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Une solution est proche pour les équipements tributaires de la fonte du pergélisol

des touristes en haut d'une montagne
Après avoir emprunté une télécabine et un téléphérique, des touristes admirent la vue au sommet de l'Eggishorn, près du glacier d'Aletsch, en Suisse. Keystone / Dominic Steinmann

Le dégel du pergélisol modifie reliefs et paysages, avec tous les risques que cela comporte pour les chemins de fer, routes, téléphériques et autres bâtiments. En Suisse, une solution née de la recherche scientifique est en développement. Elle doit permettre de stabiliser les infrastructures de haute montagne menacées par le changement climatique. Explications.

«C’est un vrai sujet d’actualité», observe Elizaveta Sharaborova, chercheuse doctorante à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Le projet sur lequel travaille Elizaveta Sharaborova se nomme «SolarFrostLien externe». Il s’agit de développer un système de «stabilisation thermique» pour prévenir ou retarder le dégel du pergélisol au moyen de tuyaux de refroidissement en sous-sol. L’objectif est de protéger les infrastructures – refuges de montagne, remontées mécaniques ou lignes de chemin de fer – implantés sur sol instable.

Elizaveta Sharaborova
Elizaveta Sharaborova devant son projet «SolarFrost». Swissinfo

«J’ai parlé à des gens de différents pays, en Allemagne, en Autriche et en Suisse, sachant qu’ils rencontrent tous des problèmes avec les infrastructures de montagne», explique-t-elle.

Des Alpes à l’Arctique, le pergélisolLien externe – cette mixture gelée en permanence composée de sol, de roches, de glace et de matériau organique – se réchauffeLien externe. Une étude publiée en décembre montre qu’en régions européennes de montagne, les températures du pergélisol progressent en altitude et en vitesse comme jamais. Jusqu’à plus d’un degré Celsius par décennieLien externe en certains endroits. D’où instabilité des pentes et éboulements plus fréquents. Une situation qui fait peser un risque existentiel sur tout ce qui est construit sur la couche de roche gelée aux altitudes supérieures à 2600 mètres.

Durant la préparation de son diplôme d’ingénieur en mécanique, Elizaveta Sharaborova a travaillé en Sibérie sur un projet d’alimentation des chemins de fer en énergie solaire. C’est là qu’elle a compris comment s’y prendre pour préserver le pergélisol.

«Dans certaines parties de Sibérie, il est difficile d’installer des infrastructures du fait d’un sol peu stable, explique-t-elle à Swissinfo. En réfléchissant à la manière d’utiliser les énergies renouvelables pour stabiliser le pergélisol, nous avons projeté un système impliquant une pompe à chaleur alimentée par des panneaux solaires. C’est ainsi que tout a commencé.»

De la Sibérie jusqu’à Sion

Elizaveta Sharaborova s’est établie en Suisse en 2022 pour étudier plus en profondeur la stabilisation thermique, à même le pergélisol de montagne cette fois-ci, au Laboratoire des sciences cryosphériques (CRYOS) de l’EPFL à Sion, au cœur des Alpes suisses.

«Cela peut paraître un peu godiche, mais mon souhait est juste de participer à un projet qui aide l’environnement. Je pense que mon travail montrera son utilité un jour ou l’autre», confie-t-elle.

Diverses techniques de stabilisation thermique, passives comme actives, sont déjà employées dans les régions à pergélisol du Canada, de Russie et d’Alaska, où le dégel menace routes et bâtiments tout en modifiant le paysage.

Ces approches incluent l’isolation et les remblais de gravier pour minimiser le transfert de chaleur. Mais aussi les conduits de ventilation ou les thermosiphons, autant de systèmes simples, utilisés depuis plus d’un demi-siècle pour préserver le pergélisol et la stabilité des pentes en de nombreux points de la planète, et qui visent à transférer passivement la chaleur du sol à l’air par convection naturelle.

Mais appliquer ce types de systèmes au pergélisol en région de montagne, les Alpes ou ailleurs, est une autre paire de manche. D’autant qu’ils perdent en efficacité à mesure que la planète se réchauffe et, utilisés en combinaison avec les appareils de refroidissement, s’avèrent coûteux et très gourmands en énergie.

La chercheuse de l’EPFL ambitionne de résoudre ces questions au moyen de son «SolarFrostLien externe», un système expérimental de stabilisation thermique qu’elle développe et teste donc à Sion en Valais et à Samedan dans les Grisons.

Ingénieur en géotechnique et pergélisol pour la société canadienne BGC Engineering, Lukas Arenson confirme la nécessité de ce type de projets.

«À mesure que le changement climatique progresse, il devient toujours plus nécessaire de gérer activement les températures du sol pour maintenir le pergélisol gelé et assurer la stabilité de diverses infrastructures dans les Alpes. Le dégel du pergélisol peut entraîner des mouvements du sol et, dans certains cas même, des défaillances structurelles catastrophiques.»

Une fissure dans la structure d'une remontée mécanique dans les Alpes suisses, causée par le dégel du pergélisol.
Une fissure dans la structure d’une remontée mécanique dans les Alpes suisses, causée par le dégel du pergélisol. SRF

Si le climat des Alpes diffère de celui de l’Arctique, note Lukas Arenson, la physique reste la même, tout comme les principes d’ingénierie.

