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L’émotion primée

Une scène du film Azzurro de Denis Rabaglia. Keystone

Après avoir été présenté l'été dernier sur la Piazza Grande de Locarno, «Azzurro» de Denis Rabaglia décroche à Soleure le prix du meilleur long métrage de fiction, dans le cadre du Prix du cinéma suisse 2001. Un succès largement mérité.

«C’est un grand honneur, parce que la compétition était difficile. Il y avait des metteurs en scène expérimentés, des films qui avaient été plébiscités par la critique et le public, donc j’étais un peu l’outsider… Je suis honoré aussi parce que c’est une histoire très personnelle, et que, d’une certaine manière, j’ai réussi à la faire partager à d’autres» me disait Denis Rabaglia à l’issue de la cérémonie.

On le comprend, et cela d’autant plus que la critique romande n’a pas toujours été tendre à l’égard de «Azzurro». On plaisante volontiers – et souvent à raison – sur l’intimisme forcené du cinéma suisse, mais lorsqu’un film d’ici est suffisamment fort et bien ficelé pour toucher le grand public, d’aucuns s’empressent de l’égratigner méchamment. Allez comprendre.

Carla (Francesca Pipoli) est une petite fille aveugle. Sa cécité pourrait être guérie grâce à une greffe de la cornée. Mais en Italie, dans les hôpitaux publics, les listes d’attente sont longues… Et Giuseppe (Paolo Villaggio), le grand-père de Carla, avec lequel elle entretient des rapports privilégiés, n’a pas le temps d’attendre: suite à une première attaque cardiaque, il a «vu la porte». Il sait que la mort l’attend. Or il veut que Carla retrouve la vue de son vivant. Reste le recours à la médecine privée, mais cela coûte cher, trop cher.

Alors Giuseppe se souvient de la Suisse, où il a travaillé longtemps auparavant pour un entrepreneur nommé Broyer (impayable Jean-Luc Bideau), qu’il tient en haute estime et considère comme un ami. Le grand-père et sa petite-fille vont donc «fuguer», cap sur la Suisse, à la recherche du soutien financier qu’ils espèrent y trouver.

Dit comme cela, on pourrait craindre que le mélo soit pitoyable. Mais il ne l’est pas. Parce que les personnages sont parfaits. Les deux «héros» bien sûr, mais aussi ceux qu’ils vont croiser, Broyer qui a pété les plombs, ou Luigi, l’ancien compagnon communiste qui est devenu patron d’un chic restaurant italien à Genève… Il ne l’est pas parce que le voyage du grand-père est aussi une sorte de quête familiale, qui nous réserve des surprises.

Et puis parce que ce parcours individuel est aussi l’occasion d’illustrer un trait humain qui s’appelle l’ingratitude. Un autre trait aussi, plus rare, qu’on nomme générosité. L’égoïsme helvétique des années Schwarzenbach est durement mis en cause. Est-il moins fort aujourd’hui à l’égard des Kosovars?

Lorsque le grand-père explique avoir travaillé en Suisse, Carla lui dit: «Alors tu étais comme un Albanais?». D’une époque à l’autre, les «différences» se ressemblent. «Je suis venu en Suisse pour opérer les yeux de ma petite, mais ce sont mes yeux qui se sont ouverts» constate Giuseppe.

En voyant «Azzurro», on a souvent la larme à l’œil, et on est bien en même temps. On n’a pas honte de son émotion, comme dans les mauvais mélos. «Azzurro» est un beau film populaire, au sens positif du terme. Du cinéma qui n’ignore pas l’existence du public, tout en se refusant de le mépriser.

Bernard Léchot

NB: après avoir été distribué en Suisse romande, «Azzurro» sort ces jours dans dix villes de Suisse alémanique.

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