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Portraits de femmes chez les Schwarzenbach

Renée Schwarzenbach entourée de ses enfants Hasi (à gauche), sa nièce Gundalena, Annemarie, Suzanne et Freddy. Mariafeld, 7 juillet 1921. Alexis Schwarzenbach/Metropolis

De la famille Schwarzenbach, Annemarie, écrivain et voyageuse, est la plus connue. Sa mère, Renée, fille du général Ulrich Wille, fut pourtant, elle aussi, un personnage haut en couleur.

L’historien Alexis Schwarzenbach, petit-neveu de l’écrivain, dresse le portrait de l’illustre famille zurichoise. Un livre essentiellement consacré à ses figures féminines.

Enfant, Alexis Schwarzenbach avait entendu des histoires terribles sur son arrière-grand-mère Renée. Historien de formation, il a voulu en savoir plus sur cette famille, qui possédait la plus grosse industrie de soie au monde au début du XXe siècle et dont le nom est associé à Annemarie, l’écrivain, et James, l’homme politique d’extrême-droite, qui dans les années 60, se distingua par son hostilité aux étrangers.

Trois générations de femmes ressortent des documents familiaux inédits – lettres, journaux intimes, innombrables photographies – réunis dans «Maman, tu dois lire mon livre», un récit qui se déroule entre 1883 à 1959. La célèbre Annemarie, évidemment, mais aussi sa mère, Renée, et sa grand-mère, Clara Wille, née von Bismarck.

Fille d’Ulrich Wille, général en chef de l’armée suisse pendant la Première Guerre mondiale, Renée est férue de chevaux et de musique – Wagner en particulier. Elle épouse Alfred Schwarzenbach, l’héritier des usines de soie.

C’est le mariage des contraires. Les Schwarzenbach, originaires de la campagne zurichoise, constituent un exemple typique du libéralisme suisse du XIXe siècle, alors que les Wille sont d’origine militaire et aristocratique. Les premiers sont pro-britanniques tandis que les seconds restent fidèles à l’Allemagne dans les vicissitudes de l’histoire.

Deux amours

Malgré ces différences, Renée et Alfred forment un couple heureux – et libéral. Pendant près de 40 ans, en effet, Renée vit ouvertement sa passion pour Emmy Krüger, une cantatrice allemande décrite comme «une vaniteuse diva» égocentrique et qui la quittera brutalement pour une autre après la Seconde Guerre mondiale.

De ses cinq enfants, deux accapareront Renée. Robuli, l’aîné, qui ne saura jamais parler. Et Annemarie, sa deuxième fille, écrivain, journaliste, photographe, voyageuse, morphinomane suicidaire, avec laquelle elle entretient des relations conflictuelles, notamment à cause de son amitié avec les enfants du romancier allemand Thomas Mann, Erika et Klaus.

En filigrane, l’historien évoque les débuts de la psychiatrie. Robuli consulte le docteur Jung à Zurich. Face à un pronostic décevant, Renée continue d’offrir une aide pédagogique – et non médicale – à son fils. Et elle mettra tout en œuvre pour qu’il vive hors institution grâce à un encadrement personnalisé.

«Comme j’avais entendu des choses horribles sur Renée, je me suis dit qu’elle devait avoir honte de ce fils. Or c’était le contraire, elle était très ouverte!» raconte Alexis Schwarzenbach à swissinfo.

Thérapies de choc



Annemarie, en revanche, n’échappera pas aux séjours en institution pour y subir des cures de désintoxication. Elle sera victime, aux Etats-Unis et dans la clinique d’Oscar Forel à Prangins, des thérapies de choc – les électrochocs, en l’occurrence – qui feront leur apparition dans l’entre-deux-guerres.

Après sa chute de bicyclette, elle sera aussi victime de l’aveuglement du psychiatre vaudois. C’est du moins la conclusion à laquelle est arrivé le jeune historien, après avoir recoupé de multiples documents sur les circonstances de la mort de l’écrivain en 1942, à l’âge de 34 ans.

Jusqu’à la fin, les rapports entre la mère et la fille auront été complexes. Jalouse de son frère cadet, Annemarie s’habille rapidement en garçon, puis promène sa figure androgyne en Europe et en Orient – notamment en Afghanistan, avec Ella Maillart. Les nombreuses photographies prises par Renée prouvent combien elle était fascinée par la beauté de sa fille, sans pour autant la comprendre.

Conflit idéologique

Tourmentée, la fille souffre de sa propre homosexualité. «Elles avaient des personnalités différentes, mais elles ont aussi vécu à des époques différentes, relève l’historien. Alors que le discours médical sur l’homosexualité féminine change, Renée continue de vivre son amour pour des femmes comme quelque chose de naturel, tandis qu’Annemarie, l’intellectuelle, se demande si elle est normale.»

Mais la différence entre mère et fille est aussi idéologique. Alexis Schwarzenbach n’élude pas les heures les plus sombres de Bocken, la propriété familiale au bord du lac de Zurich et dont le portail est couvert de croix gammées au début de la Seconde Guerre mondiale.

Contrairement à Annemarie, fervente antifasciste, sa mère et sa grand-mère admirent l’Allemagne. Au cours de ses nombreux séjours à Munich auprès de sa maîtresse, Renée vit la montée du nazisme comme une résurrection après l’humiliation du Traité de Versailles. Et après la défaite, elle aidera ceux qui fuiront en Suisse pour échapper aux poursuites des Alliés…

swissinfo, Abigail Zoppetti

Sous-titré «Annemarie, sa mère et sa grand-mère», le récit de la famille Schwarzenbach est sorti ce printemps en français aux éditions Métropolis, traduit par Etienne Barilier.

L’original a été publié sous le titre «Die Geborene. Renée Schwarzenbach-Wille und ihre Familie», aux éditions Scheidegger & Spiess AG, à Zurich, en 2004.

L’historien Alexis Schwarzenbach a puisé dans les archives familiales, en particulier les albums de photos de son arrière-grand-mère Renée, les quelques journaux intimes conservés et les innombrables lettres.

On y apprend notamment les circonstances de la mort de l’écrivain Annemarie Schwarzenbach, le 15 novembre 1942, à l’âge de 34 ans.

Le petit-neveu d’Annemarie Schwarzenbach est né en 1971, à Zurich.

Il a suivi des études d’histoire à Oxford et fait sa thèse de doctorat à Florence.

Il a publié «Le génie dédaigné, Albert Einstein et la Suisse», en 2005, aux éditions Métropolis.

Il prépare actuellement une thèse d’habilitation à l’Université de Zurich, sur l’histoire culturelle de la monarchie au XXe siècle.

En parallèle, il est en train de mettre sur pieds une exposition pour le centenaire de la naissance d’Annemarie Schwarzenbach.

Elle aura lieu de mi-mars à début juin 2008, au Musée Strauhof de Zurich, spécialisé dans la littérature.

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