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Les Eagles, faiseurs de miracles

Keystone

«Hotel California», «Desperado», vous vous souvenez? Vendredi soir, les Eagles se sont déployés sur Zurich. Le groupe américain y a donné un concert qui a mal commencé pour finir en apothéose. Et ont démontré que leur présent brille autant que leur passé.

L’Amérique des superlatifs a rendez-vous avec la Suisse cet été. Il y trois jours, ZZ Top balançait son boogie hypertrophié à Crans-près-Céligny, paisible village lémanique proche de Nyon qui avait rarement dû connaître une telle tornade pileuse.

Bientôt, le 30 juin, le Boss himself viendra chanter, E Street Band en formation de combat, le bonheur et le malheur d’être Américain. C’est même au Stade de Suisse, à Berne, que Bruce Springsteen viendra pousser son cri historique, «Born in the USA», que seuls les bœufs ont pu prendre pour un hymne patriotique.

Et un peu plus tard, en août, Calexico, viendra déployer son superbe folk tequila-cola à Avenches.

Des groupes US en goguette helvétique, il y en a d’autres, bien sûr… Mais on s’arrêtera à l’essentiel. Voire à l’existentiel. Et si c’est à ces altitudes-là que l’on plane, il fallait évidemment ajouter à la liste les Eagles.

Quoi, les vieux machins qui signèrent «Hotel California» en 1876, pardon, en 1976, soit il y a 33 ans? Oui, jeune freluquet. Eux-mêmes. Et sache que s’ils sont vieux, ce ne sont pas des machins pour autant.

«Long Road Out Of Eden»

Il y a quinze ans, leurs retrouvailles semblaient trop artificielles – ils s’étaient séparés deux décennies auparavant – pour être dues à de strictes motivations musicales. Pourtant, l’album essentiellement live qui suivit, «Hell Freeze Over», démontra qu’ils avaient de beaux restes. Et c’est un euphémisme.

Et puis, en 2007, à la surprise générale, ou en tout cas la mienne, les Eagles déboulent chez les disquaires avec un nouvel opus, un double CD baptisé «Long Road Out Of Eden». Et là, choc: parmi les vingt titres figurent plusieurs pépites… Pas de doute, les Eagles savent toujours composer, écrire, jouer de la guitare et balancer dans votre cerveau tout esbaudi des harmonies vocales aussi chaudes que célestes.

Moult disques de platine et autres Awards plus tard, et huit ans après leur dernier passage à Zurich, les revoici ce mois de juin, au Hallenstadion.

Inquiétude

Les Eagles entrent en scène dans un silence presque total. Public glacial. Trop mûr? Trop assis? Trop zurichois? C’est-à-dire comportant trop de banquiers déprimés? Le mystère restera entier. Quoi qu’il en soit, le groupe va commencer par ne pas mettre du sien pour améliorer les choses.

Un son plat et étroit, une absence totale de contact avec le public, des temps morts entre les chansons, qui voient les applaudissements s’essouffler à chaque fois. Inquiétude.

Le groupe attaque par trois chansons tirées de «Long Road of Eden», avec en tête «How Long», country-rock musclé. Au quatrième titre, une trompette mariachi suivi d’un accord de si mineur donne la couleur: «Hotel California». Déjà? Oui, déjà.

Les Eagles ont donc choisi de ne pas jouer la carte du tube géant que l’on garde pour la fin histoire de retenir le public. Ce qui est tout à leur honneur. Mais à leur désavantage aussi: la fabuleuse voix de Don Henley n’est pas encore chauffée, le son reste peu convainquant, le public aimerait sans doute ressentir le grand frisson, mais ne le ressent guère…

Le premier set va se poursuivre ainsi, avec des titres superbes, mais une triste absence d’émotion. Et défilent pourtant «Peaceful, Easy Feeling», «I can’t Tell you Why», «Lying Eyes» et autres perles estampillées seventies.

C’est avec le dynamique «The Long Run» que la sauce commencera à prendre, et le public à taper dans ses mains… Mais, pas de chance, c’est la pause. Première partie en forme de faux départ.

Crescendo

On retourne s’asseoir en espérant. Et on n’est pas déçu. Le miracle a soudain lieu. «No More Walks in the Wood», le superbe titre – presque – a capella qui ouvre leur dernier album emplit le Hallenstadion. Les incroyables harmonies vocales des Eagles trouvent enfin leur ampleur.

Ils enchaînent avec un pur moment de grâce, «Waiting in the Weeds», cette balade nostalgique et belle. Derrière eux, le vaste écran en demi-cercle ne fait plus de la décoration, mais se fond dans la chanson, comme les musiciens se fondent dans les images, avec ces images qui disent une Amérique sépia, faite de champs de blé et de fête triste. Poésie du quotidien, comme leurs mots.

Un peu plus tard suivra la longue chanson-titre du disque «Long Road Out of Eden». Mélodie arabisante et riffs rock, chant lyrique et tendu de Don Henley, solo torturé de Joe Walsh. A nouveau, l’écran fait sens. Image de dunes. Moyen-Orient. Contre plans de l’Amérique du troisième millénaire, si loin de tout ça. Et cette question lancée à travers la voix de Don Henley: «What Are We Doing Here?».

Les quatre Eagles en titre (Glenn Frey, Don Henley, Joe Walsh, Timothy B. Schmit), et celui qui mériterait d’être officiellement le cinquième, le remarquable guitariste Steuart Smith (le successeur de Don Felder), sont assis sur les devants de la scène, costards noirs et cravates idem. Et la magie opère, complète.

Comme elle opérera jusqu’à la fin du concert. Avec un crescendo qui les amènera à tricoter du hard reggae façon Joe Walsh («Life’s Been Good»), du funk lourd («Funk #49») et du Eagles musclé («Heartache Tonight», «Life in the Fast Lane»).

Yes they can

Les rappels ramèneront les Eagles à l’acoustique. «Take it Easy», suivi du magique «Desperado», son piano triste, sa mélodie imparable, et cette voix, si haut perchée. Rideau. Bonheur.

Bonheur d’avoir vu, finalement, le spectacle dont on rêvait alors qu’à son début, on a craint de voir un mythe s’effondrer. D’aucuns leur reprocheront sans doute de jouer leurs chansons à l’identique, sans surprise. Peut-être. Mais on n’improvise guère quand on chante des harmonies avec cette précision et ce génie-là.

Bonheur de retrouver un disque qui pourrait se contenter de tourner avec un répertoire plus que trentenaire, et qui parmi les 27 chansons de la soirée, place un gros quart de nouveautés. Dont plusieurs sont des joyaux qui n’ont pas grand chose à envier à «Hotel California»…

Bernard Léchot, Zurich, swissinfo.ch

Linda Ronstadt. Les Eagles se sont créés en 1971 à partir du groupe qui accompagnait la chanteuse country-rock Linda Ronstadt en 1970 (voir l’album «Silk Purse»).

Voix. Le groupe est alors constitué de quatre membres : Glenn Frey (guitare, piano), Don Henley (batterie), Bernie Leadon (guitare, banjo), Randy Meisner (basse). Tous chantent, et la qualité des harmonies vocales va rapidement devenir la marque de fabrique du groupe.

Nouveaux venus. Après les albums «Eagles» (1972) et «Desperado» (1973), les Eagles se dotent d’un guitariste-chanteur supplémentaire en la personne de Don Felder. Suivront «On The Border» (1974) et «One of These Nights» (1975). Bernie Leadon est remplacé par Joe Walsh, guitariste du groupe «James Gang».

Jackpot. En 1976, le groupe publie l’album «Hotel California». La chanson-titre est un tube planétaire et historique!

Poco. Le bassiste Randy Meisner quitte le groupe. Timothy B. Schmit le remplace (comme il l’avait déjà remplacé dans le groupe folk Poco, que Meisner avait quitté pour les Eagles en 1971).

La fin? En 1979, le groupe enregistre un sixième album qu’il croit alors être son dernier, «The Long Run». Cet album sera suivi d’un double live, sorti alors que le groupe est officiellement séparé.

Retrouvailles. Quatorze ans après la séparation du groupe, en 1994, celui-ci se reforme pour une tournée et un nouvel album, «Hell Freezes Over», constitué de quelques compositions inédites et de chansons live.

Surprise. 2007: le groupe signe un double album, «Long Road Out Of Eden», suivi d’un retour sur scène qui se prolonge aujourd’hui encore.

Eagles 2009. Les Eagles d’aujourd’hui sont constitués de Don Henley, Glenn Frey, Joe Walsh, Timothy B. Schmit. Ils sont accompagnés en concert par le guitariste Steuart Smith, trois claviers, un batteur et une section de cuivres.

Beverley Hills Hotel. La pochette est illustrée par une photo du Beverly Hills Hotel (connu sous le nom The Pink Palace) à Los Angeles.

Jethro Tull. Les couplets de la chanson «Hotel California» sont construits sur une progression d’accords peut-être inspirée de «We Used To Know» de Jethro Tull, dont les Eagles avaient assuré la première partie en 1972.

Mystère. Un voyageur entre dans un hôtel dont il ne ressortira jamais… Que signifie donc les paroles de cette chanson? Sur Internet, les débats font encore rage! Hotel California, métaphore de l’addiction à la drogue, de l’Eglise satanique, de la vie d’un couple, de la vie et de la mort, tout simplement? Les réponses sont multiples.

Interviewé à ce propos en 2007 sur une chaîne de télévision américaine, Don Henley répondra: «C’est une chanson sur les sombres dessous de l’American Dream, et sur les excès de l’Amérique. Quelque chose que nous connaissions bien à l’époque».

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