
La France s’enfonce dans la crise après la démission de Lecornu

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu, privé de soutien parlementaire, a démissionné lundi quelques heures après l'annonce de son gouvernement. Cette décision marque un nouvel épisode d'une crise politique sans précédent depuis des décennies en France.
(Keystone-ATS) Vingt-sept jours après sa nomination, Sébastien Lecornu devient le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République. Le président Emmanuel Macron, lui, est confronté à une instabilité inédite sous ce régime, les gouvernements tombant les uns après les autres depuis la dissolution de l’Assemblée nationale qu’il a décidée en juin 2024 et qui a consolidé la division du pays en trois blocs violemment opposés dont aucun ne peut prétendre gouverner.
Fidèle du chef de l’Etat et réputé fin négociateur, nommé pour tenter de composer un troisième gouvernement en un an, M. Lecornu a devancé l’implosion de sa fragile coalition gouvernementale de centre-droit, anticipant un départ de la droite républicaine, insatisfaite de la composition de l’exécutif retenue.
«Les conditions n’étaient pas remplies», a-t-il déclaré dans un discours, au cours duquel il a déploré les «appétits partisans». «Les partis politiques continuent d’adopter une posture comme s’ils avaient tous la majorité absolue à l’Assemblée nationale», a-t-il estimé, en affirmant qu’il s’était pourtant montré «prêt à des compromis».
De quoi lasser un peu plus les Français. «C’est vraiment la cour de récré. C’est hyper fatigant, on a besoin de stabilité, vraiment, il nous faut quelque chose de carré et qui tienne», a réagi dans les rues de Lyon (centre-est), Emmanuel Bonifay, chargé de recrutement, tandis qu’Hamdi Beniattou, consultant de 30 ans, se disait «outré par la situation». «On est un peu dégoûtés et on s’intéresse de moins en moins à ce qui se passe», renchérissait Chantal Jacquet, une retraitée de 74 ans.
«Chaos politique et budgétaire»
L’impasse politique aggrave la situation financière désastreuse de la deuxième économie de la zone euro, qui affiche une dette de 3400 milliards d’euros (115,6% du PIB). Les marchés financiers s’inquiètent de l’instabilité de la France «sans surprise, compte tenu du chaos politique et budgétaire», selon Mujtaba Rahman, du cabinet d’analyse Eurasia Group.
«La fracture au sein du Parlement rend presque impossible l’adoption d’un budget visant à réduire le déficit», juge Jack Allen-Reynolds, analyste de Capital Economics. «Si on avait encore des interrogations sur la dégradation de la note française par les agences de notation, désormais on n’a plus de doute», déclare à l’AFP John Plassard, analyste de Cité Gestion Private Bank.
La démission de M. Lecornu a fait bondir le coût de l’emprunt français à dix ans, passé au-dessus de celui de l’Italie, tandis que l’écart avec l’Allemagne, la référence européenne, s’est creusé. L’euro a chuté, et sur les marchés actions, le CAC 40 était en net repli avec des valeurs financières chutant de plus de 4% à la mi-journée.
La crise politique française inquiète aussi les partenaires européens, comme l’Allemagne, qui a rappelé lundi qu’une «France stable est une contribution importante pour l’Europe». «Je me suis crue dans un sitcom ce matin», commentait une diplomate européenne à Bruxelles. «Oui, bien sûr il y a de l’inquiétude, mais il y en a depuis les européennes. Et il y en aura jusqu’en 2027, voire au-delà».
Trois options pour Macron
Désormais, la balle est dans le camp d’Emmanuel Macron. «Il n’a en réalité que trois options, toutes risquées: nommer un nouveau Premier ministre, convoquer des élections législatives anticipées ou avancer l’élection présidentielle d’avril/mai 2027 pour tenter de sortir de l’impasse», selon M. Rahman.
«Nous devons garder notre calme et penser aux Français», a réagi lundi Michel Barnier, lui-même renversé par l’Assemblée nationale au bout de trois mois à la tête du gouvernement (septembre-décembre 2024).
Le patron du parti de droite Les Républicains (LR) Bruno Retailleau, qui venait d’être reconduit au ministère de l’Intérieur au terme de longues tractations, a accusé M. Lecornu de lui avoir «caché la nomination de Bruno Le Maire» comme ministre des Armées, ce qui pose «un problème de confiance». Ministre de l’Économie de 2017 à 2024, ce dernier est un symbole pour la droite du dérapage budgétaire des gouvernements macronistes.
La cheffe de file de l’extrême droite française Marine Le Pen a jugé lundi «absolument nécessaire» une nouvelle dissolution de l’Assemblée, estimant également qu’une démission d’Emmanuel Macron était la «seule décision sage». Le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon a demandé l’examen «immédiat» d’une motion de destitution du président.