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Quand l’Orient danse avec l’Occident à Berne

Le mandala, symbole d'absolu, n'a ni fin ni commencement. Keystone

Devant une Dampfzentrale archi-bondée, la compagnie française Accrorap a subjugué le Tout-Berne, en offrant son spectacle «Anokha». Un mélange de hip hop des rues et de danses sacrées indiennes. Instants de rêve.

Si Peter Gabriel avait été là, sûr que le précurseur de la world music aurait adoré. Rarement une symbiose n’avait été aussi heureuse entre deux cultures, entre deux formes chorégraphiques aussi éloignées que le hip-hop américain et les danses sacrées pratiquées dans les temples indiens.

Le mandala de la paix

Un mandala s’éclaire dans le fond de la scène. L’immense cercle rond est comme tressé de bois et change de couleurs selon les tableaux. Symbole d’absolu, il n’a ni fin ni commencement. Il tourne indéfiniment comme la vie dans l’éternité.

Habillée d’un sari rouge orangé, une femme indienne raconte une histoire par des gestes rapides et délicats de la main. A l’autre bout de la scène, une fille des rues danse follement sur le trottoir. Tout les sépare et pourtant.

Très vite, les huit danseuses et danseurs apparaissent. La musique s’enflamme. Répétitive et envoûtante. Sous un soleil toujours plus torride et lumineux (le mandala).

D’un côté, un couple hindou et leur servante ensorcèlent la salle par des mouvements qui font appel à l’intériorité (Bharatanatyam et Kathak). De l’autre, les rappeurs français époustouflent l’auditoire par des acrobaties spectaculaires qui mettent l’accent sur l’extériorité de l’humain. La performance.

Hip hop et danses sacrées indiennes

Mais bientôt, les deux danses s’entremêlent. L’une à l’écoute de l’autre. Et elles s’enchaînent dans le mouvement des sollicitations et des réponses. Une chorégraphie naît. L’Occident et l’Orient dansent de concert.

Le premier tableau traite de la rencontre. Le second de la non-violence. C’est alors qu’un portrait de Gandhi apparaît à demi-caché sur le mandala, en réponse à la montée de la violence dans le Bronx.

Dans le troisième tableau, le chorégraphe Kader Attou lance des passerelles entre les nations. Là, des dizaines de bougies viennent illuminer le mandala et donnent naissance au svatiska. Symbole millénaire de l’harmonie entre les peuples. Mais qu’Adolf Hitler avait inversé sous la forme d’une croix gammée.

Enfin, le spectacle se termine avec les assuras, ces divinités déchues et condamnées à errer sur terre pour témoigner de la souffrance humaine. «En nous voyant danser en Inde, explique Kader Attou, un gourou nous a qualifié d’assuras. J’ai alors trouvé son image très juste, pour nous danseurs de hip hop.»

Plénitude artistique

Avec sa compagnie, le chorégraphe français a réussi à faire passer le hip hop de la rue à la scène, d’une revendication sociale à une expression artistique maîtrisée. Et surtout, à marier avec bonheur son hip hop aux danses sacrées pratiquées dans les temples indiens.

Le Bharatanatyam (danse amenée dans le Sud de l’Inde par le dieu Shiva) et le Kathak (chorégraphie de l’Inde du Nord enrichie par la culture islamique) semblent canaliser et même apaiser sur scène l’énergie angoissante et la dureté du geste des danseurs de hip hop.

«Anokha», c’est un rêve éveillé. Torses nus et pantalons de toile, ils déambulent, hagards, comme des prisonniers de Midnight Express, durant les respirations du spectacle. Puis, l’instant d’après, lorsque la cadence reprend frénétiquement, ils défient la vie par des acrobaties incroyablement spectaculaires. Tourbillonner sur la tête à toute vitesse, telle une toupie ensorcelée, il n’y a pas plus vertigineux.

A travers l’ivresse du rythme et le vertige du mouvement, c’est un langage universel – la world dance – qui s’est soudainement révélé, mardi soir, à la Dampfzentrale des Berner Tanztage. Il faut courir le voir, ce spectacle «Anokha» de la troupe franco-indienne Accrorap, mercredi soir.

Car la danse tient en Kader Attou et sa compagnie l’un des plus beaux joyaux de la chorégraphie d’avant-garde. Celui de créer un état de paix par le spectaculaire. Duquel se dégage une sensation de grâce et de plénitude artistique. Le temps d’une bouffée d’éternité au bord de l’Aar.

Emmanuel Manzi

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