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Le suicide des seniors, assisté ou non, augmente en Suisse

Le barbiturique pentobarbital de sodium est la substance la plus utilisée dans le cadre de l'euthanasie en Suisse.
Le barbiturique pentobarbital de sodium est la substance la plus utilisée dans le cadre de l'euthanasie en Suisse. Keystone

Le taux de suicide atteint des records parmi les personnes âgées en Suisse. Selon notre analyse, ce chiffre est en hausse, en grande partie en raison des suicides assistés. Et pourtant, le tabou demeure. Enquête et témoignage.

«Pour moi, le suicide a toujours été une possibilité.» Depuis sa jeunesse, Anne perçoit la mort volontaire comme un moyen d’être en paix avec elle-même. À 67 ans, elle est membre d’Exit et se réserve le droit de faire appel à l’association d’aide au suicide en cas de maladie grave. Si elle se confie sur le sujet à ses très proches et accepte d’en parler à la RTS, cette Suissesse reconnaît tout de même que cette question provoque souvent un «malaise» dans les conversations.

Pourtant, en 2023, les seniors se sont suicidés huit fois plus que le reste de la population. Un chiffre interpellant, tant le sujet est peu discuté. D’autant que cette évolution est à la hausse. En 25 ans, la part des personnes de plus de 85 ans qui mettent fin à leurs jours a quadruplé. Cette proportion a doublé chez les 65-84 ans. Une évolution impressionnante qui contraste avec la population plus jeune, où le taux de suicide est en baisse, d’environ 30% en deux décennies.

Mais une analyse plus fine des chiffres dévoile que ce taux élevé de seniors qui décèdent de cette manière s’explique, en grande partie, par un recours important au suicide assisté. Ce dernier, autorisé depuis 1942 en Suisse, à la seule condition qu’il ne réponde pas à un «mobile égoïste», est encadré par des associations qui posent leurs propres conditions. En l’espace de 25 ans, il a connu un développement fulgurant.

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Les chiffres de 2023 sont sans équivoque: plus on avance en âge, plus la part de suicide assisté est importante. Elle est 8 fois plus élevée chez les 65-84 ans que dans le reste de la population plus jeune. À titre d’exemple, 80% des suicides chez les 65-84 ans ont été assistés. Cette part s’élève à plus de 90% chez les plus de 85 ans.

Des suicides différents

Associer les taux de suicides assistés et non assistés ne fait pas consensus dans le milieu médical. Selon Pierre Vandel, médecin-chef et responsable de l’équipe mobile de la personne âgée au Service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé (SUPAA) du CHUV, «il est possible de faire le choix du suicide assisté sans avoir des idées suicidaires.» Il explique cependant que certains de ses collègues ne font pas de distinction entre les deux. 

Du côté des associations d’aide au suicide, le cumul de ces deux données est contesté. «Les suicides conscients sont différents des autres (…) Ne confondez pas un suicide pathologique, dans une situation désespérée, avec un suicide assisté», soutient Jean-Jacques Bise, co-président de l’association Exit Suisse romande depuis 2018.

>> Comment fonctionne l’euthanasie en Suisse? Comment ceux qui ont l’intention d’y faire recours vivent-ils cette situation? Notre dossier complet:

Toutefois, nos chiffres montrent que la frontière entre mort par suicide assisté et non assisté n’est de loin pas imperméable. Chez les personnes très âgées, où le taux est le plus élevé, les courbes statistiques de ces deux types de suicide se croisent et suggèrent ainsi un report des suicides non assistés vers les suicides assistés, particulièrement à partir des années 2010.

Pour Anne, mettre fin à ses jours, qu’importe la méthode, «c’est à peu près la même chose. Il s’agit d’une décision importante et difficile à prendre. Choisir de ne plus vivre, ce n’est pas simple et ça ne l’est à aucun moment de la vie», dépose-t-elle. «Je ne suis pas sûre que faire partie d’Exit facilite cette prise de décision.»

Hausse du suicide assisté

Exit propose depuis 1982 d’accompagner ses membres dans la mort. D’abord réservée aux malades incurables, l’association a étendu ses prestations, en 2014, aux personnes souffrant de polypathologies invalidantes, sans danger vital immédiat. Il faut également disposer de sa pleine capacité de discernement et d’un dossier médical pour être assisté à mourir.

«Nous n’aidons pas les personnes fatiguées de la vie», précise Jean-Jacques Bise, de chez Exit. En cas de dépression, est-il possible de faire appel à Exit? «En Suisse, une personne malade psychologiquement peut être aidée, mais si elle veut mourir, c’est pour la maladie, pas pour la dépression», rétorque Jean-Jacques Bise. À la question de savoir si la dépression est une pathologie, le co-président d’Exit répond par un silence. Pourtant, Pierre Vandel, du CHUV, avance que la dépression fait partie des deux causes principales de suicide non assisté chez les aînés, avec l’isolement social. 

