Hymnes et roman
«Tu m'as dit d'aimer...», c'est le titre d'un roman signé Olivier Gaillard. Un roman qui part de la tranquille Vevey, au bord du Léman, pour aborder les tourments adolescents. Rolf Kesselring l'a lu.
Je ne sais comment mon œil se laisse prendre au piège, comment je m’empare d’un livre et m’y plonge. La couverture peut-être, le titre sans doute, l’humeur du moment certainement…
En ce qui concerne l’ouvrage d’Olivier Gaillard, « Tu m’as dit d’aimer… », récemment paru aux Éditions Mon Village, je suis certain que le titre a été pour beaucoup dans mon choix aléatoire.
Déjà vu?
Premièrement ces quelques mots inscrits sur la couverture avaient réveillé, en moi, un drôle de sentiment. Une sensation de déjà entendu, de déjà lu. Il me fallut un certain temps avant que des réminiscences de jeunesse me donnent la clé de ce… malaise inexplicable.
Trop d’années passées dans des contrées étrangères m’avaient fractionné la mémoire. Mais là, j’y étais, un air remontait des tréfonds de ma cervelle. Je le fredonnai lentement en y plaquant les mots lus sur la couverture du roman: «Tu m’as dit d’aimer… et j’obéis!». La suite ne venait pas. Je recommençai: «Tu m’as dit d’aimer… » Rien, à part une vision fugace du collège d’Aigle, de la tête de Monsieur Martin, cet instituteur qui avait la main si leste.
Curieux titre qui allait puiser dans le fouillis de mes neurones et provoquait le surgissement d’images tellement enfouies dans les recoins de mon cerveau. Puis, le son du téléviseur proche, que j’emploie souvent comme une radio, me titilla le système auditif. Un match de football allait commencer. L’hymne italien et La Marseillaise se succédèrent. «Fratelli d’Italia», puis le «Aux armes citoyens… », révélèrent à leur tour quelque chose en moi. J’y étais! Il s’agissait des premières paroles d’un hymne patriotique appris tout gosse : «Tu m’as dit… » Il n’en fallait pas plus pour que je me mette à lire.
Place du Marché
Le premier personnage qui surgit d’entre les lignes est un adolescent assez désabusé. Il est le narrateur. On comprend très rapidement qu’il vit avec un père alcoolique et qui demeure, handicapé, statufié presque, devant son poste de TV à la journée faite. Sa mère n’est plus là. Le destin ne paraît pas dessiner une voie royale à ce jeune adulte. Cette existence ne lui propose, semble-t-il, aucune jubilation ni enthousiasme apparents.
Vevey est le lieu de départ de ce roman. Vevey… Je me souviens de la Place du Marché, des bistrots qui la cernent et du lac qui la souligne. Adolescent, j’y avais vécu un épisode graphique et folâtre, d’une tristesse effroyable. Je n’avais donc aucun mal à me situer dans le roman d’Olivier Gaillard.
Malgré les paysages fabuleux entre lac et montagnes, la vie d’un jeune homme peut prendre des couleurs indéfinissables, celles d’un chagrin insidieux et constant. C’est le cas de notre héros. Mais survient un ami qui, comme lui, vit mal sa jeunesse dans ce décor lémanique somptueux.
Fringale existentielle
Leur recherche d’un sens à leur existence prend alors des tournures curieuses, presque marginales. Ils sont tous deux affamés vivre. Ils tentent des expériences insolentes, volent de minuscules plaisirs en déceptions définitives. Ils essayent, comme des insectes pris au piège de se débattre, de se libérer, de transcender cette existence sans relief, désespérante. Ils s’en iront au vent mauvais qui les emporte, inconscients et pathétiques, jusqu’à ce point qui leur apparaît comme une réussite, fragile, encore fuyante, inaccessible en définitive.
Comme toujours, comme tous les jeunes, ils vont faire de la surenchère à leurs tentatives d’un romantisme désuet parfois, presque noir. Ils vont se livrer à des essais de plus en plus téméraires, de plus en plus proches d’une aliénation totale et ultime. Et puis un jour, l’irrémédiable les surprend…
Curieux roman, assez peu dans ligne lisse et neutre de la littérature romande. L’auteur, Olivier Gaillard enseigne le français et la philosophie au Gymnase de Morges. Il a fait des études de Lettres à Lausanne, puis se fait curieusement antiquaire et brocanteur. Ce parcours en dit long sur un vécu proche de celui de ses héros.
Son roman nous entraîne dans la valse des souvenirs: nous avons tous connu cette fringale existentielle et cette avidité désespérante, plus ou moins puissamment, qui sont les marques de toutes les jeunesses, n’est-ce pas ?
swissinfo, Rolf Kesselring
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