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Le souverainisme de l’UDC est une idée de gauche

Christoph Blocher, «père spirituel» de l'UDC, est reparti en guerre pour la souveraineté de la Suisse. Keystone

Cette semaine, la droite nationaliste (Union démocratique du centre – UDC) réagit à son échec sur les bilatérales en se posant en défenseur de la souveraineté nationale. Un thème souvent porté à gauche, selon le chercheur français Jean-Yves Camus. Interview.

Deux jours après le vote sur la libre circulation entre la Suisse et l’Union européenne, approuvée par une large majorité de citoyens, l’UDC est remontée au créneau pour défendre la souveraineté de la Suisse, face au droit européen et international.

Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Jean-Yves Camus analyse ce discours et revient sur l’échec de l’UDC, seul parti gouvernemental à s’opposer à la reconduction des accords de libre-circulation avec l’Union européenne et leur extension à la Roumanie et à la Bulgarie.

swissinfo: Comment analysez-vous cette défaite de la droite nationaliste ?

Jean-Yves Camus: Aujourd’hui, l’extrême-droite en Europe est prise dans un étau. Quand elle est au pouvoir, incluse dans une coalition, elle est rapidement discréditée de par l’énorme différence – aux yeux de ses électeurs – entre son discours d’opposition et sa pratique de gouvernement.

D’un autre coté – on l’a bien vu en France avec l’échec électoral du Front national de Jean-Marie Le Pen en 2007 – quand l’extrême-droite n’arrive jamais au pouvoir, une lassitude de son électorat finit par s’imposer au profit d’un vote utile.

Un effet qui pourrait bien se produire en Belgique en juin prochain. Nombre d’électeurs du Vlaams Belang (extrême-droite flamande) devraient se reporter sur la liste de Jean-Marie Dedecker, un politicien aux idées proches mais qui n’est pas issu de l’extrême droite.

swissinfo: La reprise de certains thèmes d’extrême-droite par des partis plus centristes est-elle une tendance générale ?

J-Y C.: C’est une tendance générale sur le long terme que l’extrême-droite perde des voix, tout en réussissant une percée dans le domaine des idées. Car ses défaites électorales sont souvent une conséquence du hold-up des formations conservatrices sur ses idées.

C’est un phénomène général. On l’a vu par exemple au Danemark où la législation sur le séjour des étrangers et des requérants d’asile est de plus en plus dure.

De même aux Pays Bas. On a assisté à l’implosion de la liste Pim Fortuyn, parti extrémiste et populiste, et on a vu l’ensemble des formations politiques – et pas seulement de droite – en venir à une vision de l’émigration, de l’islam et de la société multiculturelle beaucoup plus à droite qu’il y a dix ans.

swissinfo: Suite à sa défaite de dimanche, l’UDC réaffirme sa volonté de défendre la souveraineté nationale et la primauté du droit national sur le droit international. Un choix judicieux ou une incapacité à se renouveler ?

J-Y C.:Tout d’abord, ce discours n’est pas uniquement d’extrême droite. En Europe, les souverainistes sont souvent des gens de gauche qui prétendent que la souveraineté populaire ne peut émaner que du parlement et des citoyens. Tout ce qui provient de sources juridiques autres est dévoyé.

On sait très bien que l’Europe produit davantage de normes réglementaires provenant d’organes non élus – en l’occurrence la Commission européenne – que du parlement européen.

Ceci étant, les Etats sont encore souverains en Europe. L’Union européenne n’a pas supplanté les Etats-Nations. L’alarmisme des milieux souverainistes ne correspond donc pas à la réalité européenne.

Certes, la norme européenne prime sur le droit national, mais seulement quand il y a conflit entre les deux législations. Ce qui n’est pas nécessairement le cas.

swissinfo: En Suisse, l’argument souverainiste vous parait-il pertinent ?

J-Y C.: Il est vrai que la Suisse a un système institutionnel considérablement différent des autres pays d’Europe occidentale. Mais ce système serait-il mis à mal avec une adhésion à l’Union européenne ? Rien n’est moins sûr.

La France a une conception très particulière et unique en Europe de la république, de la laïcité et de la citoyenneté. Une spécificité qui n’a pas disparu depuis que la France est membre de l’UE.

swissinfo: La crise a-t-elle un impact sur la popularité des partis d’extrême-droite ?

J-Y C.: Il y a des signes inquiétants, comme les récentes grèves en Grande Bretagne, qui avaient des contenus xénophobes.

De fait, la crise ne devrait pas changer grand-chose à ce que l’on sait des partis d’extrême droite depuis 20 ans, à savoir que leur clientèle est surtout constituée des perdants de la globalisation et de ceux qui anticipent ou craignent des changements de leur statut social.

Ces électeurs ont le sentiment que non seulement, ils n’ont plus accès à tout ce à quoi ils ont droit, mais que leurs enfants auront moins qu’eux mêmes. C’est la perception d’une décadence de la société, sous le coup de la crise, de la globalisation et de la construction européenne.

Ce qui m’inquiète en particulier, c’est que cette crise est d’abord financière. Or qui dit crise financière, spéculation, capital mouvant à l’échelle mondiale – «capital apatride», diraient certains – est aussi porteur d’une charge antisémite potentielle très forte.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

Dénonciation. Vice-président de l’UDC, l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher a dénoncé mardi dernier l’extension du droit international en Suisse.

Un flot. Selon le vieux tribun zurichois, l’administration et la justice helvétiques adoptent tacitement «un flot de réglementations édictées par une multitude d’experts, de juristes fortement titrés, de professeurs renommés, de congrès, de forums internationaux, d’organisations internationales, de conférences gouvernementales.»

Limiter. Pour «rétablir la souveraineté de la Suisse», le parti demande de limiter les règles impératives du droit international au strict minimum: interdictions de mener une guerre d’agression, de la torture, du génocide et de l’esclavage. Seuls ces critères seraient pris en compte pour juger de la validité d’une initiative populaire.

Primauté. Pour le reste, le droit fédéral devrait primer sur le droit international. En cas de contradiction entre un traité et une loi, le Tribunal fédéral serait lié par la loi. Toute norme de droit international devrait impérativement être répercutée dans une norme nationale d’application pour déployer ses effets.

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