Alsace: envie de bilinguisme mais manque d’enseignants d’allemand

(Keystone-ATS) Lundi et jeudi en français, mardi et vendredi en allemand: en Alsace, un enfant sur cinq baigne dans la langue de Goethe dès son arrivée sur les bancs d’école. Mais si ce « bilinguisme » est désiré, son application est compliquée par le manque d’enseignants d’allemand.
« Il y a une difficulté de recrutement chronique » dans le bilinguisme, reconnaît le recteur de l’académie de Strasbourg Olivier Faron, les concours attirant moins de candidats que de postes proposés, et l’enseignement en Allemagne proposant des rémunérations plus élevées.
Reprenant les paroles du ministre de l’Education Pap Ndiaye, il assure néanmoins que « toutes les classes bilingues comme les autres auront un enseignant » à la rentrée.
Priorité
« Le bilinguisme est une priorité forte de notre académie, à la fois pour des raisons historiques, géopolitiques, économiques », insiste le recteur.
Ces classes ne sont pas des sections internationales, mais s’inscrivent dans le cadre de la préservation des langues régionales au même titre que le corse, le breton ou le basque. « L’allemand et l’alsacien sont les deux faces d’une même médaille », estime Claude Froehlicher, président d’Eltern Alsace, association de parents d’élèves en classes bilingues.
A l’inverse, Valérie Poyet, secrétaire départementale pour le Haut-Rhin du SNUipp-FSU, premier syndicat dans le primaire, s’insurge contre ce « bilinguisme en langue étrangère », qui devrait être transformé en initiation à la langue allemande pour tous les élèves.
Vocations
« A un moment donné, il faut être réaliste: cela ne fonctionne pas », estime-t-elle, blâmant des « conditions de travail et de recrutement des enseignants en langue allemande absolument catastrophiques ». Et des contractuels devant boucher les trous: selon le FSU, dans le Haut-Rhin, la moitié de contractuels du 1er degré sont dans l’enseignement bilingue.
Lors des « job datings » de l’Education nationale organisés en juin et fustigés par les syndicats, l’académie de Strasbourg a concentré ses efforts sur la recherche d’enseignants bilingues pour former un vivier de remplaçants. « Il a suscité des vocations », se félicite Olivier Faron, qui évoque 19 candidats retenus pour le primaire.
Gens non formés
« On vend du rêve à partir du moment où on met des gens non formés devant une classe », s’agace Didier Charrié, co-secrétaire départemental pour le Bas-Rhin du syndicat enseignant SE-Unsa critiquant « une volonté politique de faire du bilinguisme à tout va » et un système qui « devient élitiste ».
A la rentrée 2021, dans le premier degré, public et privé, 18,2% des écoliers de l’académie de Strasbourg suivaient un enseignement bilingue, soit 31.540 élèves, contre 19.811 dix ans plus tôt. Une convention signée en 2015 fixe pour 2030 un objectif de 50% des inscriptions en maternelle en classes français-allemand.
En 2021 et 2022, aucune école n’a ouvert de filière bilingue. Pour 2023, le recteur a promis « quatre nouvelles classes immersives publiques ».
Réseaux sociaux et job dating
« C’est facile de dire qu’on ne trouve pas les enseignants en allemand, on ne les cherche pas vraiment », critique le président d’Eltern Alsace.
Pour pallier ce manque, l’association porte le projet « RecrutoRRs », qui bénéficie de financements européens jusqu’en juillet 2023. « On apporte les méthodes modernes de recrutement, en utilisant les réseaux sociaux, on fait un premier tri, un premier entretien en allemand », puis le rectorat ou un autre donneur d’ordres termine la sélection, explique Janine Peters, chargée du projet.
Ainsi, sur 125 candidatures transmises à l’Education nationale en deux ans, 33 personnes ont été recrutées.
Ce fut le cas de Nicolas Jaeglé, 22 ans qui s’est retrouvé le 8 janvier à faire classe en allemand à trois niveaux différents.
Ne trouvant pas de travail après ses années de licence d’allemand et d’administration publique, ce dialectophone s’est dit que « cela pourrait être un emploi pour quelque temps ». « Et maintenant je n’ai plus envie de partir », se réjouit-il avant sa rentrée dans deux classes bilingues du Haut-Rhin le temps d’un congé maternité.
Il regrette néanmoins « la rémunération assez réduite » pour les contractuels, à 1700 euros brut.
Tentant d’attirer des candidats, la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), qui défend ardemment le bilinguisme en Alsace, et la Région Grand Est ajoutent une prime annuelle de 1500 euros brut pour les enseignants en bilingue.