Création d’une couche de congélation

Elizaveta Sharaborova et ses collègues ont fabriqué un prototype alimenté à l’énergie solaire qui mime les conditions du réel. Une boîte en bois d’un mètre de haut, isolée thermiquement, est emplie de matériau de sol pour simuler le pergélisol. À l’intérieur, des tuyaux gorgés d’un liquide de refroidissement sont enfouis à dix centimètres sous la surface.

Ces boyaux sont connectés à une pompe à chaleur, dispositif qui fait circuler le fluide réfrigérant pour absorber la chaleur du sol et la transférer à la pompe. Ce faisant, le système reconstitue une couche gelée qui doit théoriquement protéger le pergélisol situé en dessous.

Le prototype est entièrement alimenté par des panneaux solaires, lesquels freinent le vent et protègent le sol du rayonnement solaire et des précipitations, ce qui renforce encore l’effet de refroidissement.

L’unité expérimentale contient divers instruments de mesure de la température, de l’humidité et du flux de chaleur du sol. L’intensité du refroidissement est ajustable au moyen d’un compresseur, piloté comme un chauffage au sol moderne.

Les premiers résultats sont prometteurs. Ce système relativement bon marché produit une couche de gel qui empêche la chaleur de pénétrer dans le sol. Ce qui, en milieu naturel, protège les couches profondes du pergélisol en été. Les panneaux solaires devraient pour leur part accroître l’effet de refroidissement naturel en hiver.

Autre bénéfice de cette approche, la chaleur extraite par le système ou l’électricité solaire excédentaire peut être réutilisée à proximité, pour chauffer ou alimenter un bâtiment ou une infrastructure de montagne, par exemple.

Les recherches à vocation pratique d’Elizaveta Sharaborova s’appuient sur les résultats d’une précédente étude qui pointe les avantages d’une combinaison entre mesures de stabilisation passives et actives pour les sites alpins menacés par le dégel du pergélisol.

Un besoin croissant de solutions techniques

Mais développer des solutions techniques pour les infrastructures de refroidissement apparait tout aussi crucial que complexe.

«Les températures du pergélisol augmentent, l’épaisseur de la couche active aussi et la glace de sol fond. Ces processus sont susceptibles d’entraîner l’affaissement et la déformation des infrastructures de montagne. Les prévenir peut donc permettre de prolonger leur durée de vie et maintenir leur stabilité», explique Marcia Phillips, chercheuse et cheffe de groupe à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL).

La grande difficulté touche surtout à l’implantation de ces technologies en terrain de haute montagne et à l’exigence d’une surveillance rapprochée en cours d’utilisation.

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Mais le concept du projet SolarFrost est solide, assure le Canadien Lukas Arenson, lequel a étudiéLien externe les méthodes pratiques de construction sur pergélisol en compagnie de Marcia Phillips.

«L’idée d’extraire la chaleur du sol – en hiver comme en été – est bien établie dans l’ingénierie du pergélisol. Elle est appliquée avec succès dans les régions froides partout dans le monde depuis des décennies. Ce qui est original avec ce système, c’est l’utilisation d’une pompe à chaleur alimentée à l’énergie solaire, indique-t-il. Je serais particulièrement intéressé de connaître l’efficacité comparative du système SolarFrost face aux thermosiphons en activité. Je parle de la quantité de chaleur qu’il peut extraire du pergélisol en regard de l’énergie consommée.»

Essais en haute montagne

Pour Elizaveta Sharaborova, la prochaine étape consistera à développer une version de plus grande dimension, évolutive et durable du système, qui serait opérationnelle plusieurs années, afin d’analyser son fonctionnement en conditions de haute altitude.

Les applications précises de cette technologie restent à définir. Du fait de la pose des tuyaux, la déployer sur les vastes et instables versants alpins couverts de pergélisol serait un vrai défi, admet la chercheuse. En revanche, elle pourrait servir pour les téléphériques ou les chemins de fer de montagne. Face à la fonte du pergélisol, une solution similaire est du reste testée actuellement sur le télésiège Bus Tofana du domaine skiable de Cortina D’AmpezzoLien externe, dans le nord de l’Italie.

La chercheuse de l’EPFL a déjà pris langue avec certains des acteurs suisses des régions de montagne. Pour renforcer tel bâtiment ou cabane de montagne par exemple, l’intégration d’un système de stabilisation thermique en sous-sol est envisageable. L’idée: fabriquer un congélateur souterrain au moyen de tuyaux de refroidissement fixés aux murs. Une solution évitant la problématique de l’installation de tuyaux dans le sol dans des secteurs inaccessibles, indique la chercheuse.

«En territoires nordiques comme la Russie ou la Norvège, l’installation de ce genre de systèmes est relativement aisée, explique Elizaveta Sharaborova. Mais en région de montagne, le processus est bien plus complexe. Il s’agit d’optimiser et intégrer le tout. Introduire cette technologie en haute montagne représente un grand pas en avant.»

Texte relu et vérifié par Gabe Bullard/vdv. Traduit de l’anglais par Pierre-François Besson/rem

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