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Jean-Marie Périer ou les images d’une époque dorée

Jean-Marie Périer, le photographe qui ne «mitraille» pas. La première prise est souvent la bonne. swissinfo.ch

Si les Beatles, Dylan, Johnny, Sheila, Sylvie et les autres ont écrit la bande-son des années 60, en photographiant tous ces musiciens, Jean-Marie Périer en a écrit la «bande image». Rencontre avec un géant, récemment de passage en Suisse.

Fin juin, le magazine romand L’Illustré organise à Genève «Photos 08», première édition d’une manifestation qui veut devenir annuelle. Invité d’honneur: Jean-Marie Périer, l’homme dont les photos irritaient les adultes dans les sixties et se vendent aujourd’hui aux enchères comme des objets d’art.

«Il a cette modestie des très grands. Ou peut-être cette façon de raconter les aventures de sa vie comme une succession d’instants de chance, de rencontres heureuses au bon moment», écrit alors notre confrère. Et c’est tellement vrai !

Ces instants qu’il nous a raconté ne tiendraient pas tous dans la page. C’est pourquoi certains sont uniquement à écouter, en cliquant les audios au haut de la colonne de droite. Les autres sont à lire. Et tous sont à déguster…

swissinfo: Côtoyer des gens célèbres, c’est une chose à laquelle vous avez été habitué dès l’enfance…

Jean-Marie Périer: Ben oui, mon père était un grand comédien et une star de cinéma énorme. Donc, on voyait passer Louis Jouvet, Sacha Guitry, Humphrey Bogart, Yul Brynner, Pierre Brasseur, Yves Montand, tout le monde était là. Le soir après le théâtre, mon père faisait des dîners à la maison. Je descendais en pyjama et je venais jouer du piano devant tous ces gens connus. Et ça ne m’étonnait pas, je trouvais ça normal.

Ça m’a permis aussi de voir les coulisses de la célébrité, le côté sombre, le côté négatif, les inquiétudes, les peurs. Et par la suite quand j’ai rencontré tous ces mômes qui démarraient leur carrière, qui avaient entre 16 et 20 ans, j’en savais beaucoup plus qu’eux sur ce qui allait leur arriver.

swissinfo: En 1956, vous devenez l’assistant de Daniel Filipacchi, alors photographe à Marie Claire. Puis en 1962, il vous engage dans l’aventure SLC, Salut les Copains. A l’époque, le monde de la presse ne croyait guère au succès de ce magazine…

J.-M.P.: Daniel a fait un calcul très simple. Il avait une émission de jazz sur Europe 1 et il publiait Jazz Magazine, à 60’000 exemplaires. Quand il a commencé “Salut les Copains” à la radio, il a vu qu’il recevait dix fois plus de lettres que pour le jazz. Il s’est donc dit «faisons un magazine, et on en vendra peut-être 600’000».

Il est allé voir Jean Prouvost à Paris Match [qu’il rachètera par la suite], Europe 1, Dassault, tous les grands groupes de presse, personne n’y croyait. Il l’a donc fait tout seul avec Frank Ténot, et ils n’avaient pas tellement d’argent. Et boum ! Le premier numéro a été tiré à 100’000 exemplaires et on a dû en retirer 100’000 deux jours plus tard, parce que c’était l’émeute dans les kiosques.

swissinfo: Pourtant, les chanteurs qui passaient dans SLC étaient considérés comme des voyous…

J.-M.P.: Oh, vous savez, le côté voyou, il venait des blousons noirs, de cette fascination qu’on avait tous pour l’Amérique, qui en réalité est une fascination pour le cinéma américain. Mais c’était juste une attitude. Ils étaient comme dans le film de James Dean, des rebelles sans cause.

En fait, c’était un monde en soi. SLC c’était fait pour les adolescents. On fonctionnait en circuit fermé, on était dans notre bulle. On se foutait complètement du monde extérieur. Et ça énervait d’autant plus qu’il y avait des chanteurs merveilleux comme Brassens ou Brel qui n’avaient pas accès à SLC. C’était injuste, et en même temps, c’était la seule façon de garder la ligne de Daniel Filipacchi, qui m’avait dit au départ «il faut que tes photos déplaisent aux parents».

swissinfo: Aujourd’hui, on dirait que vous avez été un photographe «people». Cette notion existait à l’époque ?

