
SR-111: le puzzle ne sera jamais complet

Des matériaux d'isolation inflammables ont causé le crash du SR-111, le 2 septembre 1998. Les enquêteurs canadiens ont reconstitué le puzzle de la catastrophe. Mais ils n'ont pas trouvé la cause ultime.
Publié jeudi, leur rapport final blanchit totalement les pilotes.
Quatre ans et demi d’enquête, plus de 3000 personnes impliquées, 57 millions de dollars canadiens: les moyens mis en oeuvre pour trouver la cause du crash du vol SR 111 de Swissair, dans la nuit du 2 au 3 septembre 1998 au large de Halifax, n’ont pas été comptés.
A l’arrivée, un mot revient dans tout le récit de l’accident. Un mot décliné sous toutes ses formes: «probable», «probablement», «probabilité».
Car le Bureau de sécurité des transports (BST) n’a pas pu déterminer la cause exacte de l’incendie. Le degré de précision des découvertes est cependant très grand.
«Il ne reste pas beaucoup d’incertitudes», dit Jean Overney, chef du Bureau suisse d’enquêtes sur les accidents d’aviation (BEAA), qui présentait jeudi le rapport final à l’aéroport de Zurich.
Système de divertissement impliqué
«Nous savons que le câble de l’alimentation du système vidéo fait partie de la chaîne causale. Il y a un autre câble, mais on ne l’a pas trouvé. Il faut dire qu’il y avait plus de morceaux après la catastrophe qu’avant la construction de l’avion… »
Les enquêteurs ont réussi à reconstruire 98% de l’avion. Le fil incriminé a été localisé dans la masse des pièces. Pour autant, rien ne prouve que le réseau de divertissement de bord (RDB), que l’on a longtemps soupçonné d’être la cause du drame, ait déclenché l’incendie.
Il faut dire que ce système n’était utilisé que pour la deuxième fois, après avoir été placé sur quatre avions d’Alitalia. Sa rapide homologation avait été mise en cause, à tort selon une enquête suisse.
Mauvais raccordement
De plus, les enquêteurs ont découvert un autre vice de conception dans le raccordement du fameux RDB au système électrique. «Mais cette erreur n’a eu aucun rôle dans le déclenchement de l’incendie.»
Dans les détails, c’est un début de court-circuit qui a provoqué une chaleur intenseau-dessus du cockpit. Les pilotes ont senti une odeur bizarre, et même vu de la fumée, mais celle-ci a reflué.
L’équipage a cru qu’il s’agissait d’un problème d’air conditionné qui n’est, normalement, pas dangereux dans un avion. «Tandis qu’un incendie se développait au-dessus de leur tête, disent les enquêteurs canadiens, ils n’avaient aucune raison de s’inquiéter.»
Pilotes démunis
A cet endroit, les détecteurs de fumée n’étaient pas obligatoires. En outre, des reconstitutions de circulation d’air ont montré qu’à aucun moment, avant qu’il ne soit trop tard, les pilotes ne pouvaient détecter l’incendie.
Le rapport démontre que la chaleur a mis le feu très rapidement aux matériaux d’isolation, et notamment ceux qui étaient recouverts de «polytéréphtalate», ou PET, métallisé.
Et c’est ce matériau qui a permis de propager l’incendie. «A coup sûr, affirment les Canadiens, sans lui, il n’y aurait pas eu d’accident.»
50 recommandations
Parmi leurs quelque 50 recommandations de navigabilité, les enquêteurs ont mis en exergue la nécessité de placer des détecteurs dans les plafonds et autres endroits cachés.
Désormais, les pilotes doivent aussi recevoir une nouvelle formation sur la conduite à tenir en cas d’incendie.
«Cet incendie a sonné le réveil de l’industrie aéronautique», dit Vic Gerden, le chef des enquêteurs canadiens. Personne ne savait que ces matériaux d’isolation s’enflammeraient si vite.
Choc pour les constructeurs
Jean Overney confirme le «choc» causé par l’accident du vol Swissair chez les constructeurs. «Souvenez-vous, aucun n’a mis en avant ses propres appareils en disant que cela ne lui serait pas arrivé. Tous ont dû balayer devant leur porte.»
La cause ultime de la catastrophe n’a donc pas été trouvée. Faut-il néanmoins parler d’échec?
«Il est clair qu’on aurait bien voulu pouvoir dire ‘c’est tel bouton, ou tel câble qui a provoqué l’incendie’», répond Jean Overney.
«Mais, ajoute-t-il, très rapidement, nous avons tous été d’accord pour dire que la cause était moins importante que de savoir pourquoi l’incendie s’était propagé tellement rapidement.»
«Imaginez un immeuble: si, quelque part, il y a un court-circuit dans un commutateur électrique, on ne s’attend pas à ce que toute la maison parte en flammes.»
Les enquêteurs l’ont répété: un court-circuit doit pouvoir être toléré. Grâce aux découvertes faites pendant ces quatre ans et demi de recherches, les 229 victimes ne sont peut-être pas mortes en vain.
swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

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