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La Turquie européenne? Réactions nuancées

Un pont jeté entre l’Europe et la Turquie? Ici, le Bosphore. Keystone Archive

Le Secrétaire d’Etat Franz Däniken, tout comme la presse suisse, réagit à la recommandation de la Commission européenne d'ouvrir des négociations d'adhésion avec la Turquie.

La question n’aura pas d’influence sur l’agenda helvétique… Mais peut-être bien sur l’opinion populaire.

La perspective de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) n’influencera pas la politique européenne de la Suisse, estime le secrétaire d’Etat Franz von Däniken. «Nous avons notre propre agenda», a-t-il déclaré mercredi à l’ATS.

La Commission européenne a en effet recommandé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie, sans relâcher la pression sur les autorités d’Ankara pour qu’elles tiennent leurs engagements de réformes.

Le texte de la recommandation, qui servira de base à la décision des dirigeants européens réunis le 17 décembre à Bruxelles, répond à la question posée par la Turquie dès 1963, et à la demande formelle d’adhésion effectuée en 1987.

Mais, prenant en compte les réticences émises côté européen, Ankara devra attendre au moins 2014 avant une entrée… qui n’est même pas garantie.

Pas de lien direct

Pour Franz von Däniken, «il est tout simplement prématuré de parler maintenant des répercussions d’une future adhésion de la Turquie sur l’avenir de la politique européenne de la Suisse. (…) C’est à la lumière des discussions à l’intérieur du pays que l’on va décider des étapes à suivre», a-t-il expliqué lors d’une visite à Bruxelles.

Selon certains, l’éventuelle adhésion de la Turquie pourrait être utilisée par les milieux anti-européens en Suisse en devenant un argument supplémentaire pour lutter farouchement contre tout rapprochement avec l’UE.

Franz von Däniken estime plutôt que l’attitude en Suisse vis-à-vis de l’Union dépendra surtout «de l’application des accords bilatéraux conclus récemment avec l’UE». «Je ne vois pas aujourd’hui un lien direct entre la future adhésion de la Turquie et la politique européenne de la Suisse durant les prochaines années», a-t-il répété.

Interrogé sur la décision prise par la Commission européenne de poursuivre l’élargissement de l’UE, le secrétaire d’Etat a souligné que la future Union sera «renforcée» par cette évolution, avec des «chantiers» très importants comme ceux de la migration ou de la coopération judiciaire. En revanche, un «dénominateur commun» sera plus difficile à trouver en matière de politique étrangère.

Inquiétudes en Suisse



Mais l’élargissement à un pays musulman, riche vraisemblablement de 86 millions d’habitants en 2020, suscite néanmoins des inquiétudes en Suisse, relevées par la presse du jour.

«Une possible adhésion entraînerait que tous les accords bilatéraux – y compris la libre circulation des personnes, Schengen etc. – seraient étendus à la Turquie. La Suisse serait donc alors évidemment concernée par les réformes de l’UE», peut-on lire dans le Tages Anzeiger.

Le Temps met le point sur un aspect moins pragmatique et plus philosophique: «Avec la ‘question turque’, l’Europe interroge ses frontières (l’Irak et la Syrie pour voisins directs demain?), mais encore bien plus que cela: parviendra-t-elle à assumer sa dimension musulmane en abandonnant la notion de ‘club chrétien’?» écrit Serge Enderlin.

Lequel parle plus loin de «séisme philosophique que va provoquer l’ouverture des discussions, désormais inévitables, à l’aune des promesses formulées».

Dans la Tribune de Genève, c’est l’humour qui est au rendez-vous. Dans un dessin de presse signé Herrmann, un armailli, symbole du conservatisme helvétique ambiant, se fend de cette remarque: «Je me demande si on n’aurait pas dû adhérer à l’UE… pour pouvoir refuser la Turquie»!

Reconstruction et bikini


Dans 24 Heures, ce sont également les principaux intéressés qui s’expriment. Ainsi, Kadri Ceylan, responsable du Centre culturel kurde de Lausanne, attend impatiemment l’ouverture de négociations d’adhésion: « Depuis deux ans, les réformes annoncées par le gouvernement ne se concrétisent pas sur le terrain. Il est donc grand temps que l’Union européenne mette la pression sur Ankara».

Et lorsqu’on lui demande si les Kurdes de Lausanne rentreraient au pays si l’a Turquie adhérait à l’UE, il répond: «Oui, c’est notre patrie! Mais il faudra que l’Europe aide à la reconstruction économique de ces régions sinistrées!»

Toujours dans le quotidien vaudois, Mehmet Karagülle, président des Turcs de Lausanne, ne comprend pas, quant à lui, que la Turquie ait peut-être à attendre encore 10 à 15 ans pour rejoindre l’UE… Car pour lui, l’écart entre son pays et l’Europe occidentale n’est pas si profond…

«Aller boire une bière ou aller prier à la mosquée, mettre une minijupe ou le voile, ce sont des choix personnels. Dans des villes turques, j’ai vu cet été des personnes se promener en bikini, vous voyez ça à Lausanne, vous? Bien sûr, il y a un gros écart entre les zones urbaines et la campagne. Mais c’est la même chose en Suisse.»

swissinfo et les agences

La Commission européenne a recommandé mercredi d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie.
Le texte de la recommandation servira de base à la décision des dirigeants européens réunis le 17 décembre à Bruxelles.
Il répond à la question posée par la Turquie dès 1963, et à la demande formelle d’adhésion effectuée en 1987.
A travers les accords bilatéraux, la Suisse serait évidemment concernée par un élargissement de l’UE à la Turquie.

– En cas d’adhésion, avec environ 86 millions d’habitants en 2020, la Turquie deviendrait le pays le plus peuplé de l’UE.

– Pour les opposants, elle apporterait un pôle musulman inquiétant à l’UE, et son adhésion coûterait très cher.

– Pour les partisans, l’UE ne peut pas indéfiniment reporter ses engagements, et la Turquie représente un énorme intérêt géopolitique pour l’Europe.

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