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«La Suisse est un exemple à suivre»

Beghjet Pacolli avec le Premier ministre du Kenya Raila Odinga swissinfo.ch

Vice-Premier ministre du Kosovo depuis le mois d'avril 2011, Behgjet Pacolli n'épargne pas ses efforts pour obtenir la reconnaissance de son pays. Ce qu'ont déjà fait 98 états. Il souhaiterait que la Suisse, son pays d'adoption, soit un exemple pour sa patrie d'origine. Interview.

En pleine forme et bronzé par le soleil africain, Behgjet Pacolli est radieux lorsqu’il arrive au «Swiss Diamond Hotel» de Vico Morcote, l’hôtel cinq étoiles qu’il possède au bord du lac de Lugano, tout près de chez lui. Sa famille, sa troisième femme et leurs quatre enfants (le petit dernier vient de naître), vit en effet à Melide, dans le canton du Tessin.

Né le 30 août 1951 à Marec (Kosovo), Behgjet Pacolli, marié et père de six enfants, est double national kosovar et suisse. Licencié en économie et commerce, il a quitté son Kosovo natal en 1973. Après une halte en Autriche puis en Allemagne, il s’est installé au Tessin (Suisse italienne) en 1979.

En 1991, il fonde à Lugano la société de constructions Mabetex SA, qui compte aujourd’hui près de 8000 employés dans le monde entier et est actuellement dirigée par son frère.

La Mabetex s’est faite connaître internationalement, entre autres pour ses rénovations de la Maison-Blanche et du Kremlin à Moscou.

En 1998, Behgjet Pacolli est accusé de complicité de blanchiment d’argent pour le compte de la famille de l’ex-président russe Boris Eltsine. En Suisse, l’enquête est menée par la procureure de la Confédération Carla del Ponte. Toutes les accusations formulées contre l’homme d’affaires finissent par tomber.

Fondateur du parti «Alliance pour un nouveau Kosovo», il est nommé le 22 février 2011 président de la République du Kosovo. Le 30 mars suivant toutefois, son élection est annulée pour vice de forme par la Cour constitutionnelle du Kosovo. Le 7 avril, la juriste Atifete Jahgaga, 37 ans, lui succède.

swissinfo.ch: Pouvez-vous tracer un bilan de vos 20 premiers mois en tant qu’attaché des relations de votre gouvernement avec l’étranger? Les procédures de reconnaissance du Kosovo vont de l’avant?

Behgjet Pacolli: Jusqu’à ce jour, 98 états, dont 25 pour le seul continent africain, ont officiellement reconnu notre république. Je m’occupe personnellement des contacts avec l’Afrique où j’ai visité 48 pays durant ces dix-huit derniers mois. Je suis tombé amoureux de ce continent qui, j’en suis persuadé, représente le futur.

Ceci dit, je n’ai pas encore réussi à convaincre les gouvernements des pays du Maghreb tandis que j’ai obtenu l’aval d’une grande partie des états de l’Afrique de l’est et de quelques-uns d’Afrique centrale. Je suis sur le point de repartir pour une tournée au Kenya, où je suis déjà allé, puis en Tanzanie, Zambie et Ouganda. L’Afrique du sud ne devrait pas tarder à reconnaître notre indépendance.

En Europe, seules l’Espagne – aux prises avec le désir d’autonomie de la Catalogne – la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce, Chypre et bien entendu la Serbie et la Russie ne nous ont pas encore reconnu officiellement. En Asie en revanche, nous existons en tant qu’Etat à part entière pour la Malaisie, Timor Last, le Brunei, le Japon, la Corée du sud, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et plusieurs Etats de l’Océanie. Nous attendons encore une décision de l’Indonésie et de la Thailande où nous avons déjà ouvert un siège de représentation.

swissinfo.ch: Comment définissez-vous les liens entre la Suisse et le Kosovo aujourd’hui?

