Loft terreur

Vendredi soir à Locarno, «My Little Eye» du Britannique Marc Evans était proposé en première mondiale sur la Piazza Grande. Frissons garantis... et huées en retour.
Le ciel locarnais dégagé de tout nuage inquiétant, le 55e Festival international du film de Locarno a pu vivre vendredi sa première soirée en plein air.
Deux films étaient au programme: en deuxième partie de soirée, «Ali G Indahouse», une comédie signée Mark Mylod, satire des milieux politique sur fond de parodie «gangsta rap».
Une comédie? Il faut dire que le public avait besoin de se détendre: car pour ouvrir le bal, c’est «My Litle Eye» de Marc Evans qui était projeté sur l’écran géant. Et personne n’y est resté indifférent.
Internet is watching you!
Imaginez cinq jeunes gens (deux filles, trois garçons) qui acceptent de se laisser enfermer pendant six mois dans une vaste demeure, coupée de tout. Leurs faits et gestes sont filmés 24 heures sur 24 par une tripatouillée de caméras. Si la joyeuse équipe tient le coup jusqu’au bout, et au complet, chacun empochera un million.
Cela vous rappelle vraisemblablement quelque chose. Ce n’est pas tout à fait «Big Brother», ce n’est pas tout à fait «Loft Story» ni «L’île de la Tentation», mais vous l’aurez compris, on est dans le registre de la télé dite ‘réalité’, sauf qu’en l’occurrence, c’est pour un site web que nos cinq héros se sont laissé enfermer.
A priori normaux et plutôt moins crétins que ceux dont les chaînes françaises nous abreuvent, ils vont se laisser entraîner, et nous avec, dans une spirale de tension et d’angoisse qu’on peut d’abord croire auto-suggérée.
Le suicide – ou l’assassinat? – de l’un d’entre eux va sévèrement ‘booster’ l’affaire. Laquelle va se conclure dans un déferlement de panique et d’horreur. Un crescendo à la «Shining», en un peu plus gore toutefois.
Very bad Big Brother
«Nous avons fondamentalement essayé de faire un film de genre en nous privant de tous ses codes et moyens habituels. Pas de plans subjectifs, pas de poursuites, pas d’effets spéciaux. L’horreur au sens strict!» commente le réalisateur.
Ce n’est qu’à moitié vrai. Pas de loup-garou, pas de pleine lune, d’accord, mais certaines ficelles du film d’angoisse sont bien au rendez-vous: lumière verdâtre, bruits d’ambiance suramplifiés, musique à faire frissonner un bourreau.
Le talent de Marc Evans a surtout été de récupérer un phénomène qui recèle en lui-même la potentialité de l’horreur. Car derrière l’œil numérique des caméras se cache nécessairement un autre œil, vivant celui-là, et anonyme, dont les motivations ne sont pas nécessairement avouables.
La mode de la «télé-réalité» joue du voyeurisme? C’est justement ce voyeurisme et la naïveté de ceux qui s’y soumettent que «My Little Eye» met en scène, de façon énorme, outrée, abominable. Et pas totalement absurde pour autant.
Comble de l’habileté: le réalisateur employant les webcams de l’intrigue pour réaliser son film, il place de facto le spectateur dans la peau du voyeur pervers. Et en l’occurrence, ce n’est guère gratifiant.
«My Little Eye» n’est pas juste un film d’horreur de plus. Derrière les excès racoleurs, il recèle manifestement un propos. Mais en cette douce soirée d’août, ce n’est pas le type de spectacle que le public de Locarno avait envie de voir. Sifflets et huées en ont témoigné comme rarement.
swissinfo/Bernard Léchot à Locarno

En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.