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Roberto Balzaretti: «Nous n’avons pas voulu vexer la France»

Roberto Balzaretti sur son vélo devant le lac Léman
L'ambassadeur de Suisse en France Roberto Balzaretti à vélo au bord du lac Léman, lors de la première étape de son projet "En route avec la Suisse", en mars. © Keystone / Salvatore Di Nolfi

Les relations franco-suisses ont connu quelques remous l’an dernier, notamment à la suite de la décision suisse de ne pas acheter le Rafale français. L’ambassadeur de Suisse en France, Roberto Balzaretti, qui a débuté un tour de France à vélo, assure que «cet épisode est désormais derrière nous».

Refus de l’accord-cadre avec l’Union européenne (UE) et avion de combat français recalé. Des éléments de tensions se sont récemment à nouveau invités dans les relations franco-suisses. L’ambassadeur de Suisse en France, Roberto Balzaretti, estime cependant que les deux pays continuent à entretenir de bons rapports. Il observe d’ailleurs ces liens forts entre voisins en parcourant l’Hexagone à vélo. 

Né au Tessin en 1965, Roberto Balzaretti a pris ses fonctions d’ambassadeur en France en décembre 2020. Avant de prendre ses quartiers à Paris, il a notamment occupé les postes de secrétaire général du département fédéral des Affaires étrangères, ainsi que d’ambassadeur et chef de la mission suisse auprès de l’UE, à Bruxelles. En novembre 2018, secrétaire d’État chargé du dossier européen, il avait finalisé l’accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne. © Keystone / Salvatore Di Nolfi

swissinfo.ch: Ce printemps, vous avez lancé le projet «En route avec la Suisse»Lien externe. Vous sillonnez les routes de France avec un vélo à assistance électrique, en douze étapes de plusieurs jours, réparties sur deux ans. Qu’attendez-vous de ce projet?

Roberto Balzaretti: Le but est avant tout d’aller à la découverte d’initiatives franco-suisses, à la rencontre de Suisses qui sont actifs en France et permettent aux deux pays d’avancer ensemble. Cela peut être un vigneron, un entrepreneur, un importateur de fromage, un artiste ou encore un scientifique. L’idée est de montrer que nos deux pays sont non seulement des voisins d’un point de vue géographique, mais ce sont aussi deux réalités sociales et économiques fortement imbriquées.

Sur votre vélo, vous traversez la campagne française. Ces zones rurales qui se sentent souvent délaissées par l’État et qui ont tendance à voter pour l’extrême droite. Quelles impressions avez-vous eues de ces régions?

Au cours des deux premières étapes, je n’avais pas du tout un sentiment de territoires délaissés. Toutefois, nous veillerons aussi à traverser des zones moins privilégiées, qui composent ce qu’on surnomme «la diagonale du vide»*. L’urbanisation et la concentration des ressources économiques ne sont pas seulement un problème en France, mais aussi en Suisse. Nous ne devons pas oublier que l’essor économique ne peut pas se faire aux dépens de zones moins centrales, comme les régions de montagnes ou les vallées en Suisse. Cependant, je suis un voyageur qui observe, sans porter de jugement. J’essaie aussi de voir où sont les points de convergences et les possibilités. Nous pouvons être le trait d’union entre la réalité française et les entreprises suisses, et l’inverse également. C’est aussi cela l’objectif du projet.

>> Roberto Balzaretti explique son projet dans une vidéo:

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À propos de trait d’union,dans les sondages, les électeurs et électrices français réclament souvent un recours plus fréquent au référendum. La France d’Emmanuel Macron serait-elle prête à introduire un référendum à la Suisse?

Vous devez poser cette question aux autorités françaises. Les éléments de participation démocratique à la prise de décision sont essentiels, que ce soit à travers des votes directs, comme chez nous, ou à travers l’élection d’élu-es qui après décident, comme en France. Le président Emmanuel Macron a, par exemple en matière d’environnement, promu des initiatives citoyennes, des groupes de personnes qui réfléchissent et font des propositions. Cependant, le système suisse est très particulier, et on peut difficilement prendre un élément de la démocratie directe et l’intégrer à un système parlementaire. Ce n’est pas aussi simple que cela. En revanche, il faut prendre des décisions qui sont proches de ce que le peuple souhaite. Il faut parfois convaincre les gens, car s’ils ne sont pas d’accord, soit ils n’appliqueront pas la loi correctement, soit on verra émerger des mouvements de protestation. 

En juin 2021, la Suisse a vexé la France en refusant d’acheter l’avion de combat français Rafale, lui préférant le F-35 américain. Les relations diplomatiques se sont-elles compliquées depuis lors?

Nous n’avons pas voulu vexer la France. Après l’appel d’offres, le Conseil fédéral a pris la décision d’acheter un avion de combat américain sur la base de critères objectifs. Nos évaluateurs ont établi que le F-35 était moins cher et plus performant que le Rafale, et le gouvernement les a suivis. Je peux comprendre que la décision soit difficile à accepter pour la France, parce que nous avons des liens économiques et sociaux importants et une multitude de dossiers qui nous lient. Compte tenu de l’étendue et de la profondeur de nos relations, certains s’attendaient à ce que la Suisse puisse privilégier un avion produit par un voisin. Sans vouloir parler au nom des autorités françaises, je crois pouvoir dire que cet épisode est maintenant derrière nous.

