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Les chemins de traverse de la militante Cécile Duflot

Cécile Duflot
Alors Ministre du logement et de l'égalité des territoires dans le gouvernement Jean-Marc Ayrault, Cécile Duflot sortant de l’Elysée en septembre 2012. «Ce qui m’intéresse, c’est d’être utile dans la fonction que j’occupe. Le risque, c’est de s’étioler et de devenir une vieille femme politique frustrée», dit aujourd’hui l’ancienne élue écologiste. Keystone / Francois Mori

Invitée à une causerie par le Musée national de Zurich début février, l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot évoquera le combat pour le climat et la justice sociale qu’elle poursuit aujourd’hui comme directrice générale d’Oxfam France, après avoir lâché la politique à 43 ans.

Billets gratuits pour rencontrer Cécile Duflot

Si vous souhaitez mieux connaître Cécile Duflot, elle sera le 4 février au Musée nationalLien externe à Zürich pour la première des conférencesLien externe en langue française agendées dans cette institution pour 2020. En tant que partenaire média des conférences du mardi du Musée national, swissinfo.ch offre à ses lecteurs un nombre limité de places gratuites. Elles seront attribuées selon le principe du premier venu, premier servi. Il n’y aura ni tirage au sort ni questionnaire à remplir: envoyez simplement un courriel à thomas.waldmeier@swissinfo.ch avec votre nom complet et vos informations de contact.

Elle ne fait rien comme les autres, Cécile Duflot. Après avoir été secrétaire nationale des Verts dès 2006, parlementaire, puis ministre durant la présidence du socialiste François Hollande, elle met fin à sa carrière politique au printemps 2018.

Elle prend alors la direction d’Oxfam FranceLien externe, une des grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales, au même titre que Greenpeace ou Amnesty International, qui lutte depuis sa fondation à Oxford en 1942Lien externe contre la pauvreté et les injustices. Ce n’est là qu’une des particularités de cette énergique fille de Français moyens, mais engagés. Entretien.

swissinfo.ch: Que gardez-vous de vos jeunes années?

Cécile Duflot: J’ai été élevée dans un univers catholique. J’ai donc participé au mouvement d’enfance, puis de jeunesse catholique (la Jeunesse ouvrière chrétienneLien externe). Ça m’a beaucoup structuré en termes de valeurs, à un moment où, en France, l’Église catholique était assez ouverte. Et le mouvement de jeunesse dans lequel je me trouvais ne comptait pas que des chrétiens, bien au contraire. C’était un espace de grande ouverture d’esprit et d’interrogations très engagé sur les questions de solidarité.

Cette expérience a servi de matrice pour la personne que je suis. C’est la colonne vertébrale de mes convictions qui n’ont pas changé depuis.  

Née en 1975 à Villeneuve-Saint-Georges, Cécile Duflot est fille d’un cheminot et d’une professeure de physique-chimie. Parallèlement à ses études, en économie urbaine notamment, Cécile Duflot est écrivain public à la prison de la Santé. 

Membre des Verts depuis 2001, elle est nommée conseillère municipale à Villeneuve-Saint-Georges en 2004. Elle est élue secrétaire nationale des Verts en novembre 2006. En 2011, elle est élue conseillère régionale et présidente du groupe Europe Écologie les Verts. 

Cécile Duflot devient ministre du Logement et de l’Égalité des territoires sous le gouvernement Jean-Marc Ayrault, le 16 mai 2012. Elle est à l’origine de nombreux projets de loi tels que la loi ALUR ou la loi ROBIEN. Ses fonctions de ministre prennent fin le 31 mars 2014.

Parallèlement, mon milieu familial était particulier, puisque ma mère était déjà écologiste convaincue quand j’étais enfant, alors que mon père ne l’était pas. Ce qui m’a permis de forger ma propre opinion en réalisant que ma mère avait raison.

Une grande partie de ce que je suis devenue est donc née assez tôt et continue de me structurer. Que ce soit la justice sociale via les Évangiles ainsi que les questions écologiques et climatiques.

Mon premier engagement militant a été de rejoindre une association d’étudiants donnant des cours dans les prisons [GenepiLien externe]. J’y suis restée 4 ans, comme responsable d’un groupe intervenant à la prison de la Santé. J’ai ensuite fait des études de géographie, puis de commerce. Ce qui a aussi influencé mon engagement. Mes convictions se sont forgées à rebours de ce qui m’était enseigné.

Vous n’avez donc pas fait Science-Po, ni milité chez les trotskistes. À côté de vos études, vous avez multiplié les petits boulots …

J’ai aussi eu trois enfants avant mes 25 ans. Un âge où beaucoup sont engagés dans une activité militante.

Votre parcours est donc plutôt atypique par rapport aux élites politiques de gauche en France, non?

En effet. Je viens d’une famille de la classe moyenne. J’ai toujours travaillé pendant mes études et choisi la filière apprentissage pour payer les frais importants de l’école de commerce que je suivais.

Je n’ai donc pas suivi le parcours classique qui destine à la politique en France. 

Alors pourquoi êtes-vous entrée en politique?

Ce qui m’a conduit vers l’engagement en politique, c’est vraiment la vie locale, le bon niveau pour commencer à faire bouger les lignes. Avec mes études en urbanisme, j’ai pensé pouvoir apporter quelque chose localement. Cela en participant aux élections municipales de la ville où j’habitais [Villeneuve-Saint-Georges, en Île-de-France].

Vous êtes ensuite rapidement passée du local au national, comme parlementaire, puis comme ministre du gouvernement, pour ensuite quitter la politique en 2018, alors que vous étiez encore jeune. Vous en aviez fait le tour?

