L’imperturbable Viola Amherd aux plus hautes fonctions suisses
Première femme à la tête du ministère de l’armée en Suisse, Viola Amherd endosse la présidence de la Confédération pour l’année à venir. Peu encline à la vanité, elle a déjà su maîtriser une hiérarchie très masculine au sein de son dicastère.
Lorsque Viola Amherd a fait son entrée au gouvernement en 2019, elle a dû se contenter, en tant que dernière arrivée, du ministère de la Défense. Pas de quoi la perturber pour autant.
«Je vais le faire puisque c’est comme ça», racontait-elle en 2020, dans un portrait réalisé par la télévision alémanique SRF.
Elle aurait pu partir, elle est restée
Au sein du Conseil fédéral (gouvernement), le département de la Défense, de la Protection de la population et des Sports (DDPS) est réputé être l’un des plus difficiles à gérer.
Fonctionnant en pilotage automatique, celui-ci pourrait presque se passer de capitaine, la personne à sa tête n’ayant qu’un rôle d’exécution.
Mais dès lors qu’une femme en a pris la gouvernance, qui plus est avec des questionnements critiques, les responsables de l’armée ont dû s’y plier.
Misant sur la rotation régulière des ministères en Suisse, beaucoup ont d’abord pensé que la nouvelle venue ne s’éterniserait pas à ce poste et que son transfert dans un autre département était programmé. Elle y est toujours.
Comment l’armée fonctionne-t-elle? Pour le sénateur UDC (droite conservatrice) Pirmin Schwander, député à la Chambre haute du Parlement (Conseil des Etats) et colonel à l’état-major, «de bas en haut de la hiérarchie, tout est filtré pour abreuver l’échelon supérieur de bonnes nouvelles».
Ce qui rendrait, selon lui, le pilotage impossible par manque d’informations crédibles.
Reprise en main d’un bastion masculin
Dénuée de toute expérience militaire mais attentive aux évolutions en cours, Viola Amherd a réussi le tour de force de reprendre en main ce bastion très masculin.
Pour Priska Seiler Graf, députée socialiste au Conseil national (chambre basse) et superviseuse elle aussi, Viola Amherd est une dirigeante née. «Elle a déjà marqué ce département de son empreinte, ce qui n’était pas facile», estime-t-elle.
Mais qui est Viola Amherd?
Pour en savoir plus, il faut peut-être revenir sur une scène qui a eu lieu en février 2020, dans une salle de gymnastique de la petite localité de Mitholz, dans l’Oberland bernois. Là où des munitions avaient été entreposées par l’armée, dont 3500 tonnes menacent toujours la population.
Alors qu’au-dehors l’air était glacial, la ministre a annoncé ce soir-là à la population que 170 personnes allaient devoir quitter leur maison, sur ordre de l’Etat, pour une longue durée. Des larmes ont coulé.
Notre reportage à Mitholz en 2020:
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Une menace silencieuse
Viola Amherd avait pris sur elle de porter ce message devant une salle plutôt remontée. Mais une fois la partie officielle achevée, la conseillère fédérale aurait pu s’engouffrer dans la limousine de service qui l’attendait. Or elle s’est attardée sur place pour tenir la barre.
Un roc empathique.
Née en 1962 dans une famille pratiquante de Brigue, dans le Haut-Valais catholique, Viola Amherd a été élevée par un père qui dirigeait un magasin d’électronique florissant et une mère qui lui a appris les rudiments de l’indépendance.
«Quand on est une femme, on doit se battre seule»
Leur mariage a pâti de l’essor du magasin, qui s’était développé dans les autres vallées et employait une centaine de personnes. Les parents de Viola Amherd ont divorcé alors qu’elle terminait ses études au collège latin Spiritus Sanctus à Brigue.
A l’époque, le divorce n’était pas en odeur de sainteté en Valais. Sa mère lui a dès lors toujours conseillé de rester la plus autonome possible. «Quand on est une femme, on doit se battre seule», avait-elle pour habitude de lui dire.
Dans la vision du monde de la Valaisanne, les Alpes, où elle a grandi, sont aussi très importantes. «Nous les montagnard-es, nous avons la montagne en tête», répète-t-elle.
En vidéo: la population de Brigue célèbre sa conseillère fédérale nouvellement élue:
C’est au cours de son adolescence passée à Brigue que la future présidente de la Confédération a fait la connaissance de Brigitte Hauser-Süess, qui enseignait alors la sténographie et la dactylographie au gymnase de la ville. De huit ans son aînée et installée par mariage en Valais, elle est devenue une sorte de mentor.
Viola Amherd a consacré son travail de maturité à l’anarchie, avant d’aller étudier le droit à Fribourg. De son côté, Brigitte Hauser-Süess s’est lancée dans la politique à Berne, en se mettant en particulier au service de la cause féminine.
Entrée en politique
Elle a notamment manœuvré pour que Ruth Metzler, issue elle aussi des rangs du Parti démocrate-chrétien (PDC) – aujourd’hui Le Centre – puisse être élue première conseillère fédérale PDC en 1999.