B.P.: Ils sont solides. «Mes» deux pays entretiennent d’excellents rapports. La coopération est très bonne aussi grâce au grand travail que l’ambassadrice suisse Krystyna Marty Lang accomplit à Pristina. Désormais, la Suisse comprend mieux le Kosovo et doit représenter un exemple pour nous. Je souhaiterais que nous nous améliorions dans le domaine des services, sur le modèle helvétique. Malgré une situation économique encore difficile – le taux de chômage oscille entre 30 et 40% – nous pouvons compter sur une belle jeunesse, bien formée et prête à affronter n’importe quel défi pour faire progresser le pays.

Je ne nie pas qu’il reste beaucoup de travail à faire. Il s’agit avant tout de relancer l’économie et créer 35’000 emplois par année. Mais je tiens à souligner que nous avons fait des progrès dans le secteur des investissements et que mon gouvernement prévoit justement une loi pour soutenir les investisseurs dans le domaine minéralier – les minéraux sont une grande richesse du Kosovo – par le biais d’avantages fiscaux comme la réduction des taxes douanières et le renvoi du payement des impôts.

Le 29 novembre dernier, le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a acquitté en appel l’ancien premier ministre kosovar et commandant de l’UCK Ramush Haradinaj, qui était accusé de crimes contre l’humanité envers des Serbes, des Kosovars et des Roms.

Dans le journal Le Temps, le spécialiste de la justice internationale Pierre Hazan a souligné que ce verdict est intervenu dans un contexte d’intimidation des témoins clés. L’un d’eux s’est volatilisé et l’autre a «préféré être condamné à deux mois de prison pour «outrage à la cour» plutôt que de parler, tant il craignait pour sa vie». Sans leurs déclarations, l’accusation s’est effritée, a déploré Pierre Hazan.

swissinfo.ch:Votre gouvernement a demandé au Tribunal pénal international (TPI) et à l’ONU l’ouverture d’une enquête sur le travail de Carla del Ponte lorsqu’elle était procureure pour les crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie. Va-t-on assister à un nouvel affrontement Behgjet Pacolli-Carla del Ponte?

B.P.: En tant que membre du gouvernement du Kosovo, je ne peux pas m’exprimer sur cette requête. Je suppose que la fonction de la procureure del Ponte au sein du TPI lui assure l’immunité et il se peut bien que notre demande d’enquête, avec celle déposée par Tirana, n’aboutisse pas. Ceci dit, l’acquittement récemment prononcé par le TPI n’est que justice. Notre ex-premier ministre s’est battu pendant neuf ans pour démonter ces accusations. Pour notre gouvernement. Il est important que l’opinion publique sache enfin comment les choses se sont réellement passées.

Mon affrontement avec Carla del Ponte remonte à 1997/98 lorsque la magistrate, alors procureure de la Confédération, avait ordonné une perquisition de Mabetex, ma société de Lugano, sur demande du procureur anti-corruption de Moscou Youri Skutarov, qui enquêtait alors sur l’ex-président russe Boris Eltsine. Celui-ci était soupçonné d’avoir blanchi de l’argent avec ma complicité. Le cas avait été bouclé sans suite.

Contactée par swissinfo.ch, Carla Del Ponte n’a pas souhaité réagir aux critiques adressées par Behgjet Pacolli dans l’affaire du trafic d’organes. Lui aussi visé, Dick Marty n’a pas répondu aux messages qui lui ont été adressés

Dans son livre, «La traque, les criminels de guerre et moi« (2008), l’ex-procureure du Tribunal pénal international (TPI), Carla del Ponte, raconte avoir recueilli plusieurs indices qui étayeraient l’existence d’un trafic d’organes qui aurait été commis dans le nord de l’Albanie pendant la guerre civile. Les prélèvements auraient été effectués par des membres de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) sur des prisonniers de guerre serbes.

L’enquête aurait ensuite été bloquée en raison de l’absence de collaboration de la part des autorités albanaises et en raison d’un problème de compétence territoriale du TPI.

La révélation avait suscité une véritable levée de boucliers. Le Conseil de l’Europe avait dès lors chargé l’ex-magistrat tessinois Dick Marty de rédiger un rapport à ce propos.

