
Le Tessin, terre d’accueil de la cryptomonnaie en Suisse

Terrain d'expérimentation grandeur nature pour la cryptomonnaie, le Tessin voit s'installer de plus en plus d'établissements grâce au soutien des autorités et rivalise désormais avec Zoug. La volatilité, le marché du travail et la fiscalité constituent des obstacles.
(Keystone-ATS) (par Ibtissam BENCHIKH, AWP)
La banque privée genevoise Gonet a inauguré le 18 septembre son premier bureau tessinois dont la particularité réside notamment dans les activités numériques. L’équipe d’une dizaine de personnes, déjà à pied d’oeuvre grâce à la fusion avec One Swiss Bank, continuera de délivrer ses services auprès des clients privés et des gestionnairs de fortune indépendants.
«Les actifs digitaux deviennent une classe d’actifs incontournable, raison pour laquelle nous avons lancé (en début d’année) une offre pour nous positionner comme leader sur ce marché», a souligné à l’agence AWP Benjamin Duban, responsable Banque privée.
Trois jours avant Gonet, c’était la société de cryptomonnaie zougoise Bitcoin Suisse qui ouvrait un bureau à Lugano. Fondée en 2013, elle est la première prestataire suisse de services financiers haut de gamme dans ce domaine avec plus de 200 experts dans ses rangs en Europe et au Moyen-Orient. «Avec un écosystème cryptographique dynamique et en pleine croissance, Lugano se positionne comme une plaque tournante pour l’innovation dans le domaine de la blockchain», explique Peter Camenzind, directeur général, faisant référence au registre numérique décentralisé appelé aussi chaînes de blocs.
La pratique mais pas le monopole
«Zoug demeure le centre de gravité intellectuel, avec près de 1300 entreprises blockchain, soit 60% du total national. Zurich concentre les financements et représente plus de 20% des levées de fonds crypto suisses. Et, Genève reste tournée vers la finance privée et institutionnelle», explique à l’agence AWP Arthur Jurus, responsable des investissements d’Oddo BHF Suisse. En résumé, Zoug est le cerveau, Zurich le bras financier, Genève le capital institutionnel, et Lugano le terrain d’expérimentation.
A la question de savoir si le Tessin dispose de l’infrastructure et de la main d’oeuvre nécessaire, la réponse des observateurs est positive. Géographiquement, sa position entre Zurich et Milan est fertile, mais compétitive.
«Sur le plan fiscal, le canton n’offre pas un régime aussi avantageux que celui de Zoug ou des Grisons voisins et c’est aussi pour cette raison que la ville a choisi de se positionner comme pionnière dans les cryptomonnaies afin d’attirer de nouveaux résidents du monde entier», souligne M. Jurus en citant des fortunes du Royaume-Uni et de Norvège.
Si le cadre réglementaire suisse reste défini au niveau fédéral, notamment avec le gendarme financier Finma et la loi DLT Act, «le Tessin applique ces règles de manière pragmatique et rapide. Le climat est donc favorable, et les autorités locales affichent un soutien ouvert et constant», ajoute M. Jurus. «L’avenir semble prometteur, si le canton poursuit sa stratégie d’adoption concrète.»
A un horizon de cinq ans, le nombre de commerces acceptant les paiements en crypto pourrait dépasser 500, tandis que les jeunes pousses locales pourraient passer d’une vingtaine à une cinquantaine.
Plan B, pour Bitcoin
En partenariat avec Tether, principal émetteur de cryptomonnaie stable (stablecoins) dans le monde, dont le fondateur vit au Tessin, la Ville de Lugano a déployé le Plan B en 2022. L’investissement de plus de 100 millions de francs entend créer un environnement favorable aux entreprises du secteur, renforçant la visibilité internationale et facilitant l’accès aux services.
Les habitants peuvent par exemple effectuer différents types de paiements en bitcoin (BTC) ou en tether (USDT). Aussi, plus de 20’000 personnes utilisent l’application MyLugano permettant de régler des achats dans plus de 400 commerces et offrant un remboursement via un jeton local (LVGA). Enfin, la chaîne de blocs SwissLedger (ex-3Achain), développée avec le soutien des autorités, sert déjà pour la certification numérique et la logistique.
Concernant le recrutement de nouveaux talents, la municipalité collabore avec les universités locales, l’USI et la SUPSI, pour former des spécialistes en technologies financières et intelligence artificielle. Des espaces de travail partagés sont mis à disposition pour des jeunes pousses. Enfin, et plus logiquement, la vitesse de l’internet par fibre optique de Lugano figure parmi les cinq meilleures de Suisse.
A plus vaste échelle, la communication proactive à l’international attire chaque année plus de 2000 visiteurs étrangers pour ses conférences dédiées.