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Genève expose Frans Masereel, graveur et pacifiste

Frans Masereel, un pacifiste qui a mis son talent d'artiste au service de la presse genevoise. Frans Masereel, théâtre Saint-Gervais de Genève (DR)

Débarqué à Genève en 1916, le graveur belge, inventeur du roman graphique, y resta six ans. Une période faste pour ce pacifiste au style expressionniste qui mit son talent d’artiste et son esprit critique au service de la presse locale. Genève lui consacre une exposition.

Première Guerre mondiale: l’Europe brûle, la paix se réfugie en Suisse. Les émigrés y arrivent en force, 30’000 environ, pour la plupart des pacifistes, des internationalistes, des anarchistes, des socialistes, parmi lesquels une foule d’artistes et d’hommes de lettres. Zurich et Genève sont les points névralgiques de cette émigration révoltée, Genève surtout, puisque c’est elle qui nous intéresse ici.

La ville de Calvin devient ainsi un logis pour une parole inaliénable, celle que revendiquent des penseurs et des écrivains célèbres, comme Romain Rolland, Pierre-Jean Jouve, Stefan Zweig ou encore Paul Birukoff, ami et biographe de Tolstoï. C’est le haut du panier qu’accueille donc Genève où débarque, en 1916, un certain Frans Masereel. Jeune graveur belge encore inconnu, il saura mettre à profit son talent dans une ville qui prend le relais artistique et littéraire d’une Europe exsangue.

L’armée, l’Eglise, les politiques

L’arrivée à Genève de Frans Masereel, dont l’œuvre graphique fait l’objet d’une exposition à Saint-Gervais, est en soi une épopée. Elle annonce la ferveur de cet artiste belge et son engagement au sein des maisons d’éditions et de la presse genevoise, en particulier, à laquelle il livra six ans durant ses dessins.

Des dessins qui tenaient lieu d’éditoriaux, réalisés dans un style expressionniste et un esprit copieusement satirique où les pays en guerre, leur Eglise, leur armée, leurs autorités politiques, sont stigmatisés avec vachardise. Où les populations ne sont pas représentées comme des victimes passives, mais comme des battants parcourant avec courage leur chemin de croix, comme en témoigne cette série d’images intitulée «Vingt-cinq images de la passion d’un homme». Nous y reviendrons.

Pour l’instant, accueillons Masereel à Genève où l’attend Henri Guilbeaux, écrivain français qui travaille alors à l’Agence internationale des prisonniers, chapeautée par la Croix-Rouge. Guilbeaux, qui connaît bien Masereel, sait que ce dernier est «mobilisable» et qu’il ne pourra donc pas obtenir de la Belgique le visa qui le libérerait.

Une lettre faussement officielle

Pour affranchir le graveur pacifiste de ses obligations militaires, il s’empare d’un papier officiel de la Croix-Rouge, écrit une lettre faussement officielle dans laquelle il indique que Masereel est «invité à venir d’urgence à Genève pour travailler à l’Agence des prisonniers».

La lettre part avec le timbre de l’Agence. Le tour est joué et Masereel libéré, ce qui lui permet d’entrer comme traducteur à la Croix-Rouge avant de s’engager dans le journalisme et l’édition. Il collabore alors à la revue Demain, puis crée, avec des écrivains français de Genève, un périodique, Les Tablettes et une maison de publications, «Les éditions du Sablier».

Mais son plus important engagement artistique fut sa collaboration avec «La Feuille», célèbre journal genevois qui occupe une place privilégiée dans l’exposition.

La Feuille voit le jour en août 1917 et publie son dernier numéro le 29 mai 1920. Entre ces deux dates, beaucoup de protestations, de remous, dus à la ligne éditoriale de ce journal qui affiche son sens critique, alors qu’il est supposé rester neutre, dans un pays neutre. Les lecteurs germaniques l’accusent d’être pro-français et les francophones d’être pro-allemand.

Masereel, lui, s’en donne à cœur joie. Ses dessins sont cruels. Ici, un prêtre bénit un canon, là, un tigre colossal hurle en poursuivant un petit coq: «J’accourrrrs sauver la France»; le coq: «Sauve qui peut».

Mort et résurrection

 

Il faut dire que la presse genevoise offre alors une tribune inestimable aux artistes et écrivains muselés par leurs pays en conflit.  La Feuille joue ainsi le rôle que jouera plus tard, durant la Deuxième guerre, une autre revue, Labyrinthe, publiée elle aussi à Genève, et à laquelle le Musée Rath  consacra, en 2009, une exposition.

L’exposition sur Frans Masereel ne se limite pas, néanmoins, à La Feuille. Elle s’étend à d’autres publications, comme les Editions du Sablier, bien illustrées par les gravures sur bois du Belge. Y figure «Le sang des autres», une série d’images qui raconte la vie d’un couple et de leur enfant durant la guerre. Si la mort rôde, la résurrection n’est jamais loin. Car il y a une grande foi chez ce Masereel laïc, qui n’hésite pas à illustrer son espérance, comme il le fait dans son roman graphique «Vingt-cinq images de la passion d’un homme», qu’il autoédite en 1918.

Vingt cinq images et autant de stations sur le chemin d’une vie faite de chutes mais aussi de sursauts.

«Franz Masereel, artiste et pacifiste dans la Genève de la Première Guerre mondiale», exposition à voir à Saint-Gervais, Genève, jusqu’au 2 avril.

Frans Masereel. Graphiste et graveur flamand né en Belgique en 1889, mort à Avignon en 1972.

Paris. En 1911, il s’établit à Paris pour 4 ans puis rejoint la Suisse où il travaille durant 6 ans en qualité de graveur pour différents journaux et magazines.

Maître. En matière de gravure sur bois, il est considéré comme un maître au même titre que Valloton.

Noir/blanc. Son style, expressionniste, se caractérise par de forts contrastes entre le noir et le blanc. Son expressionnisme eut une grande influence sur les graveurs européens.

Fondateur. Il est considéré comme l’inventeur du roman graphique («roman sans paroles»).

Kipling. Il illustra également les ouvrages d’écrivains célèbres, comme Baudelaire, Verhaeren, Maeterlinck, Kipling, Balise Cendrars, Romain Rolland…

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