L’ancien parlementaire suisse, ex-procureur public du Tessin, avait enquêté à Belgrade, Tirana et Pristina. Dans son rapport, adopté en janvier 2011 par le Conseil de l’Europe, Dick Marty parvenait à la conclusion que de nombreux indices semblaient confirmer la thèse de Carla del Ponte. Il accusait dès lors le premier ministre Hashim Thaçi d’avoir été un des principaux responsables de la vente d’organes.

Le 9 septembre 2012, le procureur serbe pour les crimes de guerre, Vladimir Vukcevic, annonçait qu’un ex-guerrier de l’UCK aurait témoigné de sa participation à un tel trafic, allant jusqu’à effectuer lui-même le prélèvement d’organes.

Le rapport de Dick Marty manque cependant de preuves. Lui-même reconnaît s’être essentiellement basé sur des témoignages et des rapports provenant de services d’information occidentaux. L’ex-sénateur suisse a pu se rendre uniquement dans deux des six endroits désignés comme étant des bases de détention de l’UCK en Albanie. Entretemps, l’enquête Eulex suit son cours.

J’aimerais beaucoup me trouver un jour face à Mme del Ponte pour en parler. Mais aussi pour lui demander comment elle en est venue à accuser notre Premier ministre Hashim Thaçi de vente d’organes? Cette accusation est infamante pour mon peuple. Elle a ensuite été relancée par Dick Marty, membre du Conseil de l’Europe, qui l’a chargé d’établir un rapport sur ce sujet.

Je le redis, l’allusion à un tel trafic est une insulte pour les Kosovars. Avant de lancer ses accusations, Carla del Ponte aurait dû mieux vérifier ses sources. Des vérifications faites aux endroits où des prélèvements d’organes auraient prétendument été effectués, démontrent bien que de telles allégations sont invraisemblables. L’enquête ouverte après la décision de l’assemblée de Strasbourg n’a pas encore été bouclée, c’est vrai, mais je suis convaincu qu’un jour ou l’autre, Carla del Ponte et Dick Marty devront présenter leurs excuses au peuple kosovar!

swissinfo.ch: Récemment, la frontière serbo-kosovare a été le théâtre de manifestations de protestation de la part de nationalistes serbes. Comment vont les choses entre les deux pays?

B.P.: Les manifestations sont menées par des groupes extrémistes et la situation n’est pas aussi tragique que le disent les médias. Notre gouvernement a fait de grands progrès dans le dossier des relations avec la Serbie qui devra maintenant régulariser sa position vis-à-vis du Kosovo. Huit  accords dans ce sens ont été signés entre les deux Etats.

Je rappelle aussi que les 20’000 Serbes qui vivent dans le nord du Kosovo ne sont pas tous opposés à notre indépendance. Les Kosovars ont besoin d’ouverture vers l’extérieur et donc aussi vers la Serbie et nous nous efforçons d’y parvenir, en améliorant par exemple nos voies de communication. Ainsi, nous avons récemment ouvert une autoroute qui nous relie aussi bien à l’Albanie qu’à la Serbie.

swissinfo.ch: Que pouvez-vous nous dire sur l’avenir politique du Kosovo?

B.P.: Selon notre constitution, la présidente qui m’a succédé, Atifete Jahjaga,  pourrait rester en charge pendant cinq ans. Cependant, lorsqu’elle a été élue, elle avait passé un accord avec le Parti démocratique du Kosovo, la Ligue démocratique pour le Kosovo et la Nouvelle Alliance pour le Kosovo, mon parti: elle avait accepté de démissionner aussitôt que les réformes constitutionnelles auraient été mises sous toit. Dès que ce sera le cas, elle devrait donc le faire. Le Kosovo sera alors à nouveau appelé aux urnes et je serai pour ma part en première ligne.

Territoire administré par l’ONU, le Kosovo – un temps province de l’ex-Yougoslavie au sud de la Serbie – est un état à majorité d’ethnie albanaise et de confession musulmane. Il a déclaré unilatéralement son indépendance le 17 février 2008. Aujourd’hui le Kosovo a été reconnu officiellement par 98 de 193 pays de l’ONU. La Russie et la Chine se sont déclarées contraires à son autonomie.

Le 10 septembre 2012 a mis fin au contrôle du Groupe international d’orientation (ISG).

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