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Les femmes et la mort, ces obsessions de Ferdinand Hodler

Ferdinand Hodler (1853-1918): Valentine Godé-Darel malade, 1914. Huile sur toile. (archives) Keystone / akg-images sda-ats

(Keystone-ATS) Les rapports difficiles que Ferdinand Hodler entretenait avec les femmes sont passés à la postérité. Le peintre se servait d’elles à ses propres fins. Mais on oublie un peu vite à quel point ses modèles ont contribué à son art.

A Genève, à la Promenade du Pin, sur les anciennes fortifications de la ville, juste derrière le Musée d’art et d’histoire, un monument est érigé “à la mémoire de Ferdinand Hodler”. On le doit au sculpteur Henri König.

Inauguré en 1958, 40 ans après la mort du peintre, il représente deux femmes s’avançant, peut-être en train de danser. Il est inspiré par les figures des tableaux de Hodler “Blick ins Unendliche (“Regard dans l’infini”).

“Des choses palpitantes” dans l’atelier

Hodler et les femmes. On en parlait déjà beaucoup du vivant de l’artiste, et le thème a fait depuis l’objet de nombreux livres. Le peintre lui-même y a contribué: n’a-t-il pas fait de “cherchez la femme!” sa devise personnelle? N’a-t-il pas écrit que ce qu’il y a de plus beau dans la vie, ce sont “les bonnes femmes et les roses”?

Ferdinand Hodler, même dans les dernières années de sa vie, aurait mis en garde son élève Stéphanie Guerzoni. Cette dernière a ainsi confié que “des choses palpitantes” se passaient dans son atelier, et même “les plus laids de ses modèles” ne le rebutaient pas.

L’historiographie de l’art a établi que les obsessions de Hodler étaient les femmes et la mort, et en sus, les paysages. On l’explique par le fait que le peintre a été confronté à la mort très tôt. Tous ses frères et sœurs sont morts jeunes, et à 14 ans il était orphelin.

Il a vu sa mère littéralement mourir sous ses yeux alors qu’il était enfant. Plus tard, Hodler a affirmé rechercher le contact avec les femmes. Mais il n’a jamais vraiment toléré cette proximité, cherchant sans cesse et rapidement le contact avec une autre femme.

L‘indignée

Toutefois, la question de savoir à quel point les femmes ont contribué aux œuvres et à l’art de Hodler est plus intéressante que les interprétations psychologiques. Ainsi en mars 1877, Caroline Leschaud, un de ses premiers modèles, et le jeune peintre de 22 ans, s’étaient épris l’un pour l’autre, chastement. Lorsqu’il la harcela physiquement lors d’une séance, elle résista, le mordit et le laissa en plan.

Il en est resté un portrait inachevé de la jeune femme. Le tableau est particulièrement vivant, même selon les standards habituels de Hodler. L’œuvre est intitulée “Empörte” (“Indignée”).

Peindre la mort

Hodler peignit la lavandière Augustine Dupin, qui deviendra la mère de son fils Hector en 1887, dans sa première toile à succès, “Die Nacht” (“La nuit”). Dans le même tableau, on trouve Bertha Stucki, que Hodler épousa à peu près au même moment, espérant qu’elle faciliterait son ascension sociale. Le mariage ne tint pas deux ans.

Hodler peignit Augustine Dupin pour la dernière fois en 1909, morte. Ce tableau anticipe toute une série d’esquisses, de dessins et de peintures avec lesquels Hodler documenta entre 1913 et 1915 la mort de sa maîtresse Valentine Godé-Darel.

Peu après la naissance de leur fille, Valentine Godé-Darel fut atteinte d’un cancer. Cette Française divorcée, fantasque, fière, jalouse, mais financièrement dépendante de Hodler, fut son “Amour fou”.

Douleur et grandeur

Aujourd’hui, le cycle de Valentine mourante est considéré, dans toute sa cruelle précision, comme le chef-d’œuvre d’Hodler, rempli de douleur et de grandeur. Hodler souffrait, durant l’agonie de Valentine, et savait en même temps que personne n’avait jamais rien créé de tel. Les commentateurs ont insisté sur l’audace de Hodler.

Durant des semaines, il s’est rendu quotidiennement au chevet de Valentine, afin de croquer la dégradation de son état. Sur une des images datant de la phase précoce de la maladie, Valentine, déjà alitée, tourne un regard désespéré et interrogateur vers Hodler. Veut-elle savoir ce qui lui arrive? Ou demande-t-elle à Hodler ce qu’il est en train de faire?

Elle le savait. Valentine Godé-Darel était une actrice. Formée à Paris, elle avait joué dans des opérettes à Genève, où Hodler l’avait rencontrée. Même mourante, elle était loin d’être un modèle passif. Elle savait ce que cela signifiait d’être livrée au regard des autres, et de façonner elle-même ce regard, comme une peintre clandestine.

Un travail aussi réussi que si elle avait accompagné l’œil du peintre de sa propre main. C’est à juste titre que Valentine mourante écrivit son nom à côté de celui de Hodler dans son carnet d’esquisses.

Le peintre devient son propre modèle

A cette période, Hodler était du reste marié avec Berthe Jacques, qui prit soin par la suite de la fille de Valentine. Dans le même temps, Hodler faisait déjà les yeux doux à une autre femme: Gertrud Dubi-Müller, fille d’un fabricant de Soleure, automobiliste, photographe, modèle et collectionneuse d’œuvres de Hodler.

C’est elle qui prit les derniers clichés de l’artiste, ainsi que la toute dernière photographie sur son lit de mort. Le peintre était devenu un modèle.

Le Musée Rath à Genève accueille jusqu’au 19 août l’exposition Hodler//Parallélisme. Celle-ci présente cent tableaux du peintre suisse à l’occasion du centenaire de sa disparition. Ils prendront ensuite le chemin du Musée des Beaux-Arts de Berne du 14 septembre au 13 janvier 2019.

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