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«Il faut avancer sur le dossier européen pour des raisons économiques, énergétiques et de formation»

Les relations que la Suisse doit entretenir avec l’Union européenne et la question frontalière restent des sujets de discussion animés entre parlementaires helvétiques. Trois d’entre eux, dont deux nouvellement élus, ont croisé le fer dans notre émission Let’s talk.

Début novembre, le Conseil fédéral a annoncé vouloir élaborer un mandat de négociation avec l’Union européenne (UE). La nouvelle a réjoui les 450’000 Suisses de l’étranger qui vivent dans un pays de l’UE et qui, depuis la rupture unilatérale de l’accord-cadre par la Suisse en mai 2021, craignent, entre autres, pour la libre circulation des personnes et souffrent de l’exclusion de la Suisse des programmes d’échanges et de recherche.

Cohérence de l’échiquier politique

Invités sur le plateau de Let’s talk, des parlementaires représentant les trois partis politiques qui ont obtenu les meilleurs scores aux élections fédérales du 22 octobre 2023 se sont exprimés sur la suite à donner au dossier européen.

Estelle Revaz, membre du Parti socialiste (PS / gauche) nouvellement élue au Conseil national pour le canton de Genève, est favorable à la reprise des négociations. «Avec les crises sanitaire ou énergétique que nous traversons ou avons traversées, force est de constater que nous ne pouvons pas trouver des solutions qui se limitent à l’échelle de notre pays».

La Suisse doit pouvoir échanger avec l’UE et avoir accès aux programmes de coopération dans les domaines de la recherche et de la formation, considère la violoncelliste professionnelle, qui a pu faire des études en Allemagne grâce au programme d’échange européen Erasmus.

La protection des salaires à tout prix

La protection des travailleuses et travailleurs en Suisse constitue également un aspect essentiel des négociations, selon la Genevoise. La défense des salaires et la crainte d’une sous-enchère salariale sont en effet l’un des points d’achoppement entre Berne et Bruxelles. Les syndicats, alliés historiques de la gauche, s’étaient montrés particulièrement inflexibles dans ce domaine lors des dernières négociations, et plusieurs spécialistes leur avaient imputé d’être en partie responsables de l’échec des pourparlers.

Sur ce sujet, le PS et l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) se rejoignent. «La Suisse doit avoir le dernier mot sur les salaires», déclare Thomas Stettler, qui représentera nouvellement le canton du Jura au Conseil national. Le représentant de l’UDC est dubitatif face à l’annonce du Conseil fédéral et considère qu’une reprise des directives européennes n’est pas à l’ordre du jour. Il estime en outre que l’exclusion de la Suisse des programmes de coopération européens «n’est rien d’autre qu’une mesure de rétorsion de la part de l’UE».

Trouver des compromis

Pour Sidney Kamerzin, conseiller national du Centre depuis 2019, «il faut avancer sur le dossier européen pour des raisons économiques, énergétiques et de formation». Il attend, d’une part, un effort de la part de la gauche et des syndicats sur les questions des travailleurs détachés, des cautions et des délais d’annonce et, d’autre part, que l’UDC fasse également un pas dans cette direction. «Le PS et l’UDC doivent s’entendre, car ils ont la majorité au Conseil fédéral. Sans cela, le dossier restera au point mort», avertit le Valaisan.

La question migratoire et frontalière

Thomas Stettler se veut coopératif et indique que «si les conditions claires que nous posons sont respectées, nous trouverons des solutions dans tous les domaines». S’il admet que l’accord sur la libre circulation, notamment, présente un avantage économique pour le pays, il met en garde contre l’immigration importante qu’il permet dans une Suisse «qui est actuellement l’aspirateur de l’Europe en matière de migration».

Tout en émettant des doutes sur la métaphore du Jurassien, son collègue du Centre rappelle que, selon la faîtière des entreprises economiesuisse, il devrait manquer à la Suisse environ 300’000 travailleurs et travailleuses d’ici 2030. Le pays est actuellement en période de plein-emploi et fait face à une pénurie de main-d’œuvre, que viennent combler en grande partie les ressortissantes et ressortissants européens.

>> Lire notre dossier spécial à ce sujet: Pourquoi la Suisse a besoin de main-d’œuvre étrangère

Près de 1,5 million de citoyennes et citoyens européens sont installés en Suisse et y travaillent, et près de 300’000 personnes passent la frontière chaque jour pour venir travailler en Suisse.

Entre doute et pragmatisme

Selon Thomas Stettler, le nombre de frontaliers augmente de manière trop importante et leur présence aurait un impact négatif sur les régions transfrontalières, car «cela appauvrit les entreprises situées en France, qui ne trouvent plus de main-d’œuvre, et augmente artificiellement le potentiel des entreprises en Suisse.» 

Sidney Karmerzin concède que la venue quotidienne de ces milliers de frontaliers présente des défis en matière d’infrastructure ou de logement, mais il considère que ceux-ci doivent être résolus localement par les gouvernements des cantons concernés, avec le soutien de la Confédération. Il voit en revanche des avantages importants à faire venir ces travailleuses et travailleurs européens, «qui permettent par exemple aux entreprises suisses de ne pas délocaliser et de créer des richesses sur notre territoire.» 

Estelle Revaz envisage la question de manière très pragmatique: «Si pendant la pandémie de Covid-19 nous n’avions pas eu les travailleurs frontaliers, nous aurions tout simplement dû fermer les hôpitaux. Cela vaut également pour les chantiers».

La socialiste ne veut pas nier les problèmes posés et prend au sérieux l’inquiétude de la population genevoise. Le Mouvement citoyen genevois (MCG / droite populiste), qui a fait de la lutte anti-frontaliers son fonds de commerce électoral, a en effet gagné 3 nouveaux sièges au Parlement. Mais «nous devons réfléchir à des solutions, car nous ne pouvons pas nous permettre de nous couper de cette main-d’œuvre», avance-t-elle.

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