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La Suisse a aussi enterré l’accord-cadre avec l’UE, un dossier dans lequel vous vous êtes engagé comme ancien secrétaire d’État chargé du dossier européen. Est-ce un élément de tensions diplomatiques entre la France et la Suisse?

Il va de soi que la France, un pays voisin qui assure de surcroît la présidence de l’UE, suit de près les relations Suisse-UE. L’UE nous a demandé de faire de nouvelles propositions concrètes, ce que nous avons fait. Ces dernières sont actuellement discutées lors des entretiens exploratoires que nous menons avec l’UE. Pour l’instant, nos échanges ont montré que nous avons encore des divergences de vues quant à la manière d’atteindre notre objectif commun, à savoir avoir des accords qui continuent à fonctionner. Il est dans l’intérêt de la Suisse, de l’Union européenne et donc de la France d’avoir de nouveaux accords et d’éviter des mesures inappropriées et contre-productives comme la suspension de l’accord sur la recherche. Il vaut mieux se donner le temps de trouver une bonne solution plutôt que de précipiter les choses. La France le comprend.

On ne peut donc pas dire que les relations franco-suisses sont au plus bas?

Non, nous continuons à entretenir de bonnes relations avec la France. Les difficultés ne viennent pas de là, mais de la complexité des dossiers.

«Si quelques volets de certains accords ne fonctionnent pas, c’est en partie à cause des mesures prises par l’Union européenne à notre égard»

Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse en France

Emmanuel Macron est un europhile convaincu et sa réélection fait véritablement de lui le leader de l’UE. Or la guerre en Ukraine a subitement rapproché les pays du vieux continent. Avec le refus de l’accord-cadre, la Suisse n’est-elle pas en train de s’éloigner irrémédiablement de la France et de ses voisins, au risque de s’isoler durablement?

Le projet d’accord institutionnel n’était pas porté par une majorité au niveau de la politique intérieure suisse. C’est pourquoi le Conseil fédéral a décidé de travailler sur une autre proposition afin de consolider la voie bilatérale. Il faut par ailleurs souligner que la Suisse est entièrement solidaire avec la position de l’Europe concernant la guerre en Ukraine. Nous sommes également sur la même longueur d’onde lorsqu’il s’agit de gouvernance internationale, d’État de droit, de protection des minorités, etc. Je rappelle aussi que les accords bilatéraux que nous avons conclus en 1999 et 2004 sont en vigueur et fonctionnent: les personnes, les marchandises, les services circulent.

Si quelques volets de certains accords ne fonctionnent pas, c’est en partie à cause des mesures prises par l’Union européenne à notre égard, que nous considérons comme contre-productives, comme la décision de ne pas renouveler l’accord de reconnaissance mutuelle [un accord qui ouvre le marché pour de nombreux produits industriels, parmi lequel figurent les dispositifs médicaux]. À part cela, les choses fonctionnent. Il n’est donc pas correct de prétendre que la Suisse veut s’éloigner de ses voisins européens. Au contraire, la proposition d’un «paquet élargi» de négociations du Conseil fédéral touche davantage de domaines de coopération, comme l’électricité, la santé ou encore la sécurité alimentaire.

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Pendant la pandémie, les deux pays se sont entraidés notamment en procédant à des échanges. En temps de crise, la collaboration entre la Suisse et la France fonctionne?

Elle fonctionne bien même en dehors d’une crise. Mais au début de la crise, le réflexe de tout le monde a été de se replier, de tout fermer, le temps de comprendre ce qui était en train de se passer. Avec la France, la collaboration s’est rapidement mise en place. Nous avons surtout réussi à élaborer rapidement des règles spécifiques pour les travailleurs frontaliers. Il était fondamental pour les deux pays de trouver des solutions pragmatiques dans ce domaine, afin d’éviter de causer de graves dégâts à l’économie de l’un et de l’autre. Nos bonnes relations avec la France ont rendu cela possible.

La Suisse et la France ont notamment conclu un accord amiable pour permettre aux frontaliers en télétravail de continuer de profiter des régimes sociaux et fiscaux habituels. Les frontaliers pourront-ils continuer à en bénéficier sur le long terme?

Pour l’instant, l’accord a été renouvelé jusqu’à fin juin 2022. Il s’agit toutefois de l’un des dossiers prioritaires dont nous devons nous occuper. Il faut que nous arrivions à pérenniser cette solution, car la pandémie a changé rapidement le monde du travail. Comme le cadre légal n’est pas adapté au télétravail transfrontalier, nous sommes en train de réfléchir à des solutions avec la France.

* La diagonale du vide est une large bande du territoire français allant de la Meuse aux Landes où les densités de population sont relativement faibles par rapport au reste de la France.

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