorité des comédiens, je sais mon texte, je l’ai un peu travaillé», témoigne Gaël. Autre avantage par rapport aux français: les Helvètes sont plus doués en langues. En étant bilingues ou trilingues, ils ont accès à plus de rôles. Mais la situation est loin d’être facile. Dans la Ville Lumière, on trouve des centaines de cours privés de théâtre, des milliers de comédiens à la recherche d’un rôle…

La galère des comédiens, Gaël peut en parler. Sorti d’école il y a trois ans, il a déjà joué au Festival d’Avignon pendant deux mois non-stop sans rien toucher. Et lorsqu’il monte des pièces à Paris avec des amis, il faut d’abord rembourser la salle avant de se payer. Impossible de se passer de petits boulots à côté. Et encore, cela ne suffit pas: «Les mois où je n’arrive pas à payer mon loyer, mon père m’envoie 500 euros. Dans l’année, je dirais qu’il me donne 2500 euros. J’ai de la chance que mes parents puissent m’aider».

Monter à Paris

Malgré ces difficultés, ‘monter à Paris’ fait partie du passage quasi obligatoire du comédien francophone. Cédric Djedje, un parisien qui a intégré la Manufacture à Lausanne, est même étonné de la renommée des cours parisiens. Dans sa classe, presque tous les Suisses ont passé quelques mois ou quelques années à Paris. La célébrité de la capitale française dépasse même l’univers des planches: «Je me suis fait contrôler par des flics lausannois. Je leur ai dit que j’étais apprenti comédien. Ils n’ont pas compris: ils m’ont demandé pourquoi un parisien viendrait en Suisse alors qu’il a les Cours Florent chez lui! »

En tout cas, pour la majorité de ces jeunes helvètes, ce séjour à Paris n’est qu’une étape dans leur vie. Leur rêve: pouvoir travailler un peu en France, un peu en Suisse, en allers-retours. «C’est fatigant, Paris, ça ne s’arrête jamais. Il ne fait jamais nuit noire, il y a toujours un spectacle à voir, toujours du bruit dans la rue», explique Adélie. C’est le début des vacances. La jeune fille a déjà acheté son billet de train depuis longtemps. Elle n’attend qu’une seule chose: rentrer chez elle, voir sa famille, ses amis et le lac Léman.

swissinfo, Miyuki Droz Aramaki à Paris

Il existe une dizaine d’écoles publiques en France à accorder un diplôme de comédien. Dans la capitale, on trouve la plus connue, le Conservatoire de Paris. D’autres formations existent en Province, notamment à Strasbourg ou à Lyon.

Ces écoles équivalent à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande, surnommée La Manufacture, à Lausanne.
Des centaines de cours privés en Suisse ou en France, notamment les Cours Florent, préparent les élèves aux concours d’entrée de ces formations reconnues.

Ensuite, les comédiens peuvent chercher à rentrer dans une compagnie ou former une nouvelle troupe, ce qui arrive plus souvent en France qu’en Suisse.

En France, à l’exception de la Comédie Française, les théâtres n’ont pas de troupes fixes. A Paris, on compte quatre théâtres nationaux (la Comédie-Française, Chaillot, l’Odéon et La Colline). Plus d’une centaine de théâtres privés complètent cette offre avec des salles et des programmations très diverses.

Souvent, les tout petits théâtres présentent plusieurs pièces dans la même soirée, à la suite, sur la même scène. D’autres se spécialisent comme le théâtre de la Huchette, qui joue «la leçon» et la «Cantatrice chauve» d’Eugène Ionesco depuis plus de cinquante ans. On trouve également deux Opéras classiques et un Opéra-comique dans la ville.

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