Un événement de première importance pour le sociologue Jean Ziegler

(Keystone-ATS) Pour le sociologue genevois Jean Ziegler, Mai 68 restera un des grands moments de l’histoire de la seconde moitié du XX siècle. Le mouvement d’origine estudiantine a permis l’émergence d’un monde nouveau.
Toute une génération s’est forgée une conscience politique nouvelle, souligne l’actuel vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations-unies dans une interview accordée à l’ats. La Suisse n’a pas échappé à la vague protestataire qui a balayé le monde occidental et « elle en est ressortie transformée à jamais », selon lui.
Une société étouffante
Avant les événements de Mai 68, la société helvétique vivait selon des normes et des préceptes qu’aujourd’hui on peine à imaginer. « Nous pouvons parler d’une Suisse néolithique », relève M. Ziegler. Les femmes y étaient totalement discriminées. Elles devaient par exemple demander à leur mari l’autorisation d’ouvrir un compte bancaire et surtout, elles n’avaient pas le droit de vote.
« L’idéologie obtuse du département militaire fédéral régnait en maître ». Le pays était une sorte de miroir de l’autoritarisme soviétique, souligne le sociologue. Dans l’univers binaire de la Guerre froide, près de 650’000 citoyens et citoyennes, soupçonnés d’accointances avec l’ennemi par les autorités, ont été surveillés et fichés « de façon totalement illégale ».
Mai 68 est parvenu à faire sauter cette « chape de plomb ». « Le mouvement a été une vraie révolution d’un genre très particulier ». « Il a rejeté d’emblée toute allégeance à Moscou ou à Washington. Il s’est développé sans hiérarchie, était protéiforme et sans structures permanentes. »
Grâce a Mai 68, « la conscience collective a fait un saut qualitatif ». Ceux qui défilaient dans les rues en scandant des slogans tels que « sous les pavés la plage » ou « soyons réalistes, demandons l’impossible », ont dit vrai, estime l’ancien professeur de l’Université de Genève.
Les autorités déchues
Après Mai 68, « le patriarcat est en miettes, l’influence des partis politiques se retrouve à terre et les Eglises perdent de leur autorité », poursuit M. Ziegler. La condition des femmes évolue. En Suisse, la carrière politique leur est désormais ouverte, par exemple.
Pourtant, des inégalités subsistent toujours. Une femme continue de gagner moins qu’un homme. De plus, le monde vit aujourd’hui sous la dictature des oligarchies du capital financier globalisé, assène l’ancien conseiller national.
« L’injustice sociale, la violence et la faim ravagent de vastes régions de la planète ». Dans ce contexte, le professeur genevois espère ardemment l’éclosion d’un nouveau Mai 68 pour changer « l’ordre cannibale » actuellement en place.