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«La participation démocratique de la 5e Suisse reste la priorité absolue»

Lombardi
Filippo Lombardi photographié en 2020 avec des camarades de parti.

Filippo Lombardi dispose d'un excellent réseau et connaît toutes les ficelles du métier. Cet animal politique est le nouveau président de l'Organisation des Suisses de l'étranger (OSE). Interview.

SWI swissinfo.ch: M. Lombardi, vous-même avez été un Suisse de l’étranger. Après vos études, vous avez vécu à Bruxelles pendant six ans. C’était comment?

Filippo Lombardi: J’étais jeune à l’époque et j’avais moins de soucis que la plupart des Suisses et Suissesses de l’étranger aujourd’hui. Comptes bancaires, vote électronique, retraite, je n’avais pas toutes ces préoccupations matérielles. J’allais et venais comme bon me semblait.

photo de Filippo Lombardi

Filippo Lombardi, 65 ans, a représenté le Tessin au Conseil des États (la Chambre haute du Parlement) pendant 20 ans. Il est l’un des plus éminents spécialistes de politique étrangère de Suisse. Lors de son élection, il a déclaré avoir beaucoup appris sur les préoccupations des Suisses de l’étranger au Parlement, au Comité et en tant que vice-président de l’OSE.

La carrière politique de cet homme de médias n’a pas été exempte de scandales, en particulier les infractions routières. En 2019, la réélection au Conseil des États lui a échappé de 45 voix seulement. Filippo Lombardi succède à Remo Gysin à la présidence de l’OSE. Il siège également au conseil municipal de Lugano et préside le club de hockey Ambri-Piotta.

À cet égard vous étiez en avance sur votre temps: aujourd’hui, beaucoup de Suisses et de Suissesses partent pour quelques années avant de revenir au pays.

Oui, la part de personnes séjournant pour une courte durée est en constante augmentation, grâce à la libre circulation et à la mobilité professionnelle. Nous devons en tenir compte.

À propos de libre circulation, n’êtes-vous pas en conflit d’intérêts? En tant que Tessinois, vous vous êtes bruyamment plaint de ses effets dans votre canton. Quelle est votre position?

La situation des frontaliers italiens au Tessin n’est pas la même qu’aux autres frontières nationales. Mais cela n’a rien à voir avec l’entrée en vigueur des accords bilatéraux avec l’UE. Le problème est devenu dramatique en 2008, avec la crise économique qui sévissait en Italie. On a alors vu arriver des gens hautement qualifiés, prêts à faire n’importe quel travail à presque n’importe quel salaire. C’est pourquoi nous avons dû sensibiliser Berne à cette question. Je défends résolument la libre circulation des personnes, mais le problème demeure au Tessin.

«Le problème est qu’il faut trouver quelqu’un pour remplacer Filippo Lombardi au Parlement fédéral…»

Filippo Lombardi

En 2011, vous avez déposé l’initiative parlementaire qui a abouti à la Loi sur les Suisses de l’étranger. Comment les choses se sont-elles passées?

Cela remonte à 2005. En tant que conseiller aux Etats [sénateur, ndlr], j’ai demandé au Conseil fédéral d’estimer la valeur de la Cinquième Suisse pour la Confédération, y compris sur le plan économique. À l’époque, en Suisse comme au Parlement, prévalait encore l’opinion que les Suisses de l’étranger étaient des profiteurs; qu’ils étaient notamment une charge pour le système des retraites, une entreprise déficitaire pour la Confédération. Cette attitude s’observe d’ailleurs toujours, et pas seulement au Parlement. Certains disent: les Suisses de l’étranger ont émigré, ne paient plus d’impôts, alors pourquoi devrions-nous nous en occuper?

N’est-ce pas une question légitime?

Je trouve que c’est une position arrogante et très fermée. En réalité, beaucoup de Suisses de l’étranger travaillent pour des entreprises helvétiques, viennent faire du tourisme dans leur pays d’origine, beaucoup reviennent au pays après quelques années et apportent leur expertise. En outre, elles et ils sont nombreux à encore payer des impôts, notamment sur leur fortune ou leurs rendements en Suisse. Par ailleurs, de nombreuses personnes âgées émigrent parce qu’elles peuvent vivre un peu plus confortablement ailleurs avec leur retraite (AVS). Ce ne sont pas des personnes profiteuses, mais des personnes qui déchargent notre système sanitaire et social. Elles ont payé des cotisations toute leur vie et, lorsqu’elles partent à la retraite, la Suisse économise des millions. Cette vision totalement erronée de la Cinquième Suisse devait être corrigée.

Et comment la Loi sur les Suisses de l’étranger a-t-elle vu le jour?

Il a fallu cinq ans au gouvernement pour répondre à mon postulat de 2005. Sa réponse en résumé: oui, les Suisses de l’étranger sont une ressource pour le pays, mais il est trop difficile de quantifier leur apport économique. Le Conseil fédéral a de plus proposé une réorganisation des nombreuses lois et ordonnances relatives aux Suisses de l’étranger. Pour que cela soit mis en œuvre rapidement, j’ai alors lancé mon initiative parlementaire.

Cette loi n’a pas empêché de grandes déceptions ces derniers temps: pas de vote électronique, pas de comptes bancaires, des problèmes de sécurité sociale non résolus. Le lobbying de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) a-t-il été assez fort? L’OSE ne devrait-elle pas disposer de davantage de parlementaires à Berne?

