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Bombes au phosphore: à Gaza, Israël surfe sur le droit

Keystone

Accusé d'utiliser des armes au phosphore blanc sur les civils palestiniens, Israël assure respecter le droit international. Une affirmation contestée par bon nombre d'ONG. Regards d'experts sur cet agent chimique controversé et sur la légalité de son usage.

«Israël utilise des bombes incandescentes contre la population civile de Gaza», dénonce le Centre palestinien pour les droits de l’homme, une ONG basée à Ramallah. «Au seizième jour de l’offensive israélienne, au moins une centaine de civils de la région de Khan Younis souffrent de brûlures de la peau, spasmes et sérieuses difficultés respiratoires imputables à ces bombes. Le Centre est en train de mener une enquête sur l’utilisation et les composantes de ces armes létales par la force d’occupation israélienne.»

S’agit-il du phosphore blanc, reconnaissable aux nuages de fumée qu’il provoque et à l’odeur d’ail qu’il dégage? «Oui, assure Raji Sourani, le directeur de l’organisation, de passage à Genève pour la session spéciale du Conseil des droits de l’homme. L’utilisation de phosphore blanc contre des civils, dans des zones d’habitation très peuplées, est interdite par le droit international.»

Appels de la France

De son côté, Human Rights Watch (HRW) a appelé Israël, le 10 janvier, à «arrêter l’utilisation illégale de phosphore blanc à Gaza.» La France a renchéri deux jours plus tard, demandant «aux autorités israéliennes de ne pas utiliser ces armes du fait notamment de leur toxicité et de la densité de la population à Gaza».

«Une attaque au phosphore blanc ne peut pas être considérée comme une frappe chirurgicale, assure Kasra Mofarah, ancien coordinateur de la plate-forme des ONG en Irak. Elle provoque des brûlures terribles qu’aucun service hospitalier n’est capable de soigner.»

Alors le phosphore blanc, nouveau napalm? «Non ! Le napalm, c’est de l’essence gélifiée et mise à feu. Le phosphore blanc n’est pas aussi dangereux, même si c’est une arme sale. Il n’est pas considéré comme une arme chimique au sens de la convention du même nom et n’est donc pas interdit. Mais différents acteurs considèrent que c’en est quand même une. La controverse fait rage», assure Ludovic Monnerat, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse.

Le droit de la guerre

Officiellement, le phosphore blanc est une arme incendiaire et, en tant que telle, elle n’est pas interdite par le droit de la guerre. Mais le Protocole sur la limitation ou l’interdiction de l’emploi des armes incendiaires, en vigueur depuis 1983, en réglemente l’utilisation contre les cibles militaires et en interdit l’emploi contre les civils. Israël n’a pas signé ce protocole, pas plus que la quasi-totalité des pays arabes.

Où Israël se procurerait-il cette substance? «J’imagine qu’ils la fabriquent eux-mêmes, continue Ludovic Monnerat. Paradoxalement, certains pays soumis aux embargos sur les armes finissent par développer une industrie indigène et produire localement le matériel militaire qu’on voulait interdire. L’Afrique du Sud et Israël sont devenus de grands exportateurs d’armes. La Suisse ne vend d’ailleurs quasiment pas d’armes à Israël, contrairement à ce qu’affirment certains et la coopération militaire entre les deux pays profite surtout à la Suisse.»

Utilisation en cause

L’armée israélienne assure que l’utilisation de ses armes «s’exerce dans le cadre des frontières légales du droit international». Et Mark Regev, porte-parole du Premier ministre Ehud Olmert, de préciser à l’AFP: «Ces munitions utilisées par Israël sont similaires si ce n’est identiques à celles utilisées par toutes les démocraties occidentales, y compris les états membres de l’OTAN».

Un point de vue que conteste HRW. L’Organisation humanitaire considère en effet que le droit international coutumier interdit l’utilisation des armes au phosphore blanc dans un endroit aussi densément peuplé que la bande de Gaza, d’autant plus que d’autres armes, moins nuisibles, sont disponibles.

«Les munitions au phosphore blanc ne sont pas interdites par le DIH, contrairement à d’autres armes – comme les bombes à fragmentation, les mines anti-personnel et les armes chimiques -. Mais leur utilisation est soumise aux principes de ce même droit : elle ne doit pas causer de maux superflus et il faut distinguer entre civils et combattants», affirme Anyssa Bellal, de l’Académie de droit international humanitaire de Genève.

Son de cloche quasi similaire du côté du ministère suisse des Affaires étrangères. Daniel Klingele, chef de la section DIH souligne en effet que : «quand une armée utilise du phosphore blanc dans des zones densément peuplées, elle doit prendre des précautions particulières, afin de réduire au minimum les pertes et blessures sur la populations civile et les dommages aux biens matériels.»

Prudence du CICR

Quant au Comité international de la Croix Rouge (CICR), il refuse de s’exprimer sur l’utilisation présumée du phosphore blanc par l’armée israélienne, faute d’avoir vérifié directement la véracité de ces allégations.

Mais Dominique Loye, conseiller juridique au CICR, accepte de commenter l’utilisation de ce produit au regard du droit international humanitaire (DIH), sans se prononcer sur le cas spécifique d’Israël.

«Cela dépend de ce qu’on fait du phosphore blanc. Si on l’utilise comme arme fumigène, il faut prendre les précautions nécessaires pour que les civils ne soient pas blessés ou, s’ils le sont, pour que leurs blessures ne soient pas disproportionnées par rapport à l’avantage militaire», souligne Dominique Loye.

Mais, précise-t-il, «son utilisation contre des civils est clairement interdite. Si le produit est utilisé contre des combattants ennemis, il faut s’assurer qu’il n’existe pas d’autres moyens moins horribles. Reste à savoir si une bombe de 500 kg produit des conséquences moins graves que les brûlures du phosphore blanc…»

«L’idéal, c’est qu’il n’y ait pas de guerre, soupire Dominique Loye. Mais quand une guerre éclate, le DIH cherche à en limiter les effets sur la population civile: garantir l’accès aux civils, ne pas les bombarder.» Quel que soit le type d’armes.

swissinfo, Isolda Agazzi/Infosud

Mortel. Le phosphore blanc est un agent toxique. Il s’enflamme au contact de l’oxygène et provoque immédiatement des incendies. L’exposition à ce produit peut se révéler fatale. Il peut provoquer des brûlures de la peau et endommager le foie, le coeur ou les reins.

Dissimuler. Ce type d’armes est utilisé pour créer un nuage de fumée blanche dissimulant les opérations militaires ou pour illuminer des zones de combat.

Droit. Son utilisation n’est interdite par aucun traité international.

Interdiction. Mais le protocole III de la Convention de 1980 sur les armes conventionnelles interdit son usage contre les populations civiles ou contre des forces militaires stationnées au milieu de populations.

Alliés. Les bombes au phosphore ont été utilisées par les alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Liban. L’armée israélienne a reconnu leur utilisation en été 2006, lors de la seconde guerre du Liban.

Irak. Les Américains ont en lancé en Irak, lors de la bataille de Fallouja, en 2004, contre les forces rebelles.

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