Béatification du pape Pie IX très controversée en Suisse

Concepteur de Vatican I, Pie IX est l’antithèse de Jean XXIII. Keystone

La béatification, dimanche, à Rome, du pape Jean XXIII fait l'unanimité en Suisse. Au contraire de celle du pape Pie IX qui suscite l'incompréhension, voire une certaine amertume.

La béatification de Pie IX soulève bien des critiques. Ne serait-ce que pour le rôle politique qu’il a joué entre 1846 et 1878. Ses positions réactionnaires sont en effet restées tristement gravées dans l’histoire.

Pour mémoire, Pie IX a notamment fait réprimer dans le sang la République romaine de 1849 et prouvé, par bien des actes, son antisémitisme et son refus de la démocratie.

Par ailleurs, au plan religieux, Pie IX a été le concepteur de Vatican I. Il représente en quelque sorte l’anti-Jean XXIII, l’initateur de Vatican II et de l’oecuménisme.

Pour la Conférence des évêques suisses, la béatification simultanée de deux papes que tout semble opposer est pourtant logique. Il s’agit en effet de mettre en avant la rigueur de la foi catholique exprimée par Vatican I, tout en soulignant la tolérance, l’ouverture d’esprit de Vatican II. Et, par là même, de rappeler qu’il existe une continuité entre les deux conciles.

Par ailleurs, l’Eglise catholique suisse relativise les critiques exprimées à l’égard de Pie IX. Elle estime qu’il faut replacer le personnage dans son contexte historique. Un avis qui n’est guère partagé en Suisse.

Nombres de théologiens, même catholiques, crient en effet au scandale. Pour Markus Ries, historien de l’Eglise à l’Université de Lucerne, Pie IX ne remplit absolument pas les critères pour être proposé comme modèle aux fidèles et être vénéré. Sa béatification aura donc des conséquences néfastes.

Pour l’Association des historiens de l’Eglise catholique de langue allemande, «la béatification de Pie IX est une manière de désavouer toutes les déclarations de Vatican II et de Jean-Paul II sur les droits de l’homme et les relations entre l’Eglise et les Juifs». Des propos rejetés par la Conférence des évêques suisses, qui rappelle que la béatification d’une personne est une affaire intérieure à l’Eglise catholique et non un signe destiné à l’extérieur.

N’empêche, la Fédération suisse des communautés israélites réagit vivement. Selon Martin Rosenfeld, secrétaire général de la Fédération, «la béatification de Pie IX est un pas en arrière par rapport aux dernières démarches faites par Jean-Paul II, notamment lors de son voyage en Israël.»

Du côté de la Fédération des Eglises protestantes suisses, les critiques fusent tout autant. Raymond de Rahm, son vice-président, juge tout simplement que d’un point de vue protestant, «Pie IX n’était pas un chrétien fidèle au Christ».

Les partisans de l’oecuménisme sont eux aussi farouchement opposés à cette béatification. Il faut dire qu’en instaurant l’infaillibilité papale et l’immaculée conception de Marie (un dogme qui reste relativement peu connu), Pie IX a signé la rupture «définitive» entre catholiques romains et catholiques chrétiens. Il a, en outre, largement détérioré les relations entre catholiques, protestants et orthodoxes.

Enfin, le jésuite Albert Longchamp, rédacteur en chef de l’Echo Magazine, estime que cette béatification est «consternante». Qu’elle ternit du coup celle de Jean XXIII. Et qu’elle n’est finalement que l’expression d’une lutte d’influence au sein du Vatican.

Un avis corroboré par bien d’autres personnalités qui parlent toutes de «manoeuvres politiques» au Saint-Siège. Des manoeuvres qui visent à séduire toutes les tendances.

Imperméable aux critiques, lors de la cérémonie de béatification dimanche matin au Vatican, le pape Jean Paul II a défendu la mémoire du pape Pie IX, affirmant que ce souverain pontife a été «très aimé mais aussi détesté et calomnié». «Pie IX, alors qu’il se trouvait plongé dans les événements turbulents de son époque, fut un exemple d’adhésion inconditionnelle à la Vérité révélée et immuable», a affirmé Jean Paul II.

Catherine Miskiewicz