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Nouvelle flambée de monnaies locales en Suisse romande

Un billet de monnaie locale Léman, rouge avec un petit dessin
Keystone / Salvatore Di Nolfi

Trois nouvelles monnaies locales devraient apparaître d’ici la fin de l’année en Suisse romande. Phénomène très tendance, l’introduction de cet argent en circuit fermé répond à des impératifs économiques et sociétaux.

La Ville de La Chaux-de-Fonds, deux associations fribourgeoises, ainsi qu’un politicien du Jura bernois jouent aux apprentis sorciers et aux imitateurs en lançant coup sur coup le même projet: une monnaie locale pour favoriser le commerce de proximité. D’après leurs calculs, la mise en circulation d’une telle monnaie éviterait que l’argent qui circule dans leurs zones géographiques respectives ne s’échappe systématiquement vers des contrées extérieures.

En gros, il faut freiner la fuite de l’argent liquide en donnant une impulsion au commerce local, lequel se meurt dans des régions dites périphériques. C’est le credo des promoteurs de la monnaie dite complémentaire. Un système déjà expérimenté avec des fortunes diverses sur l’arc lémanique (LémanLien externe), en Valais (FarinetLien externe), dans le Gros-de-Vaud (EpiLien externe) ou dans le Val-de-Travers (NE, ValLien externe).

Salaires versés en Léman

Cette nouvelle circulation intra-muros de l’argent compte-t-elle assez d’adeptes pour la rendre efficace, à défaut d’être rentable car dépourvue d’intérêts? Les commerçants et les consommateurs, principaux concernés, jouent-ils réellement le jeu? «Rien qu’à Genève et sur l’arc lémanique, entre 8000 et 10’000 personnes ainsi que 550 entreprises fonctionnent avec le Léman», assure Jean Rossiaud, un de ses principaux instigateurs.

Un panneau sur la porte d un commerce
À Genève et sur l’arc lémanique, 550 entreprises fonctionnent avec le Léman. © Keystone / Martial Trezzini

«Des salaires sont même versés aujourd’hui en Léman. Certes, les salariés se limitent à 1 ou 2 % de leur salaire. Mais c’est un début», constate-t-il. La monnaie locale vient en outre de connaître une première mue. Voici quelques semaines, de nouvelles coupures de 1, 5, 10 ou 20 Lémans ont été imprimées, dans le but d’assurer surtout leur sécurité, trois ans après la première mise en circulation des billets. La masse en circulation est aujourd’hui de 160’000 Lémans.

«Nous sommes tous bénévoles. Notre capacité opérationnelle demeure donc restreinte», concède Jean Rossiaud. Ceci ne l’empêche pas de continuer de prospecter. «Les communes de Plan-les-Ouates et d’Onex, après Carouge et Grand-Saconnex, viennent récemment de nous rejoindre. Nous introduirons le Léman cet été à Vevey et le Théâtre de Poche de Genève vient lui aussi de suivre notre mouvement». Le Léman se répand aussi en France voisine. A Genève, les promoteurs de cette monnaie continuent avec acharnement de croire à ce système parallèle né en réponse à la crise financière de 2007-2008.

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Mouvement citoyen

«Le but de cette monnaie locale est de créer du lien entre utilisateurs et de raccourcir les circuits de production et de vente», reste persuadé Hervé Gullotti, chancelier de la commune de Tramelan et député au Grand Conseil bernois. Et à ce titre auteur d’un récent postulatLien externe en faveur d’un projet-pilote de monnaie locale dans le Jura bernois. Un ballon d’essai qui n’a pas encore convaincu les autorités bernoises. Mais Hervé Gullotti entend surfer sur la vague et «profiter du mouvement citoyen en Europe pour s’intéresser à ce projet». Une réappropriation des circuits de l’argent par ses utilisateurs. Et gage de confiance, ils pourront eux-mêmes baptiser leur monnaie. «Il faudra user de diplomatie pour qu’ils se reconnaissent dans un nom», admet-il.

Des billets Farinet
Des exemplaires du Farinet en circulation en Valais central. © Keystone / Jean-christophe Bott

Le politicien bernois est toutefois un peu isolé dans sa quête d’un autre système de commerce basé sur de la «monnaie fondante», c’est-à-dire une monnaie qui perd de sa valeur avec le temps car non sujette à la spéculation.

