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La «Traque» de Carla del Ponte passe par l’Argentine

Carla del Ponte (à gauche) lors de la présentation de son livre au Salon international du livre de Buenos Aires. swissinfo.ch

L’ancienne procureure générale du Tribunal International pour l’ex-Yougoslavie et actuelle ambassadrice de Suisse en Argentine Carla del Ponte a présenté son livre «La Traque: les criminels de guerre et moi» au 36e Salon international du livre de Buenos Aires. Interview.

Carla del Ponte s’est rendue au Salon international du Livre en compagnie de deux juristes argentines, Silvia Fernández et Inés Weinberg de Roca, toutes deux membres du Tribunal pénal international. L’accueil du public s’est révélé être des plus chaleureux.

Originaire de Bignasco (Tessin), cette femme qui s’est frottée à la mafia, qui a lutté contre le blanchiment d’argent sale en Suisse et qui a poursuivi, jugé et condamné les pires criminels de guerre des dernières décennies a partagé ses expériences avec le public.

Dans un espagnol teinté d’italien, elle a ainsi décrit les difficultés que les procureurs et les juges internationaux rencontrent au moment de rendre justice, a raconté quelques anecdotes et a assuré que «la justice poursuit sur la bonne voie, malgré les difficultés».

swissinfo.ch: Voici finalement arrivé le moment où vous pouvez présenter votre livre, et vous le faites pour la première fois en Argentine.

Carla del Ponte: Je crois que ce moment est très important; pas pour Carla del Ponte, mais pour la justice internationale. Je le fais ici parce qu’il n’était pas possible de ne pas être présente: nous sommes en plein Salon du livre de Buenos Aires, mon livre est désormais en vente dans son édition espagnole et j’ai été invitée à participer au Salon, avec d’autres, pour parler de la justice internationale. Or justement, La Traque traite de mon expérience comme procureure internationale.

swissinfo.ch: Comment jugez-vous l’évolution de la justice au travers de votre expérience en tant que procureure en chef du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)?

C. d. P.: La justice continue d’aller dans la bonne direction. Naturellement, c’est difficile, parce qu’il faut une coopération entre tous les Etats, étant donné que la justice internationale ne dispose pas d’une police judiciaire qu’elle peut envoyer dans le monde entier pour faire des enquêtes. C’est pour cela que cette nécessité de collaborer est fondamentale.

Si je regarde en arrière et que je me remémore la liste des 161 principaux responsables de crimes de guerre en ex-Yougoslavie, je constate qu’il n’en reste plus que deux à arrêter: Ratko Mladic (chef militaire des Serbes de Bosnie durant la guerre en Bosnie) et Goran Hadziz (leader des Serbes de Croatie durant le conflit de 1991).

Ces succès sont le fruit d’un travail d’équipe réalisé avec plus de 600 personnes qui ont travaillé de manière organisée. Le procureur général est certes important, mais il est important aussi qu’il ait de bons collaborateurs.

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire votre livre? Etait-ce la nécessité de faire une espèce de «catharsis» ou bien avez-vous considéré que cela allait profiter à la justice internationale?

C. d. P.: J’ai écrit ce libre parce qu’il fallait qu’on sache comment travaille le procureur général avec ses collaborateurs pour obtenir la détention de criminels.

Mon objectif était de faire connaitre les difficultés que rencontre le droit international pour pouvoir juger les personnes qui ont commis des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, qu’il s’agisse d’esclavage, d’apartheid, d’extermination, d’assassinats, de disparitions forcées, de torture, d’enlèvement et même du délit d’agression qui, de manière lamentable, n’a jusqu’à présent pas encore de définition.

Je l’ai écrit pour que les gens puissent comprendre la difficulté qui existe, car c’est quelque chose que la presse ne connait pas, tout simplement parce qu’elle n’est pas impliquée dans le processus. Or nous pouvons faire connaître ces difficultés, ce qui est très important comme document historique.

Souvent, nous avons dû travailler sans bénéficier de la collaboration des Etats. Par exemple, dans de nombreux cas, les autorités fournissaient une protection aux fugitifs pour éviter qu’ils soient arrêtés. Savoir tout cela est important pour les étudiants en droit et pour toutes les personnes qui s’occupent de droit international.

swissinfo.ch: Est-ce qu’il a été difficile d’occuper ce poste en étant une femme?

C. d. P.: Non, non, non… Je ne l’ai jamais ressenti. Je dirais même que ma condition de femme m’a facilité un peu certaines choses, parce que lorsqu’une femme souhaite voir un ministre, elle y parvient plus facilement qu’un homme, non?

swissinfo.ch: Vous êtes-vous sentie menacée lorsque vous travailliez comme procureure internationale?

C. d. P.: La peur, je l’ai eue dès le début, lorsque sont arrivées les premières menaces de la mafia. Ensuite, je me suis habituée à ce type de vie. J’ai un caractère très fataliste.

swissinfo.ch: Ceux qui connaissent votre parcours pensent que vous êtes une femme très forte. Vous sentez-vous forte?

C. d. P.: Je ne sais pas. Je ne le ressens pas…

swissinfo.ch: Jusqu’à quand serez-vous ambassadrice en Argentine?

C. d. P.: En principe, jusqu’à la fin de février 2011.

swissinfo.ch: Et ensuite? Aurez-vous encore un autre poste en tant que diplomate?

C. d. P. : Non. Ma carrière diplomatique s’arrête ici. Ce fut une période fascinante, totalement différente de tout ce que j’avais fait au cours de ma vie. Et je pense que ce fut fascinant, parce que cela s’est déroulé dans un pays aussi beau que l’Argentine.

swissinfo.ch: Avez-vous appris à danser le tango?

C. d. P.: A le danser, non. Mais à l’écouter et à le voir danser!

Norma Domínguez, Buenos Aires, swissinfo.ch
(Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard)


En avril 2008, le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE) avait interdit à Carla del Ponte – à l’époque déjà ambassadrice en Argentine – de présenter et de faire la promotion de son livre.

Le DFAE estimait que certaines affirmations contenue dans le livre de l’ancienne procureur du TPIY ne pouvait émaner d’une représentante du gouvernement suisse.

Contacté par swissinfo.ch à propos de la présentation à Buenos Aires, les services de presse du DFAE ont répondu: “Mme del Ponte ne nous a pas consulté à ce sujet. A l’approche de sa retraite, elle semble prendre certaines libertés.”

Dans son livre de 400 pages, Carla del Ponte révèle parle de quelques-uns des épisodes les plus obscure de l’histoire récente de l’Europe et met en évidence les difficultés qui existent entre la justice internationale et la politique.

La Traque, publié initialement en italien, a été traduit en 12 langues.

Cet ouvrage, qui représente un document historique important pour la justice internationale, a été présenté pour la première fois au public le 10 mai, dans le cadre du Salon international du livre de Buenos Aires.

Née en 1947 à Bignasco, dans le canton du Tessin.

Elle a étudié le droit international à Berne, à Genève et en Grande-Bretagne.

Carla del Ponte a été nommé procureure du canton du Tessin en 1981. Elle a ensuite pris la tête du Ministère public de la Confédération de 1994 à 1999.

Elle a été nommé procureure générale du TPIY (Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie) en 1999 par le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan.

Fin 2007, elle a quitté sont poste au TPIY est a été nommée ambassadrice de Suisse en Argentine, poste qu’elle occupera jusqu’en février 2011.

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