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A Genève comme ailleurs, l’aide sociale explose

Derrière les luxueuses façades de la rade genevoise, la réalité des rues est autre. picswiss.ch

Chômage, crise, dettes, conflits familiaux, la Suisse compte de plus en plus de pauvres et les services sociaux sont débordés, notamment par les jeunes.

A Genève, l’Hospice général enregistré une augmentation des demandes d’aide sociale de près de 20% en 2004 avec des cas de plus en plus compliqués.

«Comme les cas sociaux augmentent en nombre et en complexité, il y a de moins en moins de réponses simples et nos coûts explosent.» Alain Kolly, directeur de l’action sociale à l’Hospice général de Genève, confirme un phénomène général.

En 2003, 300’000 personnes ont bénéficié de l’assistance publique en Suisse. Et l’on sait que près de la moitié des «working poors» (estimés à 231’000 en 2003) ne demandent pas l’aide que l’Etat a l’obligation de leur accorder.

«Toutes les études montrent que près de la moitié des gens qui répondent aux critères de l’assistance publique ne demandent pas d’aide», indique Caroline Regamey, du Centre social protestant.

Pourquoi? La sociologue vaudoise invoque l’ignorance, les préjugés (notamment dans les villages où «tout se sait») et le fait de devoir, comme c’est parfois le cas, rembourser les prestations une fois sorti de l’impasse.

Le «dernier filet»

«L’action sociale est le dernier filet du système d’assurances sociales», précise Alain Kolly. Fédéralisme oblige, ce droit constitutionnel est appliqué par les 26 cantons qui, à leur tour, mandatent les communes.

Le canton de Genève, lui, a mandaté l’Hospice général, institution héritière de plus de 400 ans de tradition caritative calviniste.

Son travail consiste à une aide financière (rente, aide au loyer, aux frais dentaires, etc…) et une écoute visant à réinsérer les usagers dans la vie.

Le travail social se complique…

Les services genevois sont débordés. «Nous avons parfois chacun plus de 80 dossiers à traiter. C’est impossible de faire notre travail d’écoute et nous devenons de simples distributeurs d’argent», confie cet assistant social éreinté.

Situations et règlements de plus en plus lourds, surmenage, manque de coordination, de communication. Et il y a les abus aussi. En 2003, l’inspection financière a estimé que 260’000 francs avaient été versés à tort.

En outre, les risques augmentent. Des incidents violents éclatent ici et là, avec des usagers agressifs qui s’en prennent au personnel. Récemment à Fribourg, un père désespéré a enlevé son fils de 2 ans dans les bureaux de l’aide sociale et l’a poignardé.

…car les vies se compliquent

Alain Kolly le reconnaît: «Il y a des tensions de plus en plus fortes dans la société, en relation avec les saisons, la situation économique.»

Autre souci de préoccupation, les jeunes sont touchés. A Genève en 2003, 55% des bénéficiaires de l’assistance publique avaient moins de 30 ans.

C’est nouveau et cela complique d’autant le travail. Il faut mobiliser plusieurs spécialistes pour compléter la formation, soigner les malades, les alcooliques ou les drogués, arbitrer d’éventuels conflits familiaux et leur permettre une réinsertion socio-professionnelle.

«Il peut y avoir une telle accumulation de problèmes qu’il n’y a plus de réponse simple et le chèque de subsistance n’est qu’une toute petite partie de la réponse», explique Alain Kolly.

Limiter les coûts à tout prix



«L’assistance s’applique quels que soient les motifs du besoin sur la base de la preuve de l’indigence», précise Ueli Tecklenburg, secrétaire général de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), sorte d’organe central qui fixe les barèmes (facultatifs) de l’aide sociale.

Mais cela va changer. Le tiers des communes se plaignent de l’explosion des coûts et, au sein de la CSIAS, les cantons viennent de se mettre d’accord pour fixer de nouvelles normes.

Des normes que certains aimeraient voir figurer dans une loi fédérale afin d’éviter le «tourisme social» vers les cantons les plus généreux. Les cantons qui restent compétents dans ce domaine.

Ainsi, une nouvelle franchise sur le revenu permettra aux assistés qui travaillent de toucher entre 100 et 400 francs de plus que ceux qui ne travaillent pas, précise Ueli Tecklenburg.

Dans le même temps, le forfait unique d’entretien passe de 1030 fr. par mois à 960. Un «minimum vital absolu» à 800 fr. est introduit pour sanctionner les abus.

Dangers d’une aide au mérite

Ces nouvelles normes liant prestation et comportement ne sont pas du goût des gens de terrain. Caroline Regamey dénonce «ce qui pourrait déboucher sur une aide au mérite très dommageable».

«Il est presque utopique de vouloir réinsérer tout le monde dans un marché du travail saturé et marqué par des taux de chômage élevés. Pour cela, poursuit la sociologue, il faudrait investir dans la formation, notamment de tous les jeunes qui restent en rade de la société.»

Mais, là comme ailleurs, l’argent manque et rien n’est fait, conclut Caroline Regamey.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

En 2003, 300’000 personnes ont bénéficié de l’assistance publique en Suisse.
En 2003, on a dénombré 231’000 «working poors», soit 7,4% des actifs.
L’aide sociale atteint 2 à 3% du budget total des assurances sociales.

– En 2003, Genève a dépensé 84 millions pour l’assistance publique.

– Le nombre de bénéficiaires augmente de 14% par année depuis 14 ans.

– En 2003, ils étaient 12’995, 23% de plus qu’en 2002. A fin octobre 2004, ils étaient 13’786.

– En 2003, 26% des usagers de l’aide sociale avaient moins de 30 ans: 23% entre 30 et 39 et 25% entre 40 et 49.

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