Maurice Chappaz, 90 ans de confiance en la poésie

Le canton du Valais rend hommage à l'écrivain, poète et polémiste, qui, après avoir couru le monde, vit retiré à l'abbaye du Châble, à l'entrée du Val de Bagnes.
Son œuvre, pour laquelle il a reçu le Grand Prix Schiller en 1997, parle des temps révolus, de la Suisse rurale et de sa nature intacte. Elle aborde aussi l’intime souffrance du deuil.
A l’heure où le Valais et la Confédération ont mis en place un programme qui, «tout en préservant les intérêts de l’économie», vise à revitaliser le Rhône, l’œuvre de Maurice Chappaz est un lieu où il fait bon venir se ressourcer.
En ouvrant par exemple ‘Vocation des fleuves’ – publié en 1998, alors qu’il est âgé de plus de 80 ans -, on réalise soudain la dimension non seulement géographique mais aussi symbolique des grandes rivières parties des Alpes suisses.
Sous la plume de Chappaz, le Rhône, l’Aar, la Reuss, le Rhin, le Tessin deviennent des invitations à passer les frontières. Sa première femme, l’écrivain S. Corinna Bille, qu’il a épousée en 1947 et avec qui il a parcouru les continents, parlait d’ailleurs de «folie ambulatoire» à son propos.
Bien qu’ancrés dans le Valais de sa mémoire, c’est-à-dire le Valais d’avant-guerre, ses écrits ne sont donc pas ceux d’un écrivain régionaliste. Lorsqu’il raconte le «Valais de bois», la simplicité de la vie paysanne et la grandeur des paysages sauvages, c’est un monde d’une incontestable puissance littéraire qui se dessine.
Eloge de l’inutilité
De même, sa critique contre le progrès n’a pas perdu de sa vigueur. Aujourd’hui nonagénaire, il condamne avec la même fougue les successeurs des ‘Maquereaux des cimes blanches’, du titre de l’un de ses ouvrages polémiques parus en 1976.
«La préhistoire est devant nous», écrivait-il à l’époque, lucide sur la logique de ceux qui défiguraient la montagne. A l’aune des désastres environnementaux qui se succèdent, cette constatation, parce que fondée sur une mystique de la Nature, prend une résonance prophétique.
Devant les collégiens de Saint-Maurice, lors d’une rencontre organisée récemment dans le cadre de l’hommage rendu pour son anniversaire, Maurice Chappaz a évoqué cette «confiance dans la catastrophe» nécessaire au rétablissement des équilibres.
Aux étudiants angoissés par leur devenir, il a également répondu par un éloge de l’inutilité empreint d’humanisme augustinien et de sagesse orientale. Leur rappelant la valeur de la gratuité, il a adopté, en poète, une position à contre-courant: «Plus vos études seront inutiles, plus elles vous serviront».
A la façon d’un Farinet
Né dans une famille de magistrats, Maurice Chappaz, lorsqu’il doit se déterminer quant à sa profession, a lui choisi de faire son chemin à la façon d’un Farinet. Ce Valaisan entré en littérature grâce à Ramuz distribuait la fausse-monnaie qu’il fabriquait aux villageois.
Soutenu financièrement à ses débuts par sa famille, en particulier par son oncle le conseiller d’Etat Maurice Troillet, l’écrivain n’a pas craint de se mettre le Valais à dos dans les années 1970.
Ses pamphlets écologico-politique lui valent alors d’être traité de «petite bête puante» par le Nouvelliste, journal cantonal dominé par les conservateurs.
Reconnu sur le tard par la Suisse – ce n’est qu’en 1997 qu’il reçoit le Grand Prix Schiller, la plus haute distinction littéraire helvétique -, Maurice Chappaz a été encouragé dans les années 1940, par des aînés tels que Ramuz ou Gustave Roud, avec qui il entretiendra une longue correspondance.
Retour à l’Afrique
D’abord poète du vagabondage et de l’errance dans une nature pas encore atteinte par les outrages de la modernité, Chappaz – qui s’est également battu contre l’établissement d’un terrain militaire dans la forêt de Finges, devenue parc naturel en 2005 – est aussi l’écrivain des épreuves de la vie.
Lorsqu’il perd S. Corinna Bille, puis son beau-père et son oncle, au tournant des années quatre-vingt, le deuil entre dans son œuvre. Celle-ci se fait alors méditation sur la mort, «sans laquelle, écrit Chappaz, nous serions totalement inattentifs».
Du haut de son grand âge, c’est vers l’Afrique qu’il a voulu se tourner. Là où l’on sait que les mondes disparaissent avec ceux qui les racontent. Pour son nonantième anniversaire, il a fait rééditer deux contes africains récoltés par l’anthropologue allemand Frobenius et qu’il avait commentés en 1955.
Le premier raconte l’histoire d’un homme qui sacrifie tout à la poésie. Le second parle de l’avènement de l’opulence et de la disparition d’une civilisation qui a perdu l’habitude de lire dans les étoiles.
swissinfo, Carole Wälti
1940: «L’homme qui vivait couché sur un banc», première publication.
1953: Prix Rambert pour le «Testament du Haut-Rhône»
1985 : Prix de l’Etat du Valais pour l’ensemble de son œuvre.
1997: Chappaz obtient le Grand Prix Schiller, la plus haute distinction littéraire helvétique.
1997: la Bourse Goncourt de la poésie lui est remise, signe que son œuvre a trouvé sa place dans le paysage éditorial français.
Maurice Chappaz est né le 21 décembre 1916. Aîné d’une famille de dix enfants, il a fait ses études au collège de l’abbaye de Saint-Maurice. Celles-ci l’ont profondément marqué.
Issu d’une famille de magistrats, il a été inscrit en droit à Lausanne, puis a entamé les lettres à Genève. La guerre l’a forcé à interrompre ses études.
Dans les années 1940, Maurice Chappaz traduit, du Virgile notamment, et commence à écrire. Il travaille aussi comme aide-géomètre au barrage de la Grande-Dixence.
En 1947, il épouse S. Corinna Bille, fille du peintre Edmond Bille, écrivain elle aussi. Depuis la mort de celle-ci, en 1979, il vit à l’abbaye du Châble, ex-résidence des abbés de Saint-Maurice.
Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Maurice Chappaz a publié de nombreux poèmes, des écrits sur le Valais («Chant de la Grande-Dixence», 1965, «Portrait des Valaisans», 1965) et des ouvrages polémiques («Les Maquereaux des cimes blanches», 1976).
Ses livres de deuil («Le Livre de C.», 1986) et ses récits («Le Garçon qui croyait au Paradis», 1989) illustrent la veine autobiographique de son œuvre.

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