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Une déferlante de croix suisses

Depuis un an, le céramiste Peter Fink ne produit plus que des objets arborant la croix suisse. (photo Peter Fink) Depuis un an, le céramiste Peter Fink ne produit plus que des objets arborant la croix suisse. (photo Peter Fink)

Depuis plus d'un an, la croix blanche sur fond rouge se décline sur une multitude d'objets. Au point qu'elle a remplacé les motifs «ethno» des décennies précédentes.

Mais cette déferlante pourrait bien signifier l’essoufflement de la «suisse mania».

Symboles ancestraux de l’Helvétie, l’edelweiss et l’arbalète sont tombés aux oubliettes au profit de la croix fédérale qui fleurit partout, sur la vaisselle, les T-shirts, les téléphones ou encore les sacs.

Son graphisme simple a un impact visuel que seul le drapeau japonais peut lui envier, relève la conservatrice du Musée de design et d’arts appliqués contemporains (mu.dac)

Le drapeau suisse est aussi le seul au monde à être carré. «Il est reconnu partout, alors que, bien souvent, on a du mal à situer la Suisse», ajoute Chantal Prod’hom.

Le rapport des proportions de cette croix grecque (et non latine) touche à la perfection. Sa symétrie s’accorde avec des couleurs franches, le rouge et le blanc en l’occurrence.

Autant d’éléments qui ont contribué à imposer ce symbole national sur tout et sur n’importe quel objet.

Un emblème national bafoué

A l’heure où l’autodérision et la fameuse pudeur des Helvètes reflètent bien souvent leur attitude face à leurs propres symboles, on ne s’étonne donc plus de les voir ainsi bafouer leur emblème national.

«Ca marche du tonnerre, constate la gérante de la filiale lausannoise des Boutiques Metro. Les sacs, grands et petits, partent comme des petits pains!»

Josiane Chabrier observe tout de même que 80 pour cent des clients de cette «suisse mania», sont des touristes. «Les Suisses visent plutôt la provocation, en achetant par exemple, des sous-vêtements rouges à croix blanche», note-elle.

La chaîne de grands magasins Globus confirme, elle aussi, le véritable boom de ces produits à forte connotation nationale. Elle y voit un besoin identitaire, une sorte de retour aux racines et à la fierté d’être suisse.

Même son de cloche chez Bally qui a lancé, en 2001 déjà, une ligne de chaussures à croix blanche. Des baskets de luxe dont le prix dépasse le simple souvenir folklorique et que les clients continuent à s’arracher.

Une manière pour cette société – qui est aujourd’hui en mains étrangères – de rappeler qu’elle reste symboliquement attachée à la Suisse et à son image de produits de qualité.

Des caquelons à fondue à croix blanche

La demande est forte. Au point que, depuis an, Peter Fink ne produit plus que des objets arborant la croix blanche.

En 2001, le céramiste fribourgeois a débuté sa «Swiss Line» par un caquelon à fondue, à la demande de la boutique zurichoise Heimatwerk, qui fait référence dans le monde de l’artisanat helvétique.

Depuis, il a élargi sa ligne avec les accessoires qui entourent la fondue, dont des assiettes et des tasses à thé:

Au début, Peter Fink voyait d’un mauvais œil le fait d’afficher en grand la croix suisse sur ses céramiques. D’ailleurs, il avait surnommé sa tasse «UDC», du nom du parti de la droite dure et nationaliste.

Puis, conquis par la force du graphisme du drapeau suisse, le céramiste a finalement assumé entièrement son «patriotisme» créatif. Surtout, plaisante-t-il, «depuis que des politiciens de gauche se sont mis à arborer le T-shirt à croix blanche».

Le coup de pouce de Swissair et Expo.02

Dans ce regain d’intérêt pour l’emblème helvétique, le «grounding» puis la mort de Swissair ne sont pas totalement innocents.

Les nombreux nostalgiques de la grande époque Swissair, se sont rués sur les objets fétiches à croix blanche de la défunte compagnie mis aux enchères. L’emblème suisse a ainsi été remis dans le vent, sans que quiconque ne soit accusé de patriotisme ringard.

Et puis, Expo.02 a pris le relais. L’exposition nationale – qui se voulait ludique en réinterprétant la notion de «suissitude» – a accouché de son flot de visiteurs en T-shirts rouge à croix blanche.

Une véritable déferlante. A tel point que, l’été dernier, il était devenu difficile de trouver ces fameux T-shirts.

Des modes qui finissent par s’essouffler

«Mais, analyse Chantal Prod’hom, toute déferlante s’arrête une fois qu’elle a inondé la plage. Quand une icône se décline sur autant d’objets, elle finit par se vulgariser terriblement.»

La spécialiste en ‘design’ tire un parallèle entre la mode de la croix suisse et celle du camouflage. Après s’être repliée dans ses derniers retranchements (les sous-vêtements), cette dernière s’est essoufflée.

Ajoutons encore que, dans les deux cas, les symboles ont été grandement vidés de leur substance. «Même si, relativise Chantal Prod’hom, on ne peut pas vidanger totalement la charge sémantique d’un symbole.»

Les précurseurs de la «suisse mania»

Rendons toutefois à César ce qui est à César. La «suisse attitude» ne date pas du «grounding» de Swissair ou d’Expo.02.

En effet, il y a quatre ans déjà, la sellerie haut-valaisanne Karlen a lancé une ligne de sacs fabriqués avec des couvertures militaires.

«Les Edelweiss et les petites vaches ne marchaient plus très bien. Nous devions donc absolument nous renouveler, se souvient Hans-Jörg Karlen. Mon père et moi avons alors pensé à recycler du matériel militaire.»

Cela dit, au moment de la faillite de Swissair, avoue Hans-Jörg Karlen, la vente de ses produits a fait un véritable bond en avant.

Pour autant, dans les mêmes circonstances, le père de la montre «ethno» n’a pas eu la même chance. L’horloger Michel Jordi avait tablé sur des produits folkloriques de luxe. Mais, lui, il a fait faillite en 2002.

Il n’empêche que la «suisse mania», comme toute tendance flottant dans l’air du temps, risque de lasser et de disparaître. D’ailleurs, dans la nouvelle ligne présentée ce week-end par les Karlen, la croix suisse se fait beaucoup plus discrète.

swissinfo, Anne Rubin

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