Jean-Jacques Bise explique le recours au suicide assisté des aînés par leur état de santé déclinant, le cumul des pathologies, mais aussi par un phénomène générationnel. Selon lui, les personnes très âgées sont issues d’une génération ayant lutté pour l’autodétermination. Il confie: «J’ai moi-même milité pour l’accès à l’avortement, pour plus de droits.» Puis il croise les doigts, se redresse et affirme: «L’article 10 de notre Constitution garantit la liberté personnelle. C’est votre droit de choisir comment mourir. C’est l’ultime liberté». Le mot revient aussi dans la voix d’Anne. «Suicide, liberté», elle les associe.

Disparités entre genres

Autre fait marquant: on observe de fortes différences entre les hommes et les femmes. Ces 25 dernières années, la hausse du taux de suicide a été gonflée par le suicide assisté des femmes, qui se donnaient peu la mort avant. Elles y ont particulièrement eu recours à partir des années 2010. Depuis, elles mettent fin à leur vie presque uniquement de cette manière. Les hommes, eux, ont plus tendance à mettre fin à leurs jours sans avoir recours à une association.

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«Les hommes expriment moins leurs émotions que les femmes, ce qui explique la difficulté à repérer les pensées suicidaires», articule le psychiatre Pierre Vandel. Selon lui, la sous-détection des pensées suicidaires engendre l’impossibilité de leur venir en aide, ce qui explique la tendance des hommes à se suicider davantage de manière non assistée. «Le statut matrimonial joue aussi beaucoup», poursuit-il. «Pour un homme, le fait d’être seul, car séparé, divorcé ou veuf, est facteur de risque. Le mariage protège les hommes.»

Pourquoi les femmes ont-elles majoritairement recours au suicide assisté depuis les années 2010, ce qui a fait grimper leur taux de suicide? «Parce qu’elles survivent à leurs époux et se retrouvent seules, souvent avec des polypathologies et ont la volonté de choisir leur fin de vie», estime le co-président d’Exit, dont 65% des membres sont des femmes. «J’ai donné une conférence en Valais l’autre jour et dans la salle il n’y avait quasiment que des femmes. On a l’impression que la fin de vie n’est une problématique qui ne concerne que les femmes.»

Suicide assisté et démence

Le suicide des personnes âgées reste tabou, malgré les prévisions d’Exit: il ne diminuera pas. Face au vieillissement et à la hausse des cas de démence, l’association veut aller plus loin, avec des directives anticipées en cas de diagnostic de démence. Une proposition qui promet de sérieux débats: sans capacité de discernement et donc de prise de la substance létale par la personne elle-même, il faudrait que la dose lui soit injectée. Cela relèverait d’une euthanasie et l’article 114 du Code pénal suisse l’interdit. «Il faudrait changer la loi», défend Jean-Jacques Bise.

Le porte-voix du projet illustre: «Il m’est arrivé d’aller dans un EMS pour aider une personne. Trois semaines après, je reviens pour le rendez-vous du suicide assisté et ce n’était plus possible, elle n’était plus capable de discernement.» Le professeur Pierre Vandel, lui, a souvent vu des personnes demander un suicide assisté par peur de perdre cette capacité. Il parle d’une «pression» à agir vite: «J’ai vu des personnes lucides qui disaient: Là, j’ai ma capacité de discernement, il faut que je le fasse», lâche-t-il, interloqué.

Pour Anne, les choses sont claires: «Ma maman a souffert d’Alzheimer et ça a duré très longtemps», souffle-t-elle. «J’ai vraiment le sentiment que les premiers signes flagrants d’un diagnostic Alzheimer me pousseraient à faire appel à Exit, à me faire aider pour quitter cette planète tranquillement. Mais après, on n’est jamais sûr de notre force dans ces moments-là. Avant, j’étais certaine que ce serait simple et en avançant, j’espère juste que j’en aurai le courage. (…) Le côté irréversible de l’acte peut tout d’un coup freiner l’élan de la décision. Peut-être un peu plus que quand j’avais 23 ans et une envie de mourir très forte, ancrée au corps.»

Sur internet:

Pour la promotion de la santé mentale dans les cantons latins: santépsy.chLien externe

Pour les enfants et les personnes adolescentes: ciao.chLien externe

Pour les 18-25 ans: ontécoute.chLien externe

Pour la prévention du suicide des jeunes: stopsuicide.chLien externe

Le Groupe Romand de Prévention du Suicide: preventionsuicide-romandie.chLien externe

L’Unité Malatavie des HUG pour les adolescent·e·s en crise: malatavie.chLien externe ou par téléphone (24h/24): 022 372 42 42

Par téléphone:

147: Pro Juventute – Ecoute et conseils pour les jeunes (147.chLien externe)

’L’association Pro SenectuteLien externe

143: La Main Tendue – Ecoute et conseils pour les adultes (143.chLien externe)

144: Ambulances – Urgences

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