
Un Paul Klee méconnu à la Fondation Beyeler

La Fondation Beyeler expose les œuvres tardives de Paul Klee, décédé en Suisse en 1940.
Saisissant: face à la maladie et à ces années tragiques, le peintre trouve un nouveau langage, tout en gardant intact son humour et son ironie.
On se demanderait presque pourquoi elle arrive seulement maintenant, l’exposition Paul Klee à la Fondation Beyeler de Riehen (BS). Avec 700 tableaux ayant transité dans ses murs, sur une œuvre en comptant près de 9000, Ernst Beyeler est en effet le premier galeriste de Paul Klee.
Quant à sa collection privée, elle compte environ 20 toiles du maître, ce qui en fait le «numéro 2», derrière Picasso.
«La question est légitime et il est vrai qu’Ernst Beyeler désirait depuis longtemps une exposition Klee», répond le coordinateur de l’exposition Philippe Büttner.
«La fondation avait un projet d’exposition sur ‘Klee et la musique’ qui a été abandonné, poursuit l’historien d’art. Grâce au Sprengel Museum de Hanovre, qui a eu l’idée de montrer l’œuvre tardif, nous avons enfin pu concrétiser le projet.»
Bleu sombre
Ernst Beyeler s’est d’ailleurs beaucoup investi dans la préparation de l’exposition, comme l’a rappelé Christoph Vitali, directeur de la fondation, lors de la présentation aux médias. Il a notamment choisi le bleu sombre des murs d’exposition, une première dans la jeune histoire du musée.
Sur la centaine de tableaux présentés, environ 35 viennent de Berne, où s’ouvrira en 2005 le Centre Paul-Klee. «C’est la première fois depuis 1990 qu’un vue d’ensemble de l’œuvre tardif est exposée, rappelle Philippe Büttner. Souvent, des aspects isolés ont été privilégiés, comme les dessins, dont nous exposons d’ailleurs une petite partie.»
Chassé par les nazis
En collaboration avec le Sprengel Museum de Hanovre, la Fondation Beyeler a donc choisi de montrer les ruptures dans l’évolution de l’œuvre, des ruptures en résonance directe avec l’histoire tragique des années 30.
Le visiteur découvre d’abord quelques exemples de la période pointilliste du début des années 30, très colorée.
Mais en 1933, Paul Klee est congédié, par les nazis, de l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf où il enseignait depuis 1931. Il s’installe en décembre à Berne, ville de son enfance. Dès lors, sa palette s’assombrit, son style se modifie. De gros traits noirs apparaissent.
En 1935, Pau Klee apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable, dont on ne connaîtra le nom qu’après sa mort, cinq ans plus tard: la sclérodermie progressive.
Prostration et énergie
«Etranger dans son propre pays, il devient aussi étranger dans son propre corps, car son système immunitaire s’attaque aux cellules saines», explique Philippe Büttner.
Après une année 1936 où il ne peint presque pas, Paul Klee retrouve des forces et une énergie créatrice imprerssionnante: il réalise 1253 travaux en 1939 et peint ses plus grands formats.
Beaucoup de tableaux exposés semblent reflèter les pensées du peintre face à la mort proche, ce qui rend l’exposition très émouvante. Les motifs d’anges se multiplient.
«Une porte» (Ein Tor, 1939), tableau tout en gris, pourrait annoncer le passage dans un autre monde. «Sainte, vue d’une fenêtre» semble aussi être une rencontre avec l’au-delà.
Touche d’ironie
«On voit bien dans ce tableau, coloré et souriant, que Klee n’est jamais morbide, précise Philippe Büttner. Il traite des mythes et des grands sujets religieux, mais en y mêlant toujours une touche d’ironie ou en mélangeant les genres.»
Autres tableaux colorés: «Un jeu d’enfant» (1939), ou «Bâteaux-plaisir sur le canal» (1940). «Trouver de nouvelles formes d’expression au milieu de la souffrance a aussi certainement été une victoire», dit l’historien d’art.
Mais Klee savait qu’il allait mourir, «et il pensait que le monde autour de lui allait mourir», selon Christoph Vitali. C’est peut-être en espérant une délivrance qu’il peint une toile sans titre et qu’Ernst Beyeler a baptisé «Captive, personnage au-delà/en-deça» et qui orne l’affiche de l’exposition.
Création libérée
Dans le catalogue, Ernst Beyeler s’explique sur son goût pour les œuvres tardives des peintres, très présentes dans sa collection. «Les dernières œuvres sont une sorte de somme de la vie artistique de leurs auteurs», dit-il.
«Chez les tout grands, l’œuvre tardif dilue les structures employées jusque-là et suscite, parfois, de nouvelles visions à caractère visionnaire, qui lancent de nouveaux mouvements, comme Cézanne pour le cubisme et Monet pour l’abstraction.»
swissinfo, Ariane Gigon Bormann à Bâle.
-«Paul Klee, l’accomplissement dans l’œuvre tardive»: à voir à la Fondation Beyeler de Riehen (accessible en tram depuis la gare principale de Bâle) du 10 août au 9 novembre, puis au Sprengel Museum de Hanovre du 23 novembre au 15 février 2004.
-Paul Klee est né en 1879 à Münchenbuchsee, près de Berne.
-En 1911, il participa à la seconde exposition du «Cavalier bleu» avec Kandinsky.
-Il enseigne au Bauhaus entre 1920 et 1930.
-En 1931, il est engagé à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf, dont il sera chassé en 1933 par les nazis.
-Avec sa femme Lily, il s’installe à Berne dans la maison de ses parents, en décembre 1933.
-Sa maladie se déclare en août 1935. Il ne peindra pratiquement plus jusqu’en avril 1936. Convalescence en Engadine et à Montana.
-Paul Klee demande la nationalité suisse en 1939. Il l’obtiendra peu de temps après sa mort, le 29 juin 1940 à Locarno, où il était venu en cure.

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