
«Sévère» fut la mort d’Edouard Stern

Tué par sa maîtresse, en 2005, à Genève, le célèbre banquier français revit sous la plume de Régis Jauffret. L’écrivain parisien consacre à un fait divers retentissant son dernier roman paru aux éditions du Seuil. Douloureux et nauséeux.
Le 28 février 2005, Edouard Stern, banquier français richissime, appartenant au gotha de la finance internationale, est tué à son domicile genevois par sa maîtresse Cécile B. (Cécile Brossard).
Il est retrouvé le lendemain sur son lit, enveloppé d’une combinaison en latex, triste preuve d’un amour fétichiste et vestige d’ébats sadomasochistes auxquels le couple s’était livré la veille.
Le crime est alors répercuté à grands fracas dans la presse suisse et internationale. Les médias le savent: les lecteurs sont des charognards, ils aiment renifler les cadavres, frais de préférence. Il faut dire que le fait divers a toujours excité l’odorat des humains, celui des romanciers surtout qui, à la différence des lecteurs, apprécient les corps faisandés.
Récits sordides
Que d’affaires judiciaires exhumées par la plume des grands écrivains! De Flaubert (Madame Bovary) à Jacques Chessex (Un juif pour l’exemple), en passant par Jean Genet (Les Bonnes), la littérature francophone, pour ne citer qu’elle, regorge de récits sordides.
La liste des auteurs qui ont récrits des crimes est longue. On peut y inclure le nom de Régis Jauffret qui dans son dernier roman Sévère (Seuil), ressuscite donc Edouard Stern et fait revivre par la bouche de Cécile B. (appelée Betty dans le livre) une relation neurasthénique et tourmentée à laquelle l’amour manqua cruellement.
La Cour d’assises
Deux semaines après son crime, Cécile B. passe aux aveux. Elle est arrêtée. En juin 2005, elle comparaît devant la Cour d’assises de Genève, qui la condamne à huit ans et demi de prison.
Envoyé spécial de l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, Régis Jauffret suit alors les séances du procès. Reste aujourd’hui le souvenir des audiences, des paroles entendues. Jauffret les reprend, très librement, brode autour, de façon «sévère», n’épargnant à son lecteur aucune des humiliations, des frustrations, des dérives, ici sexuelles, qui ont ouvert la voie au meurtre.
«Les histoires d’amour échouent cahin-caha dans un bourbier». La narratrice et meurtrière le reconnaît. Elle se le dit dans cette voiture qui l’emmène vers l’aéroport d’où elle doit s’envoler pour Sydney.
Son amant a péri, elle s’en est sortie. C’est du moins ce que croit cette femme en cavale qui fuit Genève, «ville encaissée au creux des montagnes», pour un espace plus dégagé où le temps n’existe pas. Mais le temps la rattrapera.
En attendant, sa vie défile dans sa tête. Récit truffé de retours en arrière et malmené aussi bien par les secousses de cet avion qui file vers l’Australie que par les heurts autrefois violents entre les deux amants. Edouard Stern n’est jamais nommé comme tel dans le roman. Son identité se définit par ses faiblesses, quand ce n’est pas par ses défauts.
Un prédateur cynique
«Avide, avare, capricieux», «réformé pour troubles psychiatriques», ce «prédateur, dont le cynisme faisait l’admiration de la presse économique», se montrait très chiche avec sa maîtresse. Elle le mit à l’épreuve, un jour, en lui demandant un million de dollars, en signe d’amour. Il eut cette réponse: «C’est cher payé pour une pute». Elle tira à bout portant. Quatre balles.
Sévère n’est pas une reconstitution exacte des faits, ni un remake du procès. C’est une déambulation nauséeuse et douloureuse dans la tête d’une femme qui cherche à s’expliquer, durant le trajet entre Genève et Sydney, les raisons de son acte.
Jauffret délire avec son anti-héroïne, fascinée et dégoûtée par son amant. L’auteur remue la névrose sexuelle bien plus qu’il n’observe les mœurs d’une époque victime de ses fantasmes. Son roman envahit aujourd’hui l’espace journalistique, comme le fit l’assassinat d’Edouard Stern en 2005.
A l’époque, la presse rivalisait de commentaires sur l’événement. Depuis la sortie de Sévère , début mars, les échotiers littéraires s’en donnent à cœur joie. En Suisse romande comme en France, l’ouvrage jouit d’un battage médiatique impressionnant. A croire que le fait divers est un redoutable excitant. Son succès s’explique: il esquive les problèmes importants.
Ghania Adamo, swissinfo.ch
Banquier français, né à Paris en en 1954, assassiné à Genève le 28 février 2005.
Diplômé de l’ESSEC (Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales), Paris, il se lance à 22 ans dans les affaires.
Issue d’une lignée de banquiers, grand entrepreneur, il porte le patrimoine de sa famille au rang de 38e fortune de France.
En 1983, il épouse Béatrice David-Weill, fille de banquiers également, qui lui donnera trois enfants.
Il divorce en 1998.
En 2001, il fait la connaissance de Cécile Brossard, mariée à un chiropraticien. Elle devient sa maîtresse.
Le couple entretient pendant 4 ans une relation tourmentée, sadomasochiste, qui se termine par un meurtre.
Tué par son amante, Edouard Stern est enterré au cimetière israélite de Veyrier (GE).
«Sévère» de Régis Jauffret, Editions du Seuil, 160 pages.

En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.