Je pense que l’Organisation des Suisses de l’étranger est relativement bien connectée au Parlement. Le Groupe des amis des Suisses de l’étranger est l’un des plus grands groupes parlementaires. Si l’on compare la situation actuelle au Parlement à celle d’il y a vingt ans, nous avons beaucoup progressé. La sympathie pour la Cinquième Suisse a clairement augmenté.

En grande partie grâce à vous. Y a-t-il encore quelqu’un aujourd’hui qui forge des alliances comme vous l’avez fait?

Le problème est qu’il faut trouver quelqu’un pour remplacer Filippo Lombardi au Parlement fédéral… Bien sûr personne n’est irremplaçable, mais un groupe ne se forme pas seul. Il faut une personne pour le coordonner et le motiver régulièrement. Je continuerai à mettre à disposition l’influence qu’il me reste au Parlement. Les députés Carlo Sommaruga (PS, gauche) et Laurent Wehrli (PLR, droite), désormais tous les deux membres du Comité de l’OSE, forment par ailleurs un bon duo. Mais les revers avaient d’autres causes. En ce qui concerne le vote électronique, beaucoup de choses se sont conjuguées: des raisons techniques, la compétence des cantons dans le système fédéral, les coûts, la sécurité des données.

Avec le vote électronique, la marge de manœuvre était limitée. Comment voyez-vous la question bancaire?

C’était aussi un cas de force majeure. Les banques sont des entreprises privées qui échappent à l’influence de l’État. Nous avons essayé d’aller jusqu’à la limite. Nous n’avons pas pu l’imposer, mais nous avons réussi à trouver la Banque cantonale de Genève, qui offre aujourd’hui ses services aux Suisses de l’étranger sans discrimination.

Vous avez un excellent réseau, vous vous entendez avec tout le monde, vous connaissez tout le monde…

Oui, c’est utile, sans aucun doute.

Comment mettez-vous maintenant ces compétences au service de l’OSE?

Nous devons faire une certaine autocritique et admettre qu’en tant qu’organisation, nous nous sommes trop préoccupés de nous-mêmes ces dernières années: réorganisation du bureau, des statuts, de l’élection directe au Conseil de l’OSE, un problème très difficile à résoudre. Puis notre présence publique, le site web, le changement de nom…

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A l’avenir, l’OSE regardera donc à nouveau vers l’extérieur?

Nous nous concentrerons sur nos priorités lors d’une retraite du Comité en octobre. Bien entendu, les relations de la Suisse avec l’Europe et le monde resteront importantes. La participation démocratique sous toutes ses formes, notamment le vote électronique, restera également la priorité absolue, car la Cinquième Suisse a automatiquement plus de poids si elle peut voter. Mais je pense aussi que nous devrions proposer davantage de services. Nous recevons de nombreuses demandes concernant des cas particuliers, très personnels, et chaque cas est différent. Je pense que nos activités de conseil pour la Cinquième Suisse devraient être élargies.

La relation avec l’UE est un thème important: la Suisse a brusqué l’Europe. Que faut-il faire maintenant?

D’une part, l’UE ne nous a pas vraiment aidés dans la phase finale. Un peu plus de flexibilité de sa part aurait permis d’obtenir un résultat. Il y avait de la colère, et ce n’est pas une bonne base pour des négociations. La Suisse n’a pas réclamé les négociations, c’est l’UE qui l’a fait. En juin 2012 déjà, l’UE a écrit au Conseil fédéral que la voie bilatérale était morte. Ces mots n’étaient pas ceux de Christoph Blocher, mais ceux de José Manuel Barroso. Et à l’époque le Conseil fédéral a donné la seule bonne réponse: il a écrit que la voie bilatérale était la seule qui pouvait obtenir une majorité en Suisse. Et puis, d’autre part, ça a déraillé. L’UE en voulait trop et nous n’avons pas bien négocié. La Suisse a fait des concessions trop tôt.

«Nous avons besoin d’autres alliés, pas seulement de l’UE.»

Filippo Lombardi

Vous dites donc que ce n’est pas la Suisse qui a brusqué l’UE, mais Bruxelles qui a brusqué la Suisse?

Disons-le ainsi: Bruxelles veut se simplifier la vie depuis longtemps, car il est difficile de mener une négociation supplémentaire avec la Suisse, et d’élaborer un traité supplémentaire, pour chaque modification de la législation européenne. C’est compréhensible, et la solution la plus pratique pour Bruxelles serait que la Suisse soit dans l’EEE et adopte automatiquement son droit. Même avec ses États membres, l’UE semble souvent très centralisée. En Suisse, nous avons une tradition différente. La Confédération accepte que chaque canton trouve ses propres solutions pour appliquer les lois fédérales de manière fédéraliste.

Vous le racontez très calmement, presque avec optimisme?

Et bien je ne suis plus sur la ligne de front. D’un côté, je pense bien sûr que nous devons trouver une solution avec l’UE. D’un autre côté, la Suisse doit aussi selon moi négocier davantage avec d’autres pays pour obtenir d’autres accords de libre-échange et des relations politiques. Nous avons besoin d’autres alliés, pas seulement de l’UE.

Le Mercosur est à l’ordre du jour. Pensez-vous aussi à la Chine? À la Russie? Aux Etats-Unis?

Oui, ce sont des pays économiquement plus importants que Saint-Marin, le Vatican et Monaco.

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Pauline Turuban

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