Brigitte Hauser-Süess a pris Viola Amherd sous son aile dès 1992, alors qu’elle n’était encore qu’une jeune juriste de 29 ans. Elle voulait l’aider à faire ses premiers pas dans la vie politique locale et l’a poussée à se porter candidate à l’exécutif de Brigue. «Tu ne peux pas te plaindre du manque d’opportunités pour les femmes tout en refusant celles qui se présentent à toi», lui a-t-elle conseillé.
Elue dans la foulée au municipal, Viola Amherd a continué à exercer en parallèle son métier d’avocate et de notaire, partageant le même logis que sa sœur, de 14 ans son aînée et maman d’une fille. Elle assumait de se présenter alors comme une femme célibataire. «C’est bien ainsi. Comme ça, je suis libre», a-t-elle expliqué un jour au quotidien alémanique Blick.
En 1993, une inondation a dévasté le centre-ville de Brigue, donnant l’occasion à Viola Amherd de se révéler en gestionnaire de crise.
Un duo de femmes combatives
A Berne, Brigitte Hauser-Süess se battait pour sa part pour le droit à l’avortement. Dans un canton au fort enracinement catholique, son message passait mal. Ses adversaires la qualifiaient de «tueuse de bébés». Elle a déposé plainte pour atteinte à l’honneur avec Viola Amherd pour avocate. Toutes deux sont allées jusqu’au Tribunal fédéral plaider leur cause et ont gagné.
Petit à petit, Viola Amherd s’est ainsi fait un nom en Valais, devenant présidente de Brigue avant d’être élue au Parlement fédéral en 2005.
A peine arrivée à Berne, elle a demandé que la Suisse inscrive la protection des enfants et des jeunes dans sa Constitution. Ce thème a fait l’objet d’autres interventions de sa part, pour les protéger contre le harcèlement sur les réseaux sociaux et le sexting, contre la prostitution ou pour encadrer leur usage des médias.
En tant qu’avocate spécialisée dans les divorces, elle s’est nourrie de sa propre histoire pour mieux représenter les femmes confrontées à des séparations. Députée sous la Coupole fédérale, elle a aussi demandé en 2009 davantage de places d’accueil pour les personnes atteintes de démence. Là encore, ce sujet ne lui était pas inconnu puisqu’elle a dû, avec sa sœur, s’occuper de sa mère qui en était atteinte.
Viola Amherd s’est aussi beaucoup engagée pour les régions de montagne, portant une attention toute particulière au Valais. Pour le conseiller national grison Martin Candinas, qui a siégé à côté d’elle au Parlement fédéral en tant que collègue de parti, «Viola Amherd a toujours une vue d’ensemble et l’instinct du possible».
En 2018, elle a été élue au Conseil fédéral, une victoire qu’elle doit encore en partie à Brigitte Hauser-Süess, devenue entretemps présidente des Femmes centristes de Suisse et grande connaisseuse des mécaniques du pouvoir à Berne.
Après avoir défendu les droits des femmes en Valais et permis à Ruth Metzler d’accéder au gouvernement, Brigitte Hauser-Süess a secondé deux autres ministres femmes, Eveline Widmer Schlumpf et Doris Leuthard. C’est par son entregent que Viola Amherd a pu entrer elle aussi au gouvernement.
Mais ce travail n’a pas toujours été facile.
«Quand Viola Amherd était conseillère nationale, lorsqu’elle parlait par exemple de camions, il n’était pas rare que les journaux illustrent le sujet par des camions. Idem lorsqu’elle évoquait le thème des téléphériques. Alors que les hommes, eux, avaient droit à leur portrait», a relevé un jour Brigitte Hauser-Süess devant un parterre de femmes à Coire, dans les Grisons, au lendemain de l’élection de Viola Amherd à la fonction suprême.
Depuis, l’engagement de Viola Amherd auprès des femmes ne s’est pas démenti. Pour son premier vol à bord d’un hélicoptère de l’armée, à l’occasion de son premier déplacement au Forum économique de Davos (WEF), la ministre a choisi d’être accompagnée par quatre femmes.
Elle entend d’ailleurs augmenter leur nombre dans l’armée et, en tant que ministre des Sports, elle se bat pour que davantage de femmes occupent des postes de direction dans les fédérations sportives.
«Jusqu’à ce que l’égalité soit atteinte»
Interrogée dans l’émission «Rundschau» de la SRF, elle a également assuré qu’à qualifications égales, elle donnerait toujours la préférence à une femme pour les postes à repourvoir, «jusqu’à ce que l’égalité soit atteinte». Sans surprise, Brigitte Hauser-Süess est devenue sa conseillère.
Curieuse et rigoureuse dans son travail, Viola Amherd a gagné le respect des cadres de l’armée. C’est aussi le cas sous la Coupole fédérale, où son pragmatisme et sa connaissance des dossiers plaisent aux parlementaires.
La Valaisanne a fait en sorte que les valeurs qu’elle défend soient présentes dans son département. De la protection de la famille à celle de la population, il n’y a qu’un pas.
Populaire et pas déconnectée
En 2020, elle est parvenue à convaincre une majorité de citoyennes et citoyens d’accepter un nouvel avion de combat, pour une enveloppe de 6 milliards de francs, alors qu’une guerre en Europe semblait encore peu envisageable. Populaire, Viola Amherd n