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Patrick J. Gyger, un futur immédiat à Nantes

Un pari à relever du côté de la Loire... DR

Alors que Patrick J. Gyger tourne la page de la «Maison d’Ailleurs» à Yverdon-les-Bains, son actualité est aujourd’hui en France. A Nantes, où il va prendre la direction du «Lieu Unique», mais aussi à Paris, à travers l’exposition «Science et Fiction, aventures croisées» présentée à la Cité des Sciences.

Au cours de son mandat de directeur de la Maison d’Ailleurs, entamé en 1999, Patrick J. Gyger a multiplié les collaborations culturelles et scientifiques. On peut citer en Suisse l’Université de Lausanne, le Festival international du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF) ou en France l’Agence spatiale européenne (ESA) et la Cité de l’Espace à Toulouse.

Et Nantes, bien sûr, dont il a dirigé le festival «Utopiales» de 2001 à 2005, Nantes qui va être son nouveau terrain d’expérimentation dès 2011. Mais entre Yverdon-les-Bains et Nantes, il y a Paris…

swissinfo.ch: Vous êtes l’un des quatre commissaires scientifiques de l’exposition «Science et Fiction, aventures croisées», qui se tient actuellement à la Cité des Sciences, à Paris, et dont vous cosignez le catalogue.

  

Patrick J. Gyger: C’est la première exposition rétrospective de cette taille sur la science-fiction, en tout cas en terres francophones. C’est assez symbolique pour moi de finir mon mandat à la Maison d’Ailleurs par une participation à une telle exposition. C’est un peu un état des lieux de la science-fiction, du début du 19e siècle jusqu’à nos jours, avec beaucoup de références à la télévision et au cinéma. Une exposition très visuelle et très grand public.

swissinfo.ch: La science-fiction est  toujours une projection future de concepts d’aujourd’hui  – et donc un reflet déformé de notre présent. Que nous disent les courants actuels de la SF à propos de ce début de 3e millénaire?

P.J.G.: Même s’il est toujours plus difficile d’analyser les choses du présent que du passé, par manque de recul critique, on voit qu’il y a eu un éclatement et une hybridation. Tous les courants développés depuis cent ans existent encore, auxquels se sont ajoutés beaucoup d’autres. Il y a encore le space opera (les voyages dans l’espace), le rétro-futurisme, le steampunk (SF dont l’action se déroule dans l’atmosphère de la société industrielle du 19e siècle), de l’anticipation pure et dure, de l’utopie, de la contre-utopie, tout cela est omniprésent.

Il y a aussi des hybridations entre les genres, le new weird, avec des écrivains comme China Miéville ou Charles Stross, soit la nouvelle étrangeté: le fait d’ajouter à la science-fiction des éléments de fantastique, d’étrange ou de merveilleux. Des récits qui se passent dans le futur, mais avec des elfes, des zombies etc. En fait, il y a pas mal de «niches», des choses qui se font pour un nombre de lecteurs ou de spectateurs restreint. On va de plus en plus vers du contenu intellectuel qui répond à des demandes très diverses. Un éclatement comparable à celui de  la musique actuelle.

Ce qu’on constate aussi, c’est qu’il y a tout à coup des émergences. Les écrivains Cormac McCarthy avec «La Route», ou Margaret Atwood, J. G. Ballard, abordent tous des lendemains qui déchantent, une science-fiction plutôt apocalyptique ou post-apocalyptique. Ce qui est typique des périodes de crise: dans les années 70, il y a aussi eu ce genre de choses. Ce retour n’est pas étonnant avec la crise de ces dernières années, l’écroulement de la société occidentale.

Mais globalement, il n’y a rien de vraiment nouveau. Les derniers mouvements de science-fiction originaux et novateurs qu’on peut repérer sont ceux des années 80-90, avec le cyberpunk, toute cette réflexion sur les réseaux, l’invasion technologique et cybernétique.

 

swissinfo.ch: Vous quittez la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains pour prendre début 2011 la direction du «Lieu Unique», à Nantes, l’une des 70 «scènes nationales» de France.

P.J.G.: Les scènes nationales sont en France des lieux voués à la diffusion culturelle, principalement en matière d’arts de la scène. Le «Lieu unique», qui porte bien son nom, est atypique, puisqu’il propose du théâtre, mais aussi des arts plastiques, de la danse, du cinéma, de la philosophie, de la littérature, il y a un bar, un hammam, une crèche… En budget et en personnel, c’est la 7ème Scène nationale de France. Un lieu institutionnel de par son financement, mais dont le statut permet de présenter des choses hors du commun et innovantes.

swissinfo.ch: «Patrick J. Gyger a su convaincre le jury par un projet original et audacieux fondé sur une ligne artistique singulière dans le respect de l’histoire du lieu», lit-on sur le site du Ministère français de la Culture. Des précisions?