Non, mais avant de m’engager à plein temps en politique (de 2010 à 2017), j’ai travaillé dans le privé. La politique, c’était une deuxième vie. Ce qui m’intéresse, c’est d’être utile dans la fonction que j’occupe. Le risque, c’est de s’étioler et de devenir une vieille femme politique frustrée. C’était hors de question. Comme j’avais perdu aux élections législatives de 2017, j’ai estimé que c’était le bon moment pour entamer une troisième vie. Cela sans aigreur. Je continue de penser que la politique est essentielle et je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Mais il m’a semblé important de faire autre chose et de poursuivre mes combats politiques d’une autre manière.   

Comment évaluez-vous le discrédit qui frappe le monde politique en France, mais aussi ailleurs dans le monde, que certains observateurs décrivent comme une crise de la représentation?

Comme on le voit tout particulièrement en France aujourd’hui, il y a bien une relative déconnexion entre une partie des élites politiques et une grande part de la population, ce qui provoque immanquablement des tensions.

Au-delà de la question de la représentativité, il faut aussi se demander quelles sont les priorités de l’action politique aujourd’hui. Pour ma part, je pense que l’articulation entre les inégalités sociales et le dérèglement climatique est une question centrale qui demande du courage politique et un changement de vision très nette par rapport aux années passées. Ce que je vois, c’est l’intérêt d’avoir un parcours qui ne soit pas uniquement nourri et occupé par la carrière politique.

Mais la sphère politique n’est-elle pas aussi affaiblie que les États dans laquelle elle se déploie face au monde économique et financier?

C’est en effet un vrai sujet que de savoir qui décide et comment. Dans le travail que je fais au sein d’Oxfam,  je trouve très intéressant de pouvoir mobiliser simultanément les citoyens dans de nombreux pays sur la base d’orientations similaires. Comme le montre le rapport sur les inégalités qu’Oxfam publie la veille de chaque Forum économique de Davos. Et d’agir ainsi sur des acteurs privés. En France, nous effectuons par exemple un travail très important avec les banques. Le patron d’une grande banque française m’a récemment contacté en disant qu’il avait lu nos rapports et que son entreprise souhaitait faire évoluer sa politique.

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Venir à Davos n’est donc pas une perte de temps pour Oxfam?

Comme le dit Oxfam international: «Il faut aller où se trouvent les gens qui causent le problème.» Cette présence permet au moins de faire puissamment passer notre message sur les inégalités dans le monde qui était d’ailleurs le thème principal du G7 à Biarritz, l’année dernière.

À Genève et en Suisse, on invoque depuis longtemps les vertus d’un partenariat public-privé pour résoudre les grands défis planétaires, à commencer par la lutte contre le réchauffement climatique. Comment évaluez-vous cette option?

Nous faisons face à des défis qui concernent absolument tout le monde. Personne ne peut y échapper. Il faut donc agir sur tous les fronts.  N’oublions pas que le coût du dérèglement climatique, par exemple pour le secteur des assurances, va être extrêmement important. Ces réalités sonnantes et trébuchantes poussent un certain nombre de décideurs du monde économique à bouger, sans compter la pression des clients, de la société civile, etc. Beaucoup d’éléments se conjuguent pour que le monde économique ouvre ses oreilles. 

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Avec la crise climatique et la pollution du milieu naturel, les partis écologistes ont un boulevard devant eux. Pourquoi sont-ils si faibles en France?

Je suis un peu embarrassée de commenter l’actualité politicienne en France, ayant fait le choix d’un autre engagement. D’autant qu’Oxfam prend des engagements politiques, sans entrer dans les débats partisans.  La seule analyse que je peux faire, c’est que la question écologique percute l’ensemble des débats et des partis politiques. C’est un facteur de changement de la politique traditionnelle. Les partis comme on les a connus au 20e siècle ne seront pas ceux du 21e. Et le rôle des ONG aujourd’hui, les liens directs que l’on peut tisser avec les entreprises, la façon de faire bouger la société autrement, c’est aussi jouer un rôle politique.

La société civile internationale est dominée par des ONG occidentales. N’est-ce pas aussi un problème en termes de représentativité?

C’est en effet une question très importante. Raison pour laquelle Oxfam international travaille depuis longtemps à organiser la «sudisation» de ses structures. Son siège social n’est plus à Oxford (GB),  mais à Nairobi (Kenya) depuis 3 ans. Le lien avec le Sud, l’existence de plateformes régionales, le soutien à la société civile de ces pays, tout comme nos modes d’intervention les concernant sont devenus prioritaires. Il y a encore beaucoup à faire. Mais c’est au cœur de notre réflexion d’ONG née dans le Nord.

Les ONG parlent beaucoup de coopération et de coordination. Mais en pratique, elles restent souvent en concurrence pour obtenir des fonds, ce qui parasite les coordinations sur le terrain.

C’est aussi un sujet important. Dans nos activités de plaidoyer, nous insistons d’ailleurs sur l’importance de l’aide public au développement et de son augmentation.

Mais n’est-il pas aussi urgent de questionner la conception même de cette aide au développement?  

Il y a en effet un devoir de redevabilité de cette aide publique au développement et de ses acteurs. Vise-t-elle les pays qui en ont le plus besoin? Est-elle indépendante du soutien et de la promotion économique des bailleurs de fonds en faveur de leurs entreprises? Nous sommes parfaitement conscients des limites et des risques de ces programmes publics. Mais il ne faudrait pas pour autant décrédibiliser le rôle de la solidarité internationale pour s’en dégager.  

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