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Sexe, drogue, punk… ou les romantiques des 70′

Andy Warhol, figure emblématique de la 'Downtown scene'. Edo Bertoglio

Dans "Face Addict", projeté en première mondiale à Locarno, le photographe suisse Edo Bertoglio évoque l’underground new-yorkais de la fin des années 70.

Vingt ans plus tard, il revient sur les lieux qui ont marqué sa jeunesse, lorsqu’il vivait dans l’entourage d’Andy Warhol, de Basquiat et… de la drogue.

Des polaroïds collés sur les murs. Les visages de Wendy Whitelaw, Andy Warhol, John Lurie, Debbie Harry (Blondie), Jean-Michel Basquiat, Walter Steding… Jeunes, libres, fous. Incurables romantiques – au sens premier du terme.

«Je me souviens de ces années, l’épidémie de la beauté et la contagion des idées (…). Je me souviens du sexe qui n’était pas politique. Je me souviens que tout semblait pouvoir être réinventé. Je me souviens que les mots sur les murs étaient de l’art», dit Glenn O’Brien dans le film.

On est en 1976. L’underground culturel new-yorkais est en plein essor. La «Downtown Scene» vit ses premières heures, celles qui verront émerger plus tard des personnalités comme Keith Haring ou Jim Jarmusch.

Les artistes s’installent au sud de Manhattan, à Soho et dans l’East Village. Libérés de toute pression, financière ou politique, musiciens, écrivains, peintres et photographes expérimentent et mélangent leurs productions. A grandes doses d’héroïne.

Parmi eux, Edo Bertoglio. Il partage ces instants et les immortalise. Il saisit des images, produit beaucoup. A grandes doses d’héroïne…

La drogue, outil de travail

«J’en étais arrivé au point au j’étais toujours en retard pour le travail, je devais annuler des rendez-vous, raconte la voix off d’Edo Bertoglio. Une trop grande partie de mon temps était occupé uniquement par la préoccupation de trouver de l’argent pour la drogue et me la procurer».

«80 dollars par jour. Puis 100… 140…» A l’image, les rues de New York, enneigées et embrumées, comme l’esprit ravagé par la drogue. «140 dollars plus 7 grammes de coke uniquement pour réussir à travailler. Désormais, je travaille juste pour arriver aux 200 dollars pour ma dose du lendemain. Deux billets. Chaque jour… Et puis, je ne travaille plus.»

Un jour, le photographe reçoit la visite de sa maman. «Elle a bien vu que quelque chose n’allait pas. Alors elle m’a dit ‘n’oublie jamais d’où tu viens’», se souvient Edo Bertoglio, que nous avons rencontré à Locarno, à quelques kilomètres de son lieu de naissance, Lugano.

«Je crois que ma renaissance est partie de là.» Après 14 ans passés à New York, travaillant comme photographe pour plusieurs revues, notamment «Interview» d’Andy Warhol, «Vogue», «Rolling Stone Magazine», Edo Bertoglio s’en va.

20 ans après

«J’ai quitté New York il y a quinze ans. Je suis un rescapé», dit le réalisateur au début du documentaire. «Aujourd’hui, j’ai trouvé un peu de sérénité. Mais il me manquait quelque chose. Un jour, il y a trois ans, j’ai décidé de rouvrir mes archives».

En 2000, le photographe fait sa valise et repart pour New York. Il y retrouve sa compagne d’autrefois, Maripol, et son ami Walter Steding, ancien assistant d’Andy Warhol, qui va le guider, 20 ans plus tard, dans les quartiers qui ont marqué leur jeunesse.

«Je voulais régler les comptes avec mon passé, clore un chapitre intense, et parfois difficile, de ma vie», explique le photographe. C’est de ce besoin qu’est né Face Addict. Littéralement: obsédé par les visages. Parce qu’«avant d’être obsédé par la drogue, j’ai été obsédé par les visages. Et New York en offrait un merveilleux catalogue.»

A travers les clichés saisis à l’époque et la musique – géniale – signée John Lurie et Franco Piersanti, le documentaire nous replonge dans cette atmosphère étrange et unique de la «Downtown scene». Couleurs primaires, situations absurdes, bâtiments industriels désaffectés, toits new-yorkais.

Lettre d’amour

Et aussi à travers les témoignages de ceux qui ont survécu à la drogue et au sida. Plus ou moins bien d’ailleurs.

La voix de Wendy Whitelaw, autrefois «fascinante diva à la beauté tapageuse», selon les termes d’Edo Bertoglio, est aujourd’hui écorchée par la fumée et dit mieux que tout les ravages de l’héroïne.

Le visage de Walter Steding aussi. Touchant, il nous met parfois mal à l’aise. «Oui, parce qu’il a 55 ans et il fait la même vie qu’il y a vingt ans, explique Edo Bertoglio. Il n’a pas de maison, une petite fille qu’il ne voit pas souvent. Il essaie de vendre ses tableaux, mais ne trouve pas de galeriste.»

«En même temps, c’est un personnage fort, avec une détermination qui inspire. Et puis, aujourd’hui, il s’est nettoyé de toutes ses dépendances. D’ailleurs, il est ici, avec moi, à Locarno…», ajoute avec tendresse le réalisateur.

Parce que Face Addict est avant tout une lettre d’amour à ses amis. C’est également un journal intime rédigé vingt ans plus tard. Le photographe se raconte avec un léger détachement. Et referme le livre pour mieux se tourner vers l’avenir.

swissinfo, Alexandra Richard à Locarno

Face Addict d’Edo Bertoglio. Projection en première mondiale vendredi 5 août au Festival international du film de Locarno

«Face Addict» (2005) d’Edo Bertoglio, avec Walter Steding, Glenn O’Brien, John Lurie, Maripol, Deborah Harry, Wendy Whitelaw, James Nares, Victor Bockris
Coproduction italo-suisse
Documentaire projeté vendredi 5 août en première mondiale au Festival international du film de Locarno
Evénement spécial, film hors compétition
Le film est accompagné d’une exposition de photos d’Edo Bertoglio et de tableaux de Walter Steding (Casorella, Locarno, 4-15 août)

– Edo Bertoglio est né en 1951 à Lugano, dans le canton du Tessin.

– Diplômé du Conservatoire Libre du Cinéma Français de Paris, il part ensuite étudier à Londres avant de s’installer à New York.

– Il y reste pendant 14 ans et travaille comme photographe pour la revue «Interview» d’Andy Warhol, ainsi que pour «Vogue», «Rolling Stone», etc. Il réalise aussi des clips vidéo et des pochettes de disques.

– En 1990, il quitte New York et se concentre sur la production audiovisuelle (documentaires pour la télévision et vidéos institutionnelles).

– En 2001, il réalise «Downtown 81», un portrait de Jean-Michel Basquiat, qui évoque les cultures émergeantes (hip-hop, graffiti, etc.) de la fin des années 80.

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