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Le röstigraben, version scientifique

Détail de la couverture du livre "Mariage de Raison" de Christophe Büchi. Christophe Büchi

Réunie jusqu'à vendredi entre Zurich et Prangins, une brochette de scientifiques fait le point sur la fracture entre Suisse alémanique et Suisse latine.

Le Musée national et le Forum Helveticum consacrent une conférence d’experts au Röstigraben. Depuis mardi et jusqu’à vendredi – à Zurich d’abord, puis au Château de Prangins -, une trentaine de spécialistes en archéologie, en numismatique, en culture populaire, en histoire, en politologie et en géographie vont tenter d’éclairer ce phénomène helvétique.

Mardi soir, c’est Christophe Büchi, correspondant romand de la NZZ, qui a ouvert les feux. Pour lui, le terme röstigraben est une “métaphore bancale”, simplement parce que l’on mange des röstis dans toute la Suisse.

Une explication possible du succès de la formule se trouverait donc dans le terme lui-même. En parlant de «fossé de rösti», en même temps, on dramatise (le fossé) et on dédramatise (les röstis) ce qui sépare les Suisses. L’expression est à la fois courte, concise et ironique.

«Röstigrabologue»

Né à Fribourg – sur, ou plutôt au fond du fossé de rösti -, Christophe Büchi vit actuellement à Lausanne. Son statut de journaliste alémanique en Romandie en fait en quelque sorte un «röstigrabologue».

Mais ce n’est pas dans ses articles qu’il pouvait traiter en détail la question des différences entre la toute-puissante Suisse alémanique et la petite Suisse latine. C’est pourquoi il a consacré au sujet un pavé de 300 pages. Son titre: «Röstigraben», traduit en français par «Mariage de raison».

L’auteur y décrit le chemin difficile de la Confédération, depuis ses débuts hésitants jusqu’à l’actuel «mariage de raison entre époux irrités» qui risque de devenir le problème de ce pays plurilingue.

Le temps des guerres

Selon Christophe Büchi, l’apparition de cette Suisse tolérante que sanctifient les discours politiques, de ce pays où langues et cultures cohabitent pacifiquement est d’abord une conséquence des crises et des guerres. Et les premiers Suisses ont su se montrer aussi sanguinaires quand il s’agissait de combattre un ennemi commun que quand ils se faisaient la guerre entre eux.

«Si l’on regarde le comportement des confédérés entre 1291 et 1481, on a peine à s’imaginer que la Suisse va devenir ce fameux berceau de la Croix-Rouge. Et le fait même qu’il existe une Suisse romande est historiquement le résultat de calculs, du hasard et des rapports de force», écrit l’auteur.

Les mythes revisités

Le livre de Christophe Büchi revisite certains des mythes fondateurs de la Suisse. Il prend nettement ses distances avec l’histoire que nous avons apprise à l’école, le personnage de Guillaume Tell vu par Schiller ou la rhétorique traditionnelle des discours du 1er août.

L’école d’ailleurs a parfois plus tendance à séparer les cultures qu’à les unir. Christophe Büchi cite à cet égard l’exemple de la polémique soulevée en 1997 par Ernst Buschor. A l’époque, le directeur de l’instruction publique zurichoise a voulu introduire l’anglais – langue de l’économie – comme seconde langue dans les petites classes en lieu et place du français, langue nationale.

Vue de Zurich, l’idée de Buschor a pu passer pour la gaffe d’un conseiller d’Etat trop proche des milieux d’affaires. Mais la Suisse latine n’a pu s’empêcher d’y voir une preuve supplémentaire de l’arrogance alémanique.

Les votations qui séparent

Le fossé entre Suisse alémanique et Suisse romande s’est naturellement élargi le 6 décembre 1992, après le verdict sur l’Espace économique européen. L’objet a été refusé par 50,3% des votants, alors que tous les cantons romands l’avaient accepté. Le Tessin, par contre, a voté avec la Suisse alémanique.

Ce dimanche de votation est devenu le «dimanche noir» de tous les europhiles, et particulièrement en Romandie. Depuis cette date, le röstigraben – expression apparue dans les journaux en 1979 – n’a cessé de s’élargir. On voit même par moments certains médias romands faire comme si la Suisse s’était cassée en morceaux et que la Romandie souhaite rejoindre la France et le Tessin se rattacher à l’Italie.

Et avant même que la blessure n’ait eu le temps de cicatriser, une nouvelle votation est venue tourner le couteau dans la plaie. En 1994, l’Initiative des Alpes, qui prétend endiguer le trafic de transit, est acceptée par 52% des votants. Une nouvelle gifle pour les cantons francophones, qui ont voté non. Et une fois de plus, le Tessin se retrouve dans le même camp que la Suisse alémanique.

Pour Christophe Büchi, cela prouve que la solidarité entre minorités latines n’est même pas un fait acquis.

Et depuis ces votations, on a tendance à analyser tous les résultats en termes de röstigraben – souvent sans même se demander si ce fameux fossé existe vraiment ou si c’est le fait d’en parler qui le crée.

Philippe Krofp

Christophe Büchi «Mariage de raison – Romands et Alémaniques: une histoire suisse», Editions Zoe, 2000.

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