La globalisation vue par Karl’s kühne Gassenschau

Les acrobates poétiques de la troupe zurichoise présentent une fable douce-amère, comme le chocolat qui est fabriqué dans le spectacle, sur nos peurs face à la globalisation. «Fabrikk» est d’ores et déjà un énorme succès populaire.
C’est notre Cirque du Soleil à nous, selon un commentateur alémanique: les troubadours déjantés du «Karls kühne Gassenschau», qui ont créé leur premier spectacle – de rue – il y a 27 ans, sont devenus des stars de la scène en plein air: tous les billets de leur nouveau spectacle se sont arrachés en quelques jours.
Leur avant-dernière création, «Silo 8», présentée à Winterthour et St-Triphon, dans le canton de Vaud, comme les précédentes, a été vue par 480’000 personnes entre 2006 et 2010. Depuis la première de «Fabrikk», fin juin, 1200 personnes se pressent chaque soir sur les gradins d’un ancien site industriel à la périphérie de Winterthour.
Comme «Silo 8», qui sondait de manière hilarante, provocante et poétique notre avenir en home pour personnes âgées, «Fabrikk» raconte une histoire sociale d’actualité, «explorant nos peurs et notre sentiment d’identité», comme le dit Paul Weilenmann, un des membres fondateurs de la troupe.
Le décor est celui d’une fabrique de chocolat, celle des pralinés Rondoro, avec sa petite équipe d’employés qui sont à eux seuls une synthèse de possibles caractères: le zélé, le minimaliste qui pense à autre chose, le stagiaire maladroit, l’amuseur de la galerie, l’employée amoureuse du patron, la pimbèche à la vie sentimentale chaotique et la zélée-mais-pas-trop qui garde la tête sur les épaules.
Impressionnant final
Tous sont, contre leur gré, embarqués dans la grande aventure de la globalisation lorsque le patron reçoit une commande chinoise bien trop grande pour les forces de son entreprise et qu’il décide d’abandonner la qualité au détriment de la quantité, avant d’abandonner le navire tout court. Une expression qui colle bien à l’impressionnant final, qu’il serait trop dommage de dévoiler ici…
«Nous avons développé l’histoire à partir d’un cas réel survenu en Allemagne, explique Paul Weilenmann. Que se passe-t-il quand nous perdons quelque chose de précieux, quelque chose que nous faisons avec passion, comme le maître chocolatier de notre histoire?»
«Bien sûr, la Chine, symbole de la grandeur et de l’économie globale, fait peur, ajoute le comédien. Mais, selon nous, le repli sur soi n’est pas une solution. Dans la toute dernière scène, la passion et la volonté de miser sur la qualité, dont la Suisse peut être fière, gagnent…»
Celles et ceux qui ont encore «Silo 8» et les précédents spectacles en mémoire seront peut-être déçus. Les dialogues sont plus superficiels, les pommettes ne sont pas douloureuses à force de rires et nulle poésie transcendante ou émotion débordante n’arrache les larmes.
«Mais nos spectacles évoluent toujours au fur et à mesure, explique Paul Weilenmann. Nous voulons par exemple ajouter de la sensualité dans le décor, forcément froid, de la fabrique, en modifiant quelques scènes.»
«St-Triphon, le dessert»
Les Romands sont gâtés. Quand le Karl’s kühne Gassenschau débarque à St-Triphon, dans le canton de Vaud, le spectacle en est environ à sa 300e édition. «Nous viendrons, c’est sûr, mais nous ne savons pas encore quelle année, note Paul Weilenmann. On adore être là-bas, c’est un peu le dessert, pour nous!»
Le spectacle gagnera donc peut-être en effets flamboyants, dont tout le monde s’accorde pour dire qu’ils manquent un peu, dans «Fabrikk». «Oui, beaucoup de gens pensent ainsi, admet l’acteur. Mais nous avons notre propre histoire, nous ne voulons pas toujours faire la même chose.»
Le spectacle s’articule autour d’un événement qui dicte le reste de la dramaturgie «Notre idée centrale était de démonter une grande construction sur scène. La technique et le nombre de figurants font qu’on peut moins réaliser d’effets avec le feu, car le danger est plus grand».
Mais une fois que le spectacle sera bien rôdé, cela va peut-être changer, promet Paul Weilenmann. «L’histoire a beaucoup de potentiel pour se développer, avec des éléments annexes qui peuvent évoluer…»
Superlatifs
Avec 4,5 millions de francs, «Fabrikk» est la création la plus chère jamais réalisée par la troupe. La scène supporte 60 tonnes de matériel. «Grandir pose une délicate question d’équilibre, note Paul Weilenmann. Si cela va trop vite, cela peut être dangereux. Mais nous pensons être sur la bonne voie.»
La troupe produit ses spectacles elle-même, avec un important sponsor principal, mais quasiment pas un sou des collectivités publiques. «Nous assumons les risques, mais nous en retirons aussi une grande liberté.»
De plus, «demander des subventions avec un budget pareil serait un peu bizarre. Nous les laissons à ceux qui en ont besoin.» La billetterie couvre environ 90% des coûts. La vente exceptionnellement rapide de tous les billets «nous enlève un poids des épaules, se félicite Paul Weilenmann, mais nous met aussi sous pression par rapport aux attentes du public.»
La troupe a été fondée en 1984 par Ernesto Graf, Markus Heller, Brigitt Maag et Paul Weilenmann, entre autres. Les comédiens se sont rencontrés à l’école de mime de Zurich.
La troupe a commencé par des spectacles de crique de rue à Zurich. La narration théâtrale a intégré très tôt leurs créations.
En 1998, la troupe a remporté le Prix Walo pour son programme «Stau» et en 2002, à nouveau, pour «akua». D’autres récompenses ont suivi.
Les spectacles sont remplis d’effets pyrotechniques, d’acrobaties osées, de courses-poursuites dans des engins fantaisistes et pétaradants. La musique est toujours présente, avec des musiciens jouant en direct pendant les représentations.
Les Romands connaissent bien les spectacles hilarants, mais aussi remplis de magie et de poésie visuelle, car le Karl’s kühne Gassenschau les adapte pour la carrière de St-Triphon (Vaud).
Depuis 1984, la troupe a créé 20 spectacles joués plus de 2000 fois devant plus d’un million de personnes au total. Les dernières créations ont été présentées en Suisse romande.
S.T.E.I.N.B.R.U.C.H (1994), r.u.p.t.u.r.e en 1995 à St-Triphon
Grand Paradis (1997)
Stau, Trafic (1998-2001)
Tournée avec le cirque Knie (1999)
akua (2002-2005)
Silo 8 (2006-2010)
FABRIKK (dès 2011)

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