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De Turquie, Blocher provoque une polémique en Suisse

Si les propos de Christoph Blocher (à g.) ont plu à son homologue turc Cemil Cicek, ce n'est pas le cas en Suisse. Keystone

Le ministre suisse de la Justice a critiqué la norme antiracisme qui a conduit à une procédure en Suisse contre deux Turcs pour leurs affirmations sur le génocide arménien.

Christoph Blocher a fait ses déclarations à Ankara, où il participait à un symposium pour les 80 ans du Code civil turc. En Suisse, les réactions ne se sont pas faites attendre.

Christoph Blocher a critiqué mercredi à Ankara l’article 261 bis du code pénal suisse, qui réprime notamment les propos négationnistes. Il a regretté que ce texte ait conduit à une enquête en Suisse contre l’historien turc Yusuf Halacoglu pour ses propos sur le génocide arménien.

«Mal au ventre»

«Cet article me fait mal au ventre», a affirmé le chef du Département fédéral de justice et police (DFJP) devant la presse. Il a été adopté en 1994 pour empêcher des propos négationnistes relatifs à l’Holocauste, a relevé le conseiller fédéral à l’issue de sa rencontre avec le ministre turc de la Justice Cemil Cicek.

«Personne n’aurait alors pensé qu’il traînerait en justice un éminent historien turc», a estimé M. Blocher en invoquant la liberté d’expression. Le DFJP «examine ce qu’il peut faire pour que cela ne se reproduise pas», a ajouté le ministre, précisant qu’il appartient aux Chambres fédérales et au gouvernement de décider d’une éventuelle modification de l’article.

Selon ce texte, toute personne qui tient des propos tendant à nier, minimiser ou justifier un génocide ou autres crimes contre l’humanité est punissable.

Réactions en Suisse

Les réactions ne se sont pas faites attendre en Suisse. A commencer par Georg Kreis, président de la Commission fédérale contre le racisme, qui s’est insurgé contre cette nouvelle atteinte à la séparation des pouvoirs de la part de Christoph Blocher.

«En tant que citoyen, cela me gêne que l’annonce de la volonté de modifier des lois provienne de l’étranger», a-t-il notamment déclaré.

Felix Gutzwiller, chef du groupe radical, exclut lui aussi toute modification de la norme antiracisme. Le député a toutefois admis que la loi est récente et que son application peut s’avérer délicate.

Pour sa part, Christophe Darbellay, président du Parti démocrate-chrétien (PDC), a également exprimé son mécontentement: «C’est curieux de voir un ministre de la Justice aller dans un pays, qui n’est pas exactement un modèle en matière de respect des droits humains, pour y critiquer une décision du Parlement.»

Dominique de Buman (PDC), député et président de Suisse-Arménie a expliqué à la Radio suisse romande (RSR) que «les tribunaux n’ont pas a recevoir de directives de quelqu’autre pouvoir que ce soit ». Sinon ce serait le début de la «république bananière », a-t-il ajouté.

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Scandaleux et inacceptable

Même son de cloche au Parti socialiste (PS). «Les tribunaux suisses sont indépendants et ne sont pas au service de M. Blocher », estime la cheffe du groupe socialiste aux Chambres fédérales Ursula Wyss. «Christoph Blocher se met du côté des racistes», a lancé le président du PS Hans-Jürg Fehr à la Télévision suisse romande.

Les Verts ont qualifié de leur côté dans un communiqué les propos de M. Blocher de «scandaleux» et «inacceptables venant du chef du Département fédéral de justice et police ».

Du côté de l’Union démocratique du centre (UDC, droite nationaliste), le parti de M. Blocher, le président Ueli Maurer, n’a voulu se prononcer ni sur la loi antiracisme ni sur les déclarations du conseiller fédéral.

En revanche, le conseiller national (député) Luzi Stamm a défendu la position de M.Blocher. Il a affirmé que l’article 261 bis pose problème car il peut être utilisé contre quiconque remettrait en cause des faits historiques. «Ce qui peut devenir ridicule », a-t-il souligé sur les
ondes de la RSR.

Génocide arménien

En 2005, la justice suisse a ouvert des enquêtes contre deux personnalités turques – l’historien Yusuf Halacoglu et le politicien Dogu Perinçek – pour déterminer si des propos tenus en Suisse sur le génocide arménien violent la norme antiracisme.

Le Conseil national et des parlements cantonaux ont reconnu le génocide arménien perpétré par l’armée ottomane. Sur ce point, Christoph Blocher a rappelé la position officielle «cohérente» du Conseil fédéral, qui parle des «événements tragiques de 1915».

«Nous sommes persuadés que la solution d’une commission internationale d’historiens est la bonne», a estimé le ministre. Le gouvernement turc a proposé récemment la création d’une commission mixte d’historiens turcs et arméniens pour faire la lumière sur les événements de 1915.

La Turquie, qui ne nie pas les tueries, en conteste l’ampleur et rejette la qualification de «génocide». Ce négationnisme de l’Etat turc est dénoncé par les survivants du génocide arménien et par la communauté des historiens.

L’asile en question

Le thème de l’asile et de la lutte contre le terrorisme a également fait l’objet d’une discussion «très ouverte» entre MM. Blocher et Cicek. Le chef du DFJP a assuré son homologue turc de la collaboration de la Suisse dans ce domaine.

M. Blocher a encore rendu une visite de courtoisie au ministre turc de l’Intérieur Abdulkadir Aksu mercredi après-midi. Avant de quitter Ankara, il a déposé une gerbe au mausolée de Mustafa Kemal Atatürk, père fondateur de la Turquie moderne, mort en 1938.

swissinfo et les agences

– L’interprétation historique des événements qui ont causé la mort de quelque 1,8 million d’Arméniens entre 1915 et 1919 est à l’origine de tensions entre la Turquie et d’autres pays européens, dont la Suisse.

– Les parlementaires de divers pays – dont la France, la Russie et l’Italie – ont qualifié le massacre de génocide.

– En 1987, c’est le tour du Parlement européen puis, en 2003, du Conseil national (Chambre basse du Parlement suisse). Le gouvernement, lui, préfère parler de «déportation» et de «massacre».

– Dans le passé, la Turquie a annulé plusieurs fois des visites de conseillers fédéraux, les deux dernières à courte échéance.

– En 2005, c’est arrivé à l’ancien ministre de l’Economie Joseph Deiss – officiellement pour des questions d’agenda – et, en automne 2003, à Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères.

– Toujours sur fond de querelle sur la question du génocide arménien, en avril dernier, la Turquie a exclu le groupe suisse Pilatus d’un appel d’offre pour un nouvel avion.

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