P.J.G.: A ce stade, je ne peux pas encore entrer dans les détails. Disons que je compte construire sur ce qui existe déjà, avec les équipes en place, dans le respect de ce qui a été fait par mon prédécesseur Jean Blaise, mais en travaillant sur les perspectives que me sont chères: l’utopie, l’innovation, la réflexion technologique. Mon but est d’amener cela dans une «scène nationale» française de manière un peu plus concrète.  

 

swissinfo.ch: Jean Blaise devient le patron du tourisme et du patrimoine nantais. On peut s’attendre à un duo visant à une vraie cohérence du développement de la ville?

P.J.G.: Pas un duo, mais une hydre à multiples têtes, puisqu’il y a à Nantes une densité de lieux culturels phénoménale. Un vrai projet est en train de se monter depuis une vingtaine d’années, qui atteint maintenant une nouvelle vitesse. L’objectif étant de positionner la ville comme un acteur culturel européen de premier plan. Et c’est aussi cela qui m’intéresse. 

 

swissinfo.ch: Allez-vous construire un pont entre Yverdon-les-Bains et Nantes?

P.J.G.: Il y en aura beaucoup. Déjà parce que Nantes est la ville de Jules Verne, il y est né, il y a vécu. La Maison d’Ailleurs collabore déjà étroitement avec le Musée Jules Verne de Nantes. Et moi-même, je vais intégrer le Conseil de fondation de la Maison d’Ailleurs,  je vais garder des attaches ici et j’aurai à cœur de promouvoir les activités du musée du côté de l’estuaire de la Loire…

Brésil. Patrick J. Gyger naît en 1971 à São Paulo. Il passe son enfance au Brésil

 

Historien. Formation d’historien à l’Université de Lausanne. Il publie en 1998 «L’épée et la corde: Criminalité et justice à Fribourg (1475-1505)».

 

Yverdon. Il devient directeur de la Maison d’Ailleurs en 1999, poste qu’il quittera début 2011.

 

Nantes. Prochain directeur du «Lieu unique», scène nationale de Nantes, il a développé des liens étroits avec la ville de Jules Verne en étant directeur artistique des «Utopiales», festival International de science-fiction de 2001 à 2005.

 

Prof. Il a enseigné à la Haute Ecole d’Art et Design de Genève ainsi qu’à l’Ecole Professionnelle d’Art Contemporain de Saxon (Valais).

Auteur. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés à la science-fiction, ainsi que des collaborations avec l’Agence spatiale européenne (ASE).

 

Publication récente. Patrick J. Gyger cosigne l’ouvrage «Sciences & Science Fiction» (Ed. de la Martinière), livre-catalogue de l’exposition de la Cité des Sciences.

A l’origine de la Maison d’Ailleurs, on trouve les travaux du français Pierre Versins qui a réuni une vaste collection d’ouvrages de science-fiction. Il est l’auteur de l’«Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction».

 

1976: Pierre Versins lègue son fonds à la ville d’Yverdon-les-Bains. La Maison d’Ailleurs est créée, sans être encore un musée. Pierre Versins assure la conservation jusqu’en 1981.

 

1989: La Municipalité installe la Maison d’Ailleurs dans les anciennes prisons rénovées. En 1991, le journaliste Roger Gaillard en devient le conservateur.

 

1998: Après de grosses coupes budgétaires, une Fondation est créée. L’historien Patrick J. Gyger devient conservateur.

 

2003:  Le collectionneur Jean-Michel Margot fait don à la ville d’Yverdon-les-Bains d’une des plus importantes collections consacrées à Jules Verne. La Maison d’Ailleurs est chargée de gérer et de mettre en valeur ce fond  de quelque 20’000 documents (articles, thèses, biographies, études littéraires).

 

2008: L’Espace Jules Verne, extension de la Maison d’Ailleurs, est ouvert.

 

2010: La Maison d’Ailleurs reçoit le Grand Prix de l’Imaginaire 2010, catégorie «Prix Européen».

Marc Atallah succédera en février à Patrick Gyger à la tête de la Maison d’Ailleurs.

Formé en physique à l’EPFL puis en Lettres à l’Université de

Lausanne (UNIL), Marc Atallah a soutenu en 2008 une thèse sur la littérature de science-fiction.

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