J.-M.P.: C’était complètement différent, mais ça l’est aussi aujourd’hui, parce qu’il y a un mélange des genres. Les people sont des gens qui rêvent d’être des stars. People, ce n’est rien. Ça se démode, ça passe, c’est pour les journaux à scandale. Les vraies stars par contre restent des stars.

swissinfo: Comment expliquez-vous que la musique de ces années a encore tellement de succès. Et même auprès des jeunes ?

J.-M.P.: Je ne sais pas et j’en suis le premier surpris. Quand je vois que les télévisons font des émissions de trois heures sur Claude François, ça me sidère. Pareil pour mes photos qui se mettent à avoir de la valeur depuis dix ans, alors qu’avant, l’intelligentsia et les gens du milieu les méprisaient totalement. Mais il est vrai qu’en France, il ne faut jamais commencer par un succès populaire, c’est très mal vu.

Peut-être que la nostalgie est communicative. Les jeunes sont fascinés par une époque d’insouciance et de désinvolture, où tout ce qu’on voulait, c’était chanter et danser. Alors qu’aujourd’hui, ce qui domine c’est le business, l’argent, la réussite sociale, le «gagnant-gagnant» et toutes ces conneries.

swissinfo: Vous vivez principalement dans l’Aveyron. Pourquoi ce choix de la retraite campagnarde, vous qui avez été si souvent sous les feux de la rampe ?

J.-M.P.: Mais parce que c’est un endroit magnifique, parce qu’il y a des gens gentils, normaux, et parce que c’est loin de Paris et très difficile d’accès. La campagne française, c’est ce qu’il y a de plus beau au monde. J’ai vécu dix ans en Amérique, j’étais très content, bravo, merci, mais je ne veux plus jamais aller vivre là-bas. Et puis ça ne m’ennuie pas d’être seul. Je suis très très bien seul. Car, figurez-vous mon cher ami, j’ai une vie intérieure (il rit…)

Ce qui ne veut pas dire que je sois croyant. J’aurais rêvé de l’être, de croire en n’importe quoi, d’être communiste, socialiste… ou catholique d’ailleurs. C’est formidable, vous vous levez le matin, vous savez pourquoi. Tandis que moi, je dois réinventer, parce qu’il n’y a pas de raison.

Cela dit, je crois en la vie, je crois aux gens que j’ai rencontrés et je n’ai rien contre la foi. Mais j’ai beaucoup contre les appareils. Les églises, les partis politiques, c’est méfiance absolue. Tout ce qui veut encercler, contrôler, diriger la vie des gens, pour moi, c’est l’ennemi.

Interview swissinfo, Marc-André Miserez

Né à Neuilly en 1940, Jean-Marie Périer est issu d’une lignée d’artistes. Si le chanteur Henri Salvador, son père biologique a été totalement démissionnaire, son «vrai» père est l’acteur François Périer et sa mère est la comédienne Jacqueline Porel, petite-fille de Réjane, grande dame du théâtre parisien au tournant du siècle.

Assistant de Daniel Filipacchi dès 1956, il fait ses premières photos pour Jazz Magazine, Paris-Match, et Télé 7 Jours. De 1962 à 1974, il est le photographe attitré de Salut les Copains, titre-phare du mouvement «yé-yé», ce qui lui vaut de côtoyer tous les musiciens des années 60, non seulement français, mais également anglo-saxons. Il est aussi pour quelques années l’ami de cœur de Françoise Hardy, une des chanteuses les plus adulées de sa génération

Jean-Marie Périer tâte ensuite de la caméra, avec six téléfilms et quatre long-métrages, dont le dernier, sur le groupe de rock Téléphone, représenta la France au Festival de Cannes en 1980.

Cette même année, il part s’établir aux Etats-Unis. Il y restera dix ans, réalisant notamment là-bas et en France plus de 600 films publicitaires. Parmi eux, trois clips de prévention sur le thème «La drogue, c’est de la merde», qui marquèrent fortement les esprits en 1986, 87 et 90.

Depuis, Jean-Marie Périer – qui vit principalement dans l’Aveyron, magnifique région sauvage au sud du Massif Central – continue à faire des photos, des expos et à publier des albums souvenir, soit d’images, soit de texte, comme le tout récent «Oncle Dan», consacré à Daniel Filipacchi.

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