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Le travail de Sisyphe des balayeuses d’Addis Abeba

La pollution est en augmentation à Addis Abeba, les balayeuses de rue se protègent comme elles peuvent.

Chaque jour, plusieurs centaines de femmes participent au nettoyage des rues de la capitale éthiopienne armées d'un balai de fortune. La réalisatrice suisse Corinne Kuenzli a réussi à gagner leur confiance.

‘Sweeping Addis’ est l’un des onze longs-métrages projetés dans le cadre du panorama que le Festival international de films de Fribourg (FIFF) consacre aux mégalopoles.

«Si on allait aux Etats-Unis, on devrait laver des voitures. Cela ne serait pas très différent», affirme l’une des quatre balayeuses de rue éthiopiennes dont Corinne Kuenzli fait le portrait dans son documentaire ‘Sweeping Addis’ (‘Les Balayeuses d’Addis Abeba’).

Alors toutes continuent à œuvrer au bord des routes crasseuses de la mégalopole qui compte plus de 4 millions d’habitants. En dépit des gaz d’échappement étouffants et du trafic chaotique, elles ramassent des papiers gras, des animaux morts ou de la poussière. Avec lucidité et détermination.

Car ces femmes ont au fond des yeux l’espoir d’une vie meilleure pour leur famille, qui la plupart du temps vit de leur activité. «Ce travail est mon pain quotidien. Je ne l’aime pas, mais je le respecte», déclare ainsi l’une d’elles à la caméra, témoignant par là de la relation de confiance que la réalisatrice suisse est parvenue à établir avec les balayeuses.

Désireuse de travailler sur le long terme, Corinne Kuenzli a laissé passer un an et demi entre les premiers contacts établis par l’intermédiaire de deux étudiantes éthiopiennes et le début du tournage.

Mariée à un diplomate en poste sur place, elle a posé son «regard libre d’observatrice» sur ces femmes ignorées, voire méprisées par les Ethiopiens. Elle s’est ensuite donné le temps de s’approcher d’elles.

L’absence des hommes

«Au début, elles ne comprenaient pas pourquoi une étrangère voulait les rencontrer. Elles étaient assez méfiantes, se souvient la réalisatrice. Au moment où on a commencé à tourner, elles ne croyaient presque plus au projet, mais elles étaient absolument prêtes à y prendre part.»

‘Sweeping Addis’ les montre d’abord en action, armées d’un balai souvent fabriqué maison et masquées d’un foulard, de lunettes de soleil et d’un chapeau de paille qu’elles se procurent elles-mêmes puisque l’entreprise qui les emploie ne fournit aucun vêtement de protection. Et c’est une chance à en croire Corinne Kuenzli.

«En cherchant à savoir pourquoi autant de femmes font ce métier difficile, l’une d’elles nous a dit qu’il était trop embarrassant pour les hommes. Si des uniformes sont distribués, il deviendra plus valorisant, donc plus attractif pour eux», explique la réalisatrice.

Le poids des traditions

Dans un pays où près de 39% de la population vit en-dessous du seuil national de pauvreté, les balayeuses d’Addis Abeba ne se plaignent pas de leur condition.

Sur l’échelle sociale, les échelons qu’elles ont gravi sont nombreux. Comme le rappellent ces laissés-pour-compte qui vivent dans la moiteur infernale de l’immense décharge à ciel ouvert où sont acheminées les ordures qu’inlassablement elles rassemblent.

Et même si «le travail des femmes ne finit jamais» comme elles disent, les balayeuses sont reconnaissantes à la capitale. C’est volontiers qu’elles contribuent à l’«embellir» parce que la ville leur a permis de se libérer quelque peu du poids des traditions qui dictent le destin des femmes en Ethiopie.

«Aucune de ces femmes ne dit jamais rien de positif sur les coutumes. Les mariages forcés, l’excision, toutes sont très pénibles pour elles. En ville, elles se mettent plus en danger qu’en restant chez elles, mais elles peuvent accéder à plus d’indépendance si elles trouvent un travail. Le futur peut alors devenir un espoir», souligne Corinne Kuenzli.

Les métropoles, fabriques d’espoir

Un espoir qui est au cœur des flux migratoires vers les grandes métropoles, et dont les dix autres films retenus dans le cadre du panorama ‘Images de la vie urbaine’ présenté au FIFF témoignent sur le mode poétique.

«Les villes sont des trous noirs qui absorbent les gens. Mais elles sont aussi des lieux de bien-être où les possibilités sont démultipliées. Elles présentent les mêmes contradictions que les humains qui les habitent. Elles sont à la fois un lieu dangereux, mais aussi un espace de liberté», résume Thomas Krempke, curateur du panorama.

Que ce soit dans le smog de Kuala Lumpur, dans les tôles délabrées d’un bidonville de Manille ou justement dans les rues noyées de pollution d’Addis Abeba, l’urbanisation progresse à grande vitesse, comme il a voulu le montrer. Reste à trouver le moyen de lui redonner un visage humain.

swissinfo, Carole Wälti à Fribourg

Corinne Kuenzli est née à Bâle. Elle vit dans le canton de Berne.
Elle a obtenu une maîtrise en cinéma à New York en 1988.
En 2002, elle est partie vivre à Addis Abeba, où elle est restée quatre ans.
‘Sweeping Addis’ est son premier documentaire. Il sera diffusé le 23 avril sur TSR 2.

Le Festival international de films de Fribourg a lieu du 18 au 25 mars. Treize films ont été sélectionnés pour la compétition.

Seuls deux d’entre eux proviennent du même pays, la Malaisie. Les autres sont issus du Brésil, d’Iran, des Philippines, d’Argentine, du Japon, de Tunisie, de Chine, de Belgique, d’Israël, d’Algérie et de Thaïlande.

Quatorze films seront en outre projetés hors compétition. Trois panoramas viennent compléter la programmation. L’un sur la ‘Nouvelle Vague’ taïwanaise, l’autre sur le cinéma sud-africain et enfin un troisième consacré aux mégalopoles.

En 2007, la population urbaine surpassera pour la première fois la population rurale, selon les statistiques des Nations unies.

En 1950, 29% de la population mondiale vivait dans des villes. Ce taux était de 49% en 2005. Il devrait atteindre 60% en 2030.

Chaque jour dans le monde, 180’000 personnes abandonnent leur foyer en région rurale pour venir s’établir dans une ville. Au total, cela génère un exode de plus d’un million de personnes par semaine.

Alors qu’en 1950, seul New York comptait plus de 10 millions d’habitants, plus de 80 villes comptent aujourd’hui une population équivalente.

La plupart d’entre elles se trouvent dans les pays du Sud. La population de Lagos par exemple croît de 70 personnes par heure.

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