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Un spectromètre en orbite pour traquer l’antimatière

Baptisé «le télescope Hubble des rayons cosmiques», AMS-02 devrait vivre aussi longtemps que l’ISS. Soit dix ans ou plus. montage photographique: nasa

L’antimatière et la matière noire rôdent-elles à proximité de la Terre? Pour le savoir, un gros spectromètre va être installé sur la Station spatiale internationale (ISS) afin de scanner systématiquement les rayons cosmiques. Lancement prévu ce 29 avril, avec le dernier vol de la navette Endeavour.

Nom: AMS-02 (pour Alpha Magnetic Spectrometer). Nationalités: au moins 16, mais avec de fortes attaches suisses. Signe particulier: le «02», qui indique que l’engin est le second de son espèce.

En 1998, AMS-01, embarqué sur la navette américaine qui ravitailla pour la dernière fois la station russe Mir, avait déjà livré, en neuf jours seulement, sa moisson de ces particules constituant les rayons cosmiques qui bombardent en permanence l’espace interstellaire. Le but à l’époque était surtout de montrer qu’un tel engin peut survivre aux conditions plutôt rudes d’un lancement et d’un séjour dans l’espace.

AMS-02, lui, doit fonctionner dix ans ou plus. Les Américains l’ont baptisé «le télescope Hubble des rayons cosmiques». Pour détecter ces rayons, qui proviennent de notre soleil, mais également des étoiles proches, des explosions de supernovæ ou du fond de l’univers, il faut s’affranchir du filtre que constitue notre atmosphère. A 300 kilomètres du plancher des vaches, l’ISS, qui fait plus de 15 fois le tour de la Terre en 24 heures, constitue le point d’amarrage idéal.

Le cœur d’AMS est un gros aimant cylindrique percé d’un trou en son centre, une sorte de «donut» géant, qui va servir à séparer les particules de rayons cosmiques selon leur charge électrique. Une série de détecteurs, reliés à plus de 600 ordinateurs embarqués, pourront ainsi en faire l’analyse.

Anti particules ou anti étoiles?

«On va pouvoir faire une cartographie complète de l’environnement radiatif de la Terre: composition chimique, variations temporelles, variations spatiales… depuis 100 ans que l’on connaît les rayons cosmiques, c’est la première fois que l’on aura autant de données sur le phénomène», s’enthousiasme Martin Pohl, membre de la direction du projet AMS-02 et président de la section de physique de l’Université de Genève, qui a joué un rôle central dans la conception et la construction du détecteur de trajectoires des particules.

En plus des particules standard, le spectromètre devrait aussi capter des antiprotons et des positrons, composants de base de l’antimatière (ci-contre). AMS-01 en avait déjà trouvé, mais dans des proportions tellement faibles qu’elles peuvent parfaitement avoir été générées au cours des 13 milliards d’années d’histoire de l’univers, par des collisions entre particules. Dans ce cas, elles n’ont pratiquement aucune chance de s’assembler pour former des atomes.

Or, ce qui intéresse les physiciens, c’est l’antimatière originelle, celle du commencement des temps. Et normalement, celle-ci devrait se trouver sous forme d’atomes, au moins des deux éléments chimiques les plus simples: l’hydrogène et l’hélium.

«AMS-01 n’a pas trouvé d’anti hélium dans un million d’atomes. Si AMS-02 n’en trouve pas dans un milliard, on ne cherchera pas plus loin, explique Martin Pohl. Mais si on en trouve, cela voudra dire qu’il y a des petites poches d’antimatière qui ont survécu au Big Bang».

Et si en plus, les détecteurs révélaient des atomes plus lourds, comme de l’anti carbone, sachant que ces éléments ne peuvent se forger qu’au cœur des étoiles, cela voudrait dire qu’il existe quelque part des anti étoiles. Une hypothèse que le physicien juge «encore plus fascinante… et plus improbable».

Plus fort que l’accélérateur du CERN

Quant à la matière noire, si sa composante de base est bien une particule, AMS-02 devrait finir par la trouver… avec peut-être d’autres bizarreries, comme des états encore inconnus de la matière.

En fait, ce spectromètre spatial est totalement complémentaire du LHC, le grand accélérateur de particules du CERN. Ici, on recrée des particules et là, on les observe dans leur milieu naturel. Avec l’avantage notable que dans l’espace, les particules atteignent des énergies encore hors de portée du plus gros accélérateur construit sur Terre.

Le CERN est donc étroitement associé au projet. Il a réalisé les tests des détecteurs d’AMS-02 et c’est lui qui traitera les données transmises de l’espace, en attendant d’accueillir dans un nouveau bâtiment le centre de pilotage de l’expérience.

Juste avant le musée  

Tout ceci bien sûr pour autant que la mise en orbite et l’arrimage à l’ISS se passent bien. AMS-02 fait partie de la charge utile de la navette Endeavour, dont ce sera le dernier vol. Pour ces engins conçus dans les années 70, et qui ont tout de même tué 14 astronautes en 133 missions, l’heure de la retraite a en effet sonné.

Alors que Discovery est déjà en route pour le musée, il ne reste ensuite au programme qu’une mission en été pour Atlantis. Après cela, et en attendant les futurs vaisseaux américains, seuls les Soyouz russes continueront à faire office de taxi pour les passagers de l’ISS. Et le fret pourra être transporté par le cargo automatique européen ATV, dont le deuxième exemplaire s’est parfaitement arrimé à la station en février dernier.

L’antimatière est de la matière à charge électrique inversée. Les atomes sont faits de protons (+) et d’électrons (-), alors que les antiatomes sont faits d’antiprotons (-) et d’électrons positifs ou positrons (+). Mises en présence l’une de l’autre, une particule et son antiparticule s’annihilent, produisant un fort dégagement d’énergie.

Le Big Bang, qui a été à l’inverse une gigantesque création de matière à partir d’énergie, a produit autant de matière que d’antimatière. Or, non seulement ces particules ne se sont pas toutes annihilées mutuellement (sinon, rien n’existerait), mais l’antimatière semble avoir presque complètement disparu avant même d’avoir eu le temps de s’organiser en atomes. Le mécanisme par lequel la nature a exprimé cette «préférence pour la matière» reste inconnu.

La matière noire. En observant les galaxies, on remarque qu’elles tournent bien plus vite qu’elle ne le devraient en fonction de leur masse visible et des lois de la gravitation. Une partie de leur masse est donc formée de quelque chose qui ne reflète pas la lumière. Il s’agit très probablement de particules encore inconnues. Aujourd’hui, on estime que la matière visible ne forme qu’environ 4% de la masse de l’univers. Le reste est de la matière et de l’énergie noires.

L’énergie noire. C’est la force qui fait qu’au lieu de ralentir comme il devrait le faire normalement, le mouvement d’expansion de l’univers s’accélère. C’est une sorte d’anti gravitation, sur laquelle la science n’a encore aucune théorie convaincante. Elle ne fait toutefois pas partie des domaines d’investigation d’AMS 02.

Un gros engin. 3 mètres de diamètre sur 4 mètres de haut, 64 m3 de volume pour un poids de presque 7 tonnes.

Fruit d’une collaboration mondiale. Plus de 400 physiciens de 56 institutions de recherche dans 16 pays et sur trois continents ont travaillé à ce spectromètre, certains pendant 15 ans, à l’instigation initiale du Prix Nobel de physique américano-chinois Samuel Ting. AMS-02 aura coûté environ un milliard et demi de dollars.

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