Pour l’heure, seule une association de La Neuveville, au bord du lac de Bienne, semble vouloir se joindre à son projet. Le gouvernement cantonal regrette que cette monnaie «ne puisse généralement pas être échangée contre le moyen de paiement officiel », le franc. Une voie de garage et un système qui pourrait tourner en rond si le nombre de participants ne grossit pas. Ou pire régresse.

Levier et déclic

«Ce système fonctionne cahin-caha. Tout dépend de la volonté des utilisateurs. On voit pourtant émerger en vrac des petits magasins autogérés. Mon projet-pilote dans le Jura bernois s’inscrit dans cette veine», explique le Tramelot Hervé Gullotti. L’introduction d’une nouvelle monnaie dans sa région donnerait-elle des idées à des entrepreneurs en herbe et servirait-elle de déclic pour ouvrir des épiceries indépendantes, des commerces alternatifs, des ateliers de réparations ? L’idée fait en tout cas son chemin.

Le canton de Berne n’est pas frontalement opposé à cet autre monde économique possible, estimant qu’une monnaie locale dans le Jura bernois pourrait garantir des emplois. Voir en créer et servir de levier à des initiatives citoyennes. Mais les chiffres qui appuieraient cette analyse font encore défaut.

Carte rechargeable

La Ville de La Chaux-de-Fonds lancera pour sa part sa monnaie locale en novembre sous forme de carte rechargeableLien externe, type carte-cadeau, créditée en francs. Quelque 80 commerces, établissements publics et sites de loisirs (piscines, cinémas) ont déjà répondu favorablement aux autorités, toujours engluées dans des déficits budgétaires chroniques. La Ville injectera 100’000 francs par an dans le système et offrira avec cette somme les primes et étrennes aux employés municipaux. Un premier fond de roulement pour lancer l’opération. À la fin de chaque mois, les commerçants qui participeront au projet recevront une liste des achats effectués chez eux au moyen des cartes. La ville leur versera ensuite les sommes dues en garantissant la confidentialité.

«L’important sera d’injecter chaque année des sommes suffisantes», explique Yann Dubois, chargé de ce projet au sein de l’administration communale.

L’économie privée a déjà promis d’y contribuer à hauteur de 120’000 francs. «Des entreprises horlogères ou actives dans la construction. Des grandes et des plus petites. Des commerces offriront aussi des primes ou cadeaux au moyen de ces cartes à leurs personnels ou à leurs clients. Mais à terme, l’objectif est d’avoir le panel d’utilisateurs le plus large possible», avance-t-il.

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Dragons fribourgeois

En ville de Fribourg, le très symboliques Dragon (ou Drache en allemand) est annoncé lui aussi pour la fin de l’année, afin de fouetter l’économie locale juste avant Noël. En octobre dernier, 850 personnes ont approuvé l’introduction de cette monnaie parallèle. Les buts de «Monnaie locale Fribourg» (MLCLien externe), l’association qui gère le projet, en appellent littéralement à un changement de paradigme grâce à cette nouvelle forme de paiement: «promouvoir des initiatives qui favorisent une économie socialement et environnementalement responsable, sensibiliser la population aux enjeux monétaires». Des objectifs politiquement orientés plutôt à gauche.

Comme à La Chaux-de-Fonds, les pendulaires sont nombreux à Fribourg et dépensent peu sur place. Et à l’instar de la Métropole horlogère neuchâteloise, Fribourg regorge de magasins à louer. Autre ennemi à combattre pour les tenants des monnaies locales: les ventes sur Internet, en hausse constante. À Fribourg, des billets frappés de l’emblème du Dragon pourraient être disponibles dans un guichet, quand bien même les initiants planchent déjà sur un système de monnaie électronique (cryptomonnaie).

En Gruyère enfin, une xième nouvelle monnaie – La GrueLien externe – pointe également le bout de son nez. «La Grue: une monnaie, deux langues, trois régions». Le slogan claque sur le site Internet des promoteurs de cette monnaie locale dont la zone de couverture devrait englober l’ancien comté de Gruyère (Saanenland, Pays d’en-Haut, Gruyère). Une recherche de fonds a été lancée au début du mois de mai. Près d’une quarantaine de prestataires seraient déjà prêts à adopter La Grue. Si la Suisse alémanique n’a pas cédé à cette mode à l’exception des NetzBonLien externe créés à Bâle au début des années 2000, le Tessin pourrait bientôt, lui, introduire à son tour le TicinocoinLien externe.

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