
Entre les hôtels et Booking.com, c’est «je t’aime, moi non plus»

Les hôtels suisses versent chaque année des millions de francs à Booking.com, en se plaignant d'une dépendance croissante. Malgré la visibilité offerte, le secteur entretient des relations difficiles avec le géant de la réservation, qui défend sa politique de prix.
(Keystone-ATS) Pour le directeur de l’association Hotelleriesuisse, Christian Hürlimann, Booking.com est à la fois «une bénédiction et une malédiction». Dans un entretien à AWP, le patron de la faîtière concède que les petits établissements n’ont guère d’autre alternative pour s’assurer une petite place sur un marché très concurrentiel.
Les commissions réclamées par le groupe néerlandais constituent le pomme de discorde. Lors de son entrée sur le marché suisse, la plateforme ponctionnait 2% du montant des réservations, «ce qui était très attrayant pour les hôtels», considère M. Hürlimann. En 2008, la part exigée par Booking.com atteignaient déjà 8%. «Aujourd’hui, les commissions sont comprises entre 12 et 18%, voire 30% avec les prestations supplémentaires.»
Le directeur de l’association chiffre à 150 millions de francs les redevances payées par le secteur, dont les trois quarts vont à Booking.com.
La fin de la clause de parité a détérioré la relation déjà tendue entre les professionnels de l’hébergement et le géant hollandais. Cette disposition – proscrite en Suisse depuis 2022 – obligeait les hôtels à ne pas proposer sur leur propre site Internet des prix inférieurs à ceux pratiqués sur Booking.com. Le groupe continue malgré tout de contourner l’interdiction par des pratiques indirectes et subtiles, affirme M. Hürlimann.
Une situation qui a poussé la branche à interjeter un recours au niveau européen contre la plateforme, avec l’espoir d’obtenir des dommages-intérêts pour les hôtels et, surtout, lui envoyer un signal fort en faveur de meilleures conditions.
«La distribution n’est jamais gratuite»
Au-delà de cette procédure, Hotelleriesuisse fournit aux professionnels des conseils visant à réduire la dépendance vis-à-vis des géants mondiaux de la réservation en ligne. Cela passe notamment par le contenu proposé sur le site Internet des établissements, respectivement la présence d’images. Les moteurs de recherche comme Google misent de plus en plus sur l’intelligence artificielle qui a tendance à afficher en priorité les pages présentant le contenu jugé comme le meilleur.
Afin de se démarquer, la faitière recommande également de proposer des prestations gratuites, comme des forfaits de ski ou des soins, qu’en cas de réservation directe auprès de l’hôtel. Les établissement doivent surtout se montrer réactifs. «Si un hôtel ne répond aux demandes qu’après douze jours, c’est trop long», tranche Christian Hürlimann.
Chercheur en tourisme à l’Université de Saint-Gall, Christian Laesser rappelle une règle de base de l’effet de réseau: plus il y a d’utilisateurs, plus le site est attrayant. «La distribution n’est jamais gratuite», ajoute-t-il. M. Laesser estime que Booking.com ne profite pas pour autant d’une position monopolistique. «Nous en sommes loin», selon lui. La plateforme est l’acteur le plus important d’un oligopole constitué de plusieurs prestataires.
Et les alternatives existent selon M. Laesser: les compagnies aériennes proposent déjà des offres groupées composées de billets d’avions et de nuitées. Les moteurs de recherche, eux, redirigent habituellement sur les sites Internet des hôtels. Le chercheur souligne aussi que de nombreux clients passent par Booking.com, puis ensuite réservent directement auprès de l’établissement. «Ils savent qu’ils auront ainsi plus de marge de négociation si le service n’est pas à la hauteur.»
Pour sa part, le groupe d’Amsterdam se défend d’être trop gourmand. «Nos prix reflètent la valeur que nous offrons à nos partenaires hébergeurs», assure-t-on auprès de la plateforme. Le patron d’Hotelleriesuisse Christian Hürlimann rétorque pour sa part que ce sont ceux qui paient le plus qui sont les mieux référencés, «alors que ce sont les hôtels offrant le meilleur service qui devraient apparaître en tête».
Si les tensions existent, la faîtière ne mène pas pour autant une lutte acharnée contre ce partenaire. «Les plateformes de réservation sont des canaux de distribution importants», plaide M. Hürlimann qui exige néanmoins des conditions équitables, tout en regrettant un rapport de force défavorable à la branche hôtelière.
Booking.com a étendu son offre récemment, proposant un «voyage connecté» qui comprend l’hôtel, les vols, les attractions et les transports. Au deuxième trimestre 2025, le géant a augmenté son chiffre d’affaires de 30%.