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Débauche chez Calvin

Pauvre jeune homme riche. Dargaud, image tirée de l'album

Stupre et lucre à Genève... C'est le contexte de l'intrigue de «Rester normal», une BD signée Frédéric Beigbeder et Philippe Bertrand.

Au cœur de l’intrigue, un malheureux jeune homme trop riche dans un univers parfaitement amoral.

D’un côté, Frédéric Beigbeder, ex-publicitaire branché, critique littéraire, jeune romancier à succès («99 francs», réédité sous le titre «14,99 euros»!), ex-animateur de Canal +, dandy permanent, noceur impénitent et invité chéri des plateaux de télévision français.

De l’autre, Philippe Bertrand, dessinateur publié dès la fin des années 70 par Charlie Mensuel, qui depuis a donné dans la bande dessinée, l’illustration, et même la décoration: la grande verrière de la FNAC Etoile, à Paris, c’est lui.

Au milieu, leur créature, «Junior», jeune Genevois confronté à une situation difficile: «Ce n’est pas parce que papa a 58 milliards de dollars que je ne peux pas rester naturel», essaie-t-il de se convaincre en page 5 de cet album publié chez Dargaud.

Copuler dans la soie

La famille de Junior étant ‘overbookée’, elle fête Noël en septembre, seul moment qui convienne pour les retrouvailles. Car lors du vrai Noël, «Papa est à Moustique chez Mick Jagger, Maman est à Gstaad, Sister est à Milan, Tokyo, Rio, Cape Town, comme d’hab’».

Septembre, un moment de l’année qui permettra à Beigbeder et Bertrand de nous amener à une chute – c’est le cas de le dire – pour le moins inattendue. Mais l’essentiel du récit porte sur la description d’un milieu, déconnecté de la planète, qui noie ses milliards dans le sexe.

La mère, Névrosa, est une ex-porno star dont les sens sont restés plutôt affûtés. Un essaim de call-girls est toujours scotché au père. Quant à «Sister», c’est les amours saphiques qui la branchent, plutôt par goût de ce qui est ‘tendance’ que par réelle conviction.

Et «Junior», qui a la tête de Michel Houellebecq (paraît-il par hasard), regarde tout cela en rêvant de «rester normal».

Vite écrit, bien dessiné

«Rester normal» n’est pas franchement le scénario du siècle. Il permet toutefois à Beigbeder de trousser quelques phrases désopilantes. Ainsi: «Névrosa ne culpabilise jamais. Ça donne des rides».

Ou encore: «J’aime bien quand la nuit tombe sur le Lac Léman. Je ne sais pas pourquoi, ça me donne envie d’être communiste». Junior, en croisière sur le lac, se fait ainsi l’écho de son créateur, qui, lors des dernières présidentielles françaises, à la surprise générale, avait soutenu le candidat communiste Robert Hue.

Mais le meilleur côtoie également le pire («Faites pas les cons dans mon Falcon!!»), et surtout, le scénario semble avoir été écrit en douze minutes, entre la fin d’une gueule de bois et le début de la suivante.

Même si le dessin de Philippe Bertrand est élégant et très personnel, il ne permet pas de gommer cette impression de «vite fait» due au scénario et aux dialogues.

Champion de l’ambiguïté

Reste toutefois l’intéressante ambiguïté du personnage principal, qui dans son univers malsain, est à la fois acteur et spectateur. Inclus et distant. Une ambiguïté qui n’est pas sans rappeler celle de Beigbeder lui-même, caricature d’un certain parisianisme, qui hors-champ, admet être autre chose:

«Je suis une savonnette qui doute. Je me suis transformé en produit, et en même temps, ma schizophrénie me conduit à penser et à réfléchir sur ma condition de produit. Quelqu’un d’ambigu et de paradoxal», nous confiait-il après le succès de «99 francs».

«J’aime les livres, parce que je ne suis pas certain que la vie soit passionnante en-dehors de la littérature. Ecrire rend la vie plus intéressante», ajoutait-il.

Juste avant de reconnaître pourtant du talent à la vie – et donc de se contredire: «J’ai une petite fille prénommée Chloé et quelquefois, quand elle me sourit, je me dis que Picasso et Proust n’ont qu’à aller se rhabiller».

swissinfo/Bernard Léchot

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