
Les turbulences intimes d’un cerveau porcin

A Genève, Jean-Luc Bideau joue en solo «Stratégie pour deux jambons», pièce de Raymond Cousse.
Des strates de lecture à l’infini, voilà ce qu’offre «Stratégie pour deux jambons», pièce du Français Raymond Cousse (1942-1991) que Jean-Luc Bideau, dirigé par sa femme Marcela Salivarova, joue en solo à Genève, 20 ans après la première version qu’il en avait donnée à Sion.
C’est donc une dizaine d’interprétations et autant de tons que l’on peut accorder à cette «Stratégie» qui pourtant ne conte qu’une seule histoire. Celle d’un cochon qui attend, enfermé dans un box, le moment où on le mènera à l’abattoir.
Une critique acerbe de notre société
Entre temps, il soliloque sur son «parcours sans anicroches, entièrement balisé, depuis la mise bas jusqu’à la mise en boîte».
Et voilà que ce monologue animalier, tragique, comique, sentimental, cynique, fantastique, réaliste… vire à la critique acerbe de notre société, des rares moments de bonheur que celle-ci procure, et des grandes injustices qu’elle produit.
Le tout est servi dans une langue d’une verdeur très salutaire; particulièrement appréciable par temps d’élections présidentielles françaises, de guerres terroristes, de libertés bafouées, de sexualité surexposée et de consommation effrénée (c’est dire l’actualité de cette pièce écrite en 1976).
Au-delà du portrait de l’animal considérant, tel un homme, la vanité de toute trajectoire, surgit donc dans la silhouette grise de Jean-Luc Bideau, au dos soudain penché, le raccourci d’une déception. Voire d’un effroi face à la vie.
Poujadisme et castration
A la vie politique qui verse dans «le poujadisme porcin». A la vie commerciale qui en ouvrant «la voie à la libre circulation des carcasses» a permis la folie chez les vaches. A la vie amoureuse qui s’encombre de «castration» et réveille «les pulsions terroristes».
Bref, Raymond Cousse se montre prémonitoire. Avec une dévotion hébétée, il transcrit les turbulences intimes du cerveau de son porc.
Jean-Luc Bideau est le compagnon attentionné de cet animal pensant. L’acteur aurait pu nous émouvoir davantage s’il n’était pas décontenancé par cette multiplicité de tons que contient la pièce. S’il ne tentait pas, en outre, d’y pallier par un jeu décalé où l’improvisation sonne faux.
swissinfo/Ghania Adamo
«Stratégie pour deux jambons», à Genève, Théâtre Saint-Gervais. Jusqu’au 5 mai. Tel: 022/908 20 20

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