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Cosey, l’écho d’une Œuvre

Cosey, créateur de l'une des Œuvres les plus personnelles du 9ème Art. swissinfo.ch

«Echo», c'est le titre d'un magnifique ouvrage que les éditions Daniel Maghen, à Paris, consacrent à Cosey, créateur notamment, de la série «Jonathan».

Rencontre avec l’artiste romand pour évoquer cette somme, ainsi que l’univers éminemment personnel qui est le sien.

Un café de Pully, près de Lausanne. Bernard Cosendai, alias Cosey, est souriant, détendu et manifestement heureux de ce magnifique cadeau que l’éditeur parisien Daniel Maghen vient de lui faire…

swissinfo: Comment est né ce superbe objet?

Cosey: Daniel Maghen m’a proposé de participer à cette collection, qui compte déjà deux volumes, l’un consacré à Laurent Vicomte, l’autre à André Juillard. Ces bouquins sont tellement beaux, déjà au niveau du papier, de la reliure, c’est une telle mise en valeur de notre travail qu’il faudrait être fou pour refuser!

swissinfo: Que représente ce livre par rapport à votre trajectoire?

C.: C’est l’occasion de montrer des travaux soit inédits, soit publiés jusque là marginalement. Mais c’est surtout l’occasion de présenter des étapes intermédiaires, celles qui précèdent le dessin définitif d’un album de bande dessinée. Des croquis, des esquisses, qui pour moi, sont souvent supérieurs au résultat final. C’est d’ailleurs propre à beaucoup de dessinateurs ou de peintres…

swissinfo: Pourquoi?

C.: Difficile à dire… Je pense qu’en faisant l’esquisse, on s’oublie un peu. On sait – ou on pense – que l’esquisse ne sera pas publiée. Elle est donc réalisée sans arrière-pensée, sans contrôle. Elle est une étape vers un but. Alors que lorsqu’on en est à l’étape définitive, on est conscient en tirant notre trait que c’est cela qui va être imprimé. Il y a une espèce de crispation, on perd un peu de spontanéité.

swissinfo: A parcourir le livre, on a l’impression que votre vie est un voyage permanent. Or vous êtes ancré depuis toujours dans le canton de Vaud… Cosey, nomade ou sédentaire?

C.: J’ai commencé à voyager parce que je voulais dessiner des histoires tibétaines et qu’en 75-76, on trouvait très peu de documents. Je suis donc parti en voyage pour ‘faire de la documentation’. Je me suis rendu compte que c’est agréable et que ça enrichit beaucoup mon travail. Et c’est devenu un peu un procédé. Je ne suis donc pas un voyageur qui dessine, mais un dessinateur qui voyage.

swissinfo: Ce qui nous amène à votre personnage central, Jonathan, qui lui est un voyageur. Jonathan que vous avez créé à votre image. Un jeu d’alter ego?

C.: Woody Allen disait qu’il a été élevé dans la tradition juive – protestante en ce qui me concerne – mais qu’il s’est converti très tôt au narcissisme!

Disons que Jonathan n’a pas été pensé comme un autoportrait. Mais pour créer un personnage original, qui ne soit pas Blueberry, ni Corto Maltese, ni Tintin, j’ai pensé qu’il serait intéressant de prendre certaines de mes caractéristiques.

swissinfo: On découvre dans «Echo» une double page du Journal Tintin, en 81, où Cosey rencontre Jonathan. Face au personnage, vous vous représentez plutôt moche, timoré, la goutte au nez…

C.: A la longue, cette ressemblance entre Jonathan et moi est devenue un peu lourde. C’était comme si je me vantais. Jonathan n’est pas un vrai héros, mais il est quand même courageux, généreux. Sur ce plan-là, je ne lui arrive pas à la cheville! Alors je me suis caricaturé pour rappeler que, non, je ne suis pas Jonathan!

swissinfo: Assez typique de votre attitude néanmoins… Vous dites régulièrement que vous êtes un piètre dessinateur. Quand on a inventé un univers aussi personnel et élégant que le vôtre, c’est étonnant.

C.: Il n’est pas nécessaire d’être un bon dessinateur pour créer un univers personnel. Pour prendre des exemples bien plus fameux, Walt Disney et Hergé n’étaient pas de grands dessinateurs, et ils ont créé des œuvres extraordinaires.

Du point de vue du dessin académique, je ne suis pas extrêmement doué. Alors je trompe un peu mon monde: j’utilise des trucs, la photo, j’ai toute ma petite cuisine personnelle qui me permet de cacher ces faiblesses. D’ailleurs, cela m’intéresse moyennement: ce qui m’intéresse vraiment, c’est de créer un univers, des personnages originaux.

swissinfo: Les artistes de BD qui vous paraissent être de grands dessinateurs?

C.: Giraud-Moebius. Manara. Michel Blanc Dumont. Hugo Pratt était à la fois un grand dessinateur et un auteur qui a créé une œuvre majeure.

swissinfo: Une chose étonnante dans votre approche graphique: on a toujours l’impression que vos dessins sont épurés, limpides. Alors qu’il y a autant de détails chez vous que chez d’autres dessinateurs…

C.: Je crois que c’est dû à la composition. L’image est organisée, tout l’espace n’est pas occupé, il y a des vides. Mais dans les surfaces occupées, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’il y ait plein de détails!

Un dessin avec peu de traits peut être chargé. A l’inverse, il est possible de faire un dessin plein de détails qui reste épuré parce que ces détails sont organisés, rythmés, pas dispersés n’importe comment.

C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, en particulier quand je dessine l’univers tibétain. La montagne, évidemment, c’est très graphique, très simple, presque abstrait. Mais l’intérieur des monastères foisonne de détails qu’il est intéressant de montrer tout en restant épuré.

swissinfo: Dans «Echo», le chapitre 3 est consacré à vos balbutiements, lorsque sous la houlette de Derib, vous dessiniez les personnages des autres: Pythagore, Gaston, Spirou etc. A quel moment avez-vous senti que vous teniez votre propre univers?

C.: Il n’y a pas de moment, mais des successions de petits moments. Quand on voit son travail publié, il y a certaines images dont on est fier, d’autres moins. Et les images dont on est content sont révélatrices de là où on va, de ce qu’on fait de mieux. Mais ce n’est pas une décision: on le découvre.

Un autre critère qui m’a aidé à trouver mon terrain, c’est le fait de réaliser que si je me lançais dans le western ce serait moins bien que ce que fait Giraud, et dans la science-fiction, moins bien que ce que font Druillet ou Mézières. Alors que si j’essayais d’explorer ce que je ressentais, moi, j’aurais quelque chose à dire.

Interview swissinfo, Bernard Léchot

Bernard Cosendai naît près de Lausanne en 1950.

D’abord graphiste dans une agence de publicité, il s’initie dès 1969 à la bande dessinée auprès de Derib, le créateur de «Yakari» et «Buddy Longway».

1975: Première parution de «Jonathan» dans le journal Tintin.

1988: Lancement de la collection «Aire Libre» (Dupuis) avec «Le voyage en Italie».

1994: Lancement de la collection «Signé» (Lombard) avec «A la recherche de Peter Pan», un récit de 1983.

1999: Exposition «Cosey d’Est en Ouest» au Musée national de la bande dessinée à Angoulême.

2001: Publication de «La saveur du Songrong», 13e tome – et dernier en date – des aventures de Jonathan.

«Echo» est le 3e titre de la collection «Biographie en images» (Editions Daniel Maghen, Paris), après «Virages» de Laurent Vicomte et «Entracte» d’André Juillard. Des livres conçus et réalisés par Vincent Odin.

En format 22×29,7 cm, dans une présentation «Carnet» (cahiers cousus, dos toilé), l’ouvrage compte 232 pages et est constitué de 9 chapitres consacrés aux thèmes importants de l’œuvre de Cosey.

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