En Suisse, un festival montre la vitalité des cinémas d’Afrique
Le Festival cinémas d’Afrique présente chaque année à Lausanne une filmographie toujours plus riche et aboutie produite aux quatre coins du continent. swissinfo.ch est allé à la rencontre des organisateurs, alors que se tient cette fin de semaine la 10ème édition d’un événement qui a trouvé ses marques et son public.
C’est le grand paradoxe du temps. La globalisation se déploie, les humains voyagent ou migrent de plus en plus. Mais les représentations du monde au sein de la population et dans certains médias se ratatinent souvent sur les clichés ethniques les plus éculés.
Les occasions ne manquent pourtant pas d’ébranler ces images obsolètes, comme le Festival Cinémas d’Afrique, qui présente pour sa 10e édition à Lausanne, dans les murs de la CinémathèqueLien externe suisse, quelque 60 films réunis sous la bannière thématique «Histoires».
Histoire du festival lui-même, avec une rétrospectiveLien externe des films qui ont marqué sa programmation depuis ses débuts. Histoire du cinéma venu d’Afrique, avec une rétrospective consacrée au Béninois de naissance et Sénégalais d’adoption Paulin Soumanou Vieyra, qui tourne en 1955 «Afrique-sur-Seine», filmLien externe collectif qui marque les débuts du cinéma africain. Histoire aussi du continent, avec pour cette édition anniversaire, «Sœur OyoLien externe», un film qui raconte un pensionnat catholique dans le Congo belge des années 50, ou «L’Oranais » qui revient sur les premières années d’indépendance de l’Algérie.
Riche de son expérience d’organisatrice du festival, Francine Viret trace l’évolution des sujets abordés par les différentes éditions du festival: «On voit moins de gens piler le mil et plus d’usines qui ferment, de Chinois qui en ouvrent de nouvelles. La production actuelle montre les réalités économiques d’un continent en pleine transformation. Elle raconte la petite bourgeoisie des villes, les migrations entre les pays du continent.»
Et Francine Viret de souligner: «Nous sommes dans un monde complexe qui nécessite une approche également complexe. Ce que reflète très bien la programmationLien externe de cette année. Dans cette perspective, nous montrons aussi le travail de réalisateurs suisses sur l’Afrique Et ce pour que les regards se croisent.»
Cette année, ce coup d’œil suisse est porté par le journaliste-écrivain-réalisateur Arnaud Robert avec «Gangbé!», un documentaire qui présente un groupe musical béninois, le Gangbé Brass Band, qui donne un concert dans le cadre du festival.
Autre organisateur du festival, Max Lobe renchérit: «Des réalisations comme ‘Viva Riva!’ ou ‘Dakar trottoir’ racontent l’urbanisation croissante du continent et ses conséquences. C’est un nouveau regard posé sur l’Afrique par une nouvelle génération de cinéastes.»
Et ces films sont souvent drôles, relève cet écrivain camerounais basé à Genève, avant d’ajouter: «Les films actuels permettent le débat. Ils ne donnent pas un point de vue définitif, militant.»
Pour faire leur choix, les organisateurs se rendent dans quelques-uns des nombreux festivals cinématographiques en Afrique, à commencer par le plus connu, le FESPACO au Burkina Faso. «L’un ou l’autre d’entre nous se rend aussi au Festival de Louxor, à la Semaine du cinéma africain de Maputo, le Festival de Durban et, en Europe, ceux de Besançon, Apt ou Cordoue», détaille Francine Viret.
Directeur du festival, Boubacar Samb constate: «De plus en plus de réalisateurs nous envoient leur films dès qu’ils sont réalisés. Ce qui n’était pas le cas au début du festival. Cela signifie que le festival est maintenant connu.»
Et ce comédien d’origine sénégalaise de pointer une autre évolution du cinéma africain: «De jeunes réalisateurs émergent et ils ne viennent plus forcément chercher des fonds en Europe, puisqu’ils trouvent des producteurs locaux, principalement au Nigéria, en Afrique du Sud ou au Kenya. Résultat, nous avons aujourd’hui une production riche et diversifiée. Tous les genres sont représentés: animations, films d’’auteurs, comédies, science-fiction ou polars politiques.»
Max Lobe rappelle les différences qui distinguent encore l’Afrique anglophone des régions lusophones et surtout francophones: «Les réalisateurs de l’Afrique francophone continuent de se tourner vers les bailleurs de fonds européens. Mais aujourd’hui, la provenance des fonds ne conditionne plus autant le contenu des films qu’auparavant.» En clair: les films «coopération-compatibles», influencés par les thèmes de l’aide au développement, ne sont plus de mise.
Les salles disparaissent, la VOD explose
Reste l’épineuse question de la distribution et de la diffusion des films. Francine Viret témoigne: «C’est toujours compliqué de voir des film dans la plupart des pays d’Afrique. A Abidjan ou Kinshasa, il n’y a plus de salle, à Douala, il n’en reste qu’une. En Afrique, c’est surtout dans les festivals que l’on peut voir les films du continent. Et il y en a un peu partout et de toute taille.»
L’avenir est pourtant loin d’être bouché pour les métiers du cinéma, comme le souligne Max Lobe: «L’Afrique connait aujourd’hui une explosion de l’audiovisuel. Des chaînes TV de toutes sortes apparaissent. Ce qui permet la réalisation de séries, comme au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou au Nigeria et sa célèbre industrie du divertissement Nollywood», devenue la 2ème production de films au monde après l’indienne Bollywood.
Et les plateformes de vidéo à la demande se multiplient, comme le relevaitLien externe la semaine dernière l’hebdomadaire Jeune Afrique: «Dans l’ombre du géant américain Netflix, des start-up africaines ou issues de la diaspora misent sur le dynamique cinéma « afro » pour lancer leurs propres plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), sur un continent promis à devenir la prochaine terre de la croissance mondiale.»
Pour sa 10ème édition, le Festival cinémas d’Afrique présente le dernier travail de Baudouin Mouanda, né au Congo Brazzaville en 1981. Figure montante de la photographie africaine, BaudouinLien externe Mouanda a suivi les étudiants de Brazzaville qui le soir venu se rendent en masse dans ce qu’ils appellent «la grande bibliothèque à la belle étoile».
A la lumière des lampadaires, ils révisent leur cours d’histoire ou de langues aux abords des ronds-points, des jardins ou encore de l’aéroport afin de pallier aux multiples coupures d’électricité et fuir l’inconfort de leur chez eux. Sa série s’intitule «Sur le trottoir du savoirLien externe».
Baudouin Mouanda est aussi l’initiateur du projet de création photographique « Rue du hip hop », dont il est le directeur technique. Il y anime des ateliers de formation à la photographie, rapporte le site africultures.comLien externe, partenaire du Festival cinémas d’Afrique.
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