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Antony and the Johnsons subjugent Montreux

Le concert a commencé avec un titre où tout est voué à tomber, les larmes comme la mère. Daniel Balmat © Montreux Jazz Festival Foundation

Au Montreux Jazz Festival mercredi soir, Antony and the Johnsons et le Montreux Orchestra ont offert un moment d'exception au public avec leur fausse pop de chambre qui fait voler les étiquettes. Scott Matthew s'y est mis, lui aussi.

I love the coal
I love the way you’re waiting
I love your kind patience

I told you this day would come
Did you think I’d leave you here
Forever

How long can dust wait
Ask the moon
But ask him soon

Antony Hegarty était donc de retour mercredi soir à Montreux après un concert qui avait bouleversé les bienheureux festivaliers présents en 2005. Avec, en plus mercredi, dans le fil tiré du dernier album intitulé «The Crying Light» sorti au début de l’année, le moelleux des cordes symphoniques.

A l’image d’une tournée qui les conduira à Lucerne le 17 juillet avant Lyon, l’Italie puis les pays scandinaves, Antony and the Johnsons étaient placés dans l’écrin d’un orchestre du cru, comme ce sera aussi le cas à Lucerne: The Montreux Orchestra – monté pour l’occasion et conduit par Rob Moos.

Trente-quatre musiciens sur la scène du Miles Davis Hall, qui ont répété deux après-midi avec Antony, l’ange de la pop (mais on est bien au-delà). Résultat? Sur la forme, une mise en place quasi-parfaite.

Sur le fond, mieux encore. Le public – qui a clairement manifesté son exaltation – a eu droit à une œuvre d’art totale, exigeante, un concert inouï transcendant les genres, impossible à réduire sur le papier. Mémorable.

Un organe bien personnel

Tout a commencé par une attente, celle du chef d’orchestre. Antony Hegarty est là. Géant replet au visage de gosse, à la gestuelle mobile et floue, il va chanter, de sa voix de Farinelli du 21ème siècle. Un organe bien personnel qui vaut de l’or sur le marché des activeurs d’émotion, avec son vibrato si caractéristique et sa souplesse parfois swinguante.

Le concert commence donc avec un titre ancien où tout est voué à tomber, les larmes comme la mère. Une entame dramatique, suivie de dix autres titres et deux en rappel, tirés des trois albums du groupe. Des mélodies à tomber plus bas que terre, de la mélancolie, des clairs-obscurs (jusque dans l’éclairage).

On glisse de chansons quasi abstraites dans leur forme radicale ou leurs arrangements, avec des cordes en masses retenues, à des rythmes endiablés frappés sur le corps des instruments («Kiss my name»), en passant par des airs presque joyeux («For Today I am a boy»). Sur «Another World», l’orchestre joue la dissonance.

Plus rien à chanter

Même contre-pied, aussi, pour ponctuer «Her eyes are underneath the ground», titre que Hegarty voit évoquer sa mère, ou la mère de sa mère. Un doute qui le conduit à discourir sur le changement climatique et l’avenir en forme d’interrogation.

Le «Crazy in love» de Beyoncé passe à la moulinette céleste et même ce long silence posé par le chanteur dans le noir respire la beauté. Au deuxième rappel, Antony n’aura plus rien a chanter mais la salle en voudra encore. Antony n’aura plus rien a chanter…

Kiss my name
Mama in the afterglow
When the grass is green with grow
And my tears have turned to snow

Un Raspoutine post-moderne

Autre moment fort, en première partie de soirée: le set de Scott Matthew (et ses quatre musiciens), qui s’est mis la salle dans la poche avec sa pop-folk acoustique (violoncelle, ukulélé, mini-xylophone, etc) pas du tout mainstream. Une musique qui saisit, entre valse lente et balade mélancolique ou plus sereine.

Cheveux corbeau, longue mèche et nuque rasée, barbe de plusieurs semaines, l’homme est taillé comme un Raspoutine post-moderne. Mais il se donne avec la joie d’un lutin, reconnaissant et heureux.

Charismatique, il suscite une étonnante qualité d’écoute, chante un répertoire peuplé d’animaux. Il évoque des choses perdues ou qui ne se sont jamais arrêtées d’une voix au vrai grain soul, qui porte en elle une fêlure et se prête à tous les effets dynamiques.

Puisque Montreux est un festival de jazz, l’Australien d’Amérique termine son set de douze titres dans cette veine, avec «Everything Happens to Me». Y compris un triomphe à Montreux.

Pierre-François Besson, Montreux, swissinfo.ch

43ème. Le 43ème Montreux Jazz Festival se tient du 3 au 18 juillet.

Budget. Deux-tiers du programme de festival est gratuit et le budget de cette édition se monte à 20 millions de francs.

Aura. Quelque 200’000 personnes au total devraient fréquenter ce festival devenu une importante carte de visite internationale et musicale de la Suisse dans le monde.

Ce groupe basé à New York est construit autour du Britannique Antony Hegarty et sa voix hermaphrodite rencontrée sur le dernier disque de Björk («Volta»).

Hegarty est né en 1971 en Angleterre mais s’est très vite retrouvé aux USA, créant plus tard, notamment, un collectif de drague queens à visées théâtrales.

Entre pop de chambre et cabaret léché, les Antony and the Johnsons ont sorti un premier disque en 2000, puis un maxi remarqué par Lou Reed.

Ont suivi le second album («I Am a Bird Now», avec notamment Boy George, Lou Reed, Rufus Wainwright) en 2005, aimé par la critique, puis «The Crying Light» cette année.

Qui. Compositeur-interprète né en Australie, il s’installe à New York en 1997, puis sort «Elva snow» en 2002 avec l’ex-batteur de Morrissey Spencer Cobrin. Il pose aussi sa voix sur des musiques de films.

Quoi. Il sort un disque éponyme en 2007, qui est suivi cette année 2009 par un autre projet accoustique, toujours proche de la folk (il joue guitare et ukulélé): «There Is An Ocean That Divides And With My Longing I Can Charge It With A Voltage Thats So Violent To Cross It Could Mean Death»

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