
Nobel de littérature 2025: entre Occident et surprise indienne

Après avoir récompensé en 2024 la Sud-Coréenne Han Kang, première femme asiatique à recevoir le Nobel de littérature, l'Académie suédoise pourrait revenir cette année à un auteur occidental. Pourtant, les pronostics des bookmakers misent plutôt sur un écrivain indien.
(Keystone-ATS) Plusieurs critiques littéraires sondés par l’AFP tablent cette année sur un homme européen ou du monde anglo-saxon. Les plus en vue sont l’Australien Gerald Murnane, le Roumain Mircea Cartarescu, les Hongrois Laszlo Krasznahorkai et Peter Nadas, ainsi que le Suisse Christian Kracht.Christian Kracht.
L’Académie suédoise l’assure: elle ne se concentre que sur la qualité littéraire des oeuvres qui lui sont soumises.
Mais «même s’ils disent qu’ils ne pensent pas en termes de représentation, on peut toujours regarder la liste (des lauréats précédents) et voir qu’il s’agit d’une sorte de ‘OK, cette année c’était un Européen, maintenant nous pouvons regarder un peu plus loin’. Et maintenant, revenons à l’Europe. L’année dernière, c’était une femme, choisissons un homme cette année», a déclaré à l’AFP Lina Kalmteg, critique culturelle à la Sveriges Radio.
Après le scandale #MeToo qui a secoué l’Académie en 2018, un lauréat sur deux a été une femme, suggérant un effort pour réparer les erreurs du passé et améliorer le déséquilibre entre les sexes.
«Homme blanc»?
Björn Wiman, rédacteur en chef culturel du quotidien Dagens Nyheter, a une lecture similaire. Après Han Kang, «c’est au tour d’un homme blanc issu de la sphère linguistique anglo-saxonne, allemande ou francophone» d’être récompensé. Lui pense que Christian Kracht remportera le prix.
Le dernier roman de l’écrivain de 58 ans, «Air» (non traduit en français), oscille entre réel et fantastique, mêlant critique du consumérisme et quête existentielle.
Au salon du livre à Göteborg, qui se déroule quelques semaines avant la saison des Nobel, «l’Académie suédoise était là, assise au premier rang» du colloque de cet auteur, relève-t-il dans un entretien à l’AFP.
«Et ça, en général, c’est un signe qui ne trompe pas», poursuit M. Wiman. La même chose s’était produite lorsque la dramaturge autrichienne Elfriede Jelinek avait décroché le prix en 2004.
Rêve
L’autre favori, Gerald Murnane, né en 1939 dans une banlieue de Melbourne d’un père porté sur les courses de chevaux, a grandi dans un foyer catholique.
Son livre «Les Plaines» (1982), qui plonge le lecteur dans le monde des propriétaires terriens australiens, a été décrit par le New Yorker comme un «chef d’oeuvre bizarre», ressemblant plus à un rêve qu’à un livre.
«La question est de savoir s’il répondra au téléphone (s’il gagne), je ne sais même pas s’il en a un», s’amuse Josefin de Gregorio, critique littéraire au journal SvD.
«Il n’a jamais quitté l’Australie. Il vit à la campagne, il ne se rend pas particulièrement accessible», ajoute celle dont c’est l’auteur préféré. La critique mise aussi sur l’Américain George Saunders.
L’Indien Amitav Ghosh a caracolé en tête des sites de pari ces derniers jours et d’autres noms régulièrement mis en avant sont de nouveau considérés comme «nobélisables»: la Chinoise Can Xue, l’Américano-antiguaise Jamaica Kincaid, le Chilien Raúl Zurita, l’Argentin César Aira.
L’Amérique du sud n’a d’ailleurs pas eu de lauréat depuis 2010 avec le sacre du Péruvien Mario Vargas Llosa, note Mme Kalmteg. Elle cite les écrivaines mexicaines Fernanda Melchor et Cristina Rivera Garza comme potentielles gagnantes.
Depuis sa création, le Nobel de littérature est dominé par les hommes et les lettres occidentales. Parmi les 121 lauréats, seules 18 femmes ont obtenu le prix et une minorité des auteurs récompensés sont de langues asiatiques ou moyen-orientales. Aucune langue africaine n’est représentée.
Difficile de connaître les ressorts des sélections: les délibérations du jury sont gardées secrètes pendant 50 ans.
Rééquilibrage
Faute de mieux, la composition de l’Académie suédoise, qui décerne le prix après avoir passé en revue les propositions d’un collège de lettrés et d’universitaires grâce à son comité Nobel, est passée au crible.
Bouleversée par un scandale #Metoo en 2018, elle a fait peau neuve et plus de la moitié de ses membres ont changé.
«Des auteurs comme Han Kang auraient été tout à fait impensables il y a cinq ou six ans», analyse le rédacteur en chef culturel de DN qui note que le cénacle a longtemps privilégié des auteurs pointus, et plus âgés.
Reflet d’une «nouvelle» Académie moins «élitiste» dans ses goûts?
Tout n’est, à ce stade, que spéculations.
Le suspense sera levé à Stockholm à 13h00, avec, à la clef, 11 millions de couronnes suédoises (près d’un million d’euros).