Les Suisses en force à Avignon
Le plus grand festival de théâtre européen, qui se tient en juillet à Avignon, accueille auteurs, acteurs et metteurs en scène helvétiques.
A l’affiche du In et du Off, quatre spectacles romands et alémaniques. Un joli éventail des créations suisses.
On commençait presque à désespérer de leur présence au Festival d’Avignon. On s’était même dit que ça n’arrivait qu’aux autres, ces autres Belges, Allemands, Russes ou Hollandais, invités régulièrement à la plus prisée des manifestations théâtrales européennes de l’été. Et maintenant que la «chose» est advenue, on ne va pas se priver d’en parler.
Eh oui ! Les Suisses sont présents ce mois de juillet à Avignon, et présents en bon nombre. L’affiche du Off annonce donc dans la salle du Théâtre des Halles deux spectacles, donnés en alternance, qui ont eu un grand succès en Suisse romande. Mais pas seulement.
Interprétation en solo
Le premier, créé il y a une douzaine d’années, a été joué plus de 200 fois, en Suisse, en France et au Canada. Il s’agit de «François d’Assise», texte de l’écrivain français Joseph Delteil, mis en scène par Adel Hakim et interprété en solo par l’acteur neuchâtelois Robert Bouvier. Bouvier, capable du meilleur comme du pire. Mais là, quelle bénédiction !
Le comédien est en odeur de sainteté avec son personnage, un être parfaitement à l’aise avec le ciel et ses oiseaux, avec la terre et ses milliers d’insectes.
Et ce même Bouvier, on le retrouve dans le deuxième spectacle du Théâtre des Halles, celui-là intitulé «Eloge de la faiblesse». Il nous était resté un souvenir très heureux de cette création dont nous avions parlé et qui a tourné cet hiver dans toute la Suisse romande.
Là voilà donc à Avignon, et c’est bien mérité pour Alexandre Jollien, auteur de cet «Eloge», fribourgeois de naissance, qui lui aussi tutoie les dieux. Les dieux de l’Olympe, puisque Jollien (incarné par Robert Bouvier) entame ici avec Socrate (Yves Jenny) un dialogue philosophique nimbé d’une irrésistible tendresse enfantine.
Un Soleurois à l’honneur
Irrésistible devrait l’être tout autant le metteur en scène alémanique Stefan Kaegi (33 ans). A ce natif de Soleure, tous les honneurs. Notre jeune homme est programmé, quant à lui, dans le In du Festival d’Avignon avec deux spectacles, annoncés comme drôles et subversifs, qui risquent de faire grincer des dents plus d’un. Car c’est la Suisse en particulier et l’Europe en général qui sont ici visées.
La Suisse, d’abord, à laquelle Stefan Kaegi consacre un spectacle intitulé «Mnemopark», en hommage ironique à une mémoire qui embellit trop les choses.
Pour monter son spectacle, Kaegi a fait appel à des modélistes, des vrais, qui construisent des trains. Il leur a demandé d’imaginer les paysages d’une Suisse d’aujourd’hui, avec l’espoir secret d’échapper aux clichés.
Ce qu’il a obtenu, c’est une Suisse de carte postale, une Suisse en modèle réduit. Les modélistes «ont corrigé la réalité, explique le metteur en scène dans un entretien accordé à l’équipe du festival. Ils ne montrent pas leurs maisons qui sont en ville, mais les chalets dans les Alpes; une sorte d’image idéale souvent liée à leur enfance, une sorte de vision mythologique.»
Une fausse image
«De toute façon, ajoute-t-il, les Suisses vivent dans une fausse image de leur pays, car sans les énormes subventions accordées à l’agriculture – dix milliards de francs par an – il n’y aurait plus d’agriculteurs en Suisse et donc plus de paysages ruraux entretenus. Ces sommes servent à conserver les paysages, pas les produits agricoles».
Voilà qui est rondement dit. Et il ne faut pas s’attendre à ce que Stefan Kaegi soit moins cinglant dans «Cargo-Sofia Avignon», son deuxième spectacle, qui lui est ambulant. Le public est ici embarqué dans un bus qui parcourt les environs d’Avignon.
Le metteur en scène dit avoir voulu mettre le spectateur «dans la situation d’un conducteur de camion qui connaît toute l’Europe mais à travers les autoroutes. Lesquelles se ressemblent de plus en plus».
Le théâtre de Stefan Kaegi se veut politique et social. La démarche du metteur en scène s’apparente aux méthodes allemandes de recherche documentaire. C’est d’ailleurs avec deux artistes allemands qu’il a fondé en 2000 son collectif Rimini Protokoll. Les Romands ne connaissent pas ce Soleurois inventif. Les Français le découvrent.
swissinfo, Ghania Adamo
«François d’Assise» et «Eloge de la faiblesse», en alternance au Théâtre de Halles, Avignon: jusqu’au 29 juillet.
«Mnemopark», Salle Benoît XII, Avignon, du 12 au 14 juillet «Cargo-Sofia Avignon», un voyage en camion bulgare. Du 20 au 25 juillet.
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