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Deux Suisses déclinent les 99 noms d’Allah en Iran

todayposters.com

Bien connus sur la scène du graphisme helvétique et international, Sabina Oberholzer et Renato Tagli se voient récompensés à Téhéran pour une affiche évoquant les 99 noms que l'islam donne au Dieu unique. Sans arrière-pensée politique, ni vraiment religieuse.

Année faste pour le couple d’artistes tessinois. Coup sur coup, ils se voient plébiscités par le public suisse pour une nouvelle série de timbre-poste destinés aux lettres et aux cartes de vœux et par le jury du 5e concours Asma-ul Husna («les beaux noms d’Allah»), organisé à Téhéran par l’IIDS, la Société des designers indépendants d’Iran.

«Ce n’est pas le Grand Prix, juste le 1er Prix, précise modestement Sabina Oberholzer. A vrai dire, on s’attendait à figurer dans la sélection des 40 travaux retenues au final (sur 1339 affiches reçues), voire à une mention, mais pas à un prix. Cela dit, on aime toujours notre travail et si on fait un concours, c’est pour gagner naturellement… [rire]»

Pour tous les dieux

Très dépouillée, l’affiche primée est volontairement sans rapport avec la tradition calligraphique qui fleurit en terre d’islam. Les 99 noms y sont déclinés en arabe, mais transcrits en caractères romains et répartis sur un cercle au centre duquel brille une lumière dorée et s’épanouissent les pétales d’une sorte de fleur.

«On a beaucoup aimé ces noms, commente Sabina Oberholzer. Il y a le grand, le clément, le miséricordieux, mais aussi le terrible. Ce sont en fait des adjectifs, des qualités, des attributs. Et on a décidé de les mettre tout autour, comme si cela ouvrait le cercle et le fermait en même temps. Un cercle, cela tourne à l’infini».

En admettant «n’être pas vraiment cultivée sur les religions», cette catholique baptisée – mais non pratiquante – estime avoir conçu avec Renato Tagli une affiche «qui vaudrait pour tous les dieux».

Certes, les motifs et les couleurs évoquent davantage la mosquée que l’église ou le temple, mais la partie centrale pourrait tout aussi bien se référer au lotus et à l’illumination des bouddhistes ou des hindous.

«Nous sommes ouverts à toutes les cultures et à toutes les religions. Mais notre croyance personnelle va plutôt vers la nature, parce que toutes ses richesses, ses beautés sont pour nous un aspect de Dieu», résume Sabina Oberholzer.

La Perse éternelle

En 2006, le duo avait déjà remporté un autre prix à Téhéran, lors d’un concours d’affiches sur les religions monothéistes. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être sollicité pour cette 5e édition d’Asma-ul Husna.

Alors, si ce n’est pas la promesse du paradis, serait-ce la culture persane qui fait courir les deux artistes tessinois ?

«Nous participons à de nombreux concours internationaux, explique Sabina Oberholzer. Communiquer dans un registre où l’on est pas experts, c’est naturellement un risque, mais cela permet de se confronter à d’autres graphistes, d’autres pays, d’autres cultures».

L’Iran, l’artiste n’y est jamais allée (c’est l’ambassade suisse à Téhéran qui a transmis le prix), elle aimerait bien, «mais c’est difficile en ce moment».

«C’est un pays de vieille tradition et de grande culture, remarque-t-elle. On le voit simplement à leur manière de demander les choses par écrit. Le ton est très poli, le style raffiné, ce sont des gens pleins de poésie».

Indépendance

Reste que le régime iranien n’est pas forcément en odeur de sainteté en Occident, surtout depuis la réélection contestée de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad à la tête du pays. Participer à un concours en république islamique, surtout sur un thème religieux, n’est-ce pas une manière de cautionner la politique des mollahs qui font la loi à Téhéran ?

«Nous sommes passablement ‘ignoranti’ en politique, admet Sabina Oberholzer. Et peut-être sommes-nous naïfs, mais l’IIDS, qui organise ce concours, n’a rien à voir avec le pouvoir. En tout cas pas que nous sachions. Il est clair que s’il s’était agi de dessiner des affiches de propagande pour le régime, nous n’aurions pas participé».

Comme marque de cette indépendance, l’artiste relève que l’un des membres du jury du concours anime un des sites de contestation du résultat de l’élection présidentielle, qui ont fleuri sous l’étiquette «Where is my vote ?» («Où est passée ma voix ?»). Avec Renato Tagli, elle a d’ailleurs également contribué à ce mouvement, avec deux affiches publiées sur le même site.

Valeur mondiale

Graphiste suisse lui aussi, René Wanner était cette année membre du jury du concours Asma-ul Husna, qui outre les deux Tessinois, a récompensé un Turc, un Américain et des Iraniens. Sur son blog, il répond à ceux qui prônent le boycott de ce type de manifestations artistiques organisées à Téhéran.

Pour lui, refuser de participer, c’est justement desservir la cause des graphistes iraniens, qui font preuve d’un dynamisme, d’une créativité et d’une indépendance artistique remarquables, au point de s’être taillé en quelques années une place de choix dans la communauté mondiale du graphisme.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch

Tous deux issus de l’Ecole des arts appliqués de Lugano, Sabina Oberholzer et Renato Tagli ont travaillé à Zurich avant de s’installer en 1983 à Cevio, petit village du Val Maggia, 25 kilomètres au-dessus de Locarno. Les deux graphistes les plus primés du Tessin jouissent d’une réputation internationale.

En Suisse, ils ont notamment été les premiers lauréats tessinois de la Bourse fédérale des arts appliqués dans la catégorie graphisme, pour l’habillage du journal Il Quotidiano. Ils sont sortis troisièmes au concours pour la création des pièces commémoratives du 700e anniversaire de la Confédération et leur studio a été parmi les douze sollicités par la Banque nationale pour le concours d’où sortira la nouvelle série de billets de banque suisse.

Cette année, ils ont gagné le concours de La Poste pour sa série de timbres de vœux, qui doivent redonner vigueur à l’écrit contre l’e-mail et le SMS. Seuls graphistes à avoir osé des créations abstraites sur les thèmes imposés du mariage, de la naissance et des anniversaires, ils ont emporté la décision du public, qui constituait le jury du concours.

Au niveau international, leurs créations ont notamment décroché des prix à Tokyo, à Essen (Allemagne), à Milan, et déjà en 2006 à Téhéran, lors d’un concours sur le thème des religions monothéistes.

Interdire les minarets, comme le demande une initiative qui sera bientôt soumise au vote des citoyens suisses ? Pour Sabina Oberholzer, l’idée est aussi incongrue qu’irrecevable.

«Si on ne veut pas de musulmans en Suisse, il faut le dire, clame l’artiste. Mais du moment qu’on les accepte, on accepte aussi de les laisser pratiquer leur culte. Et donc de construire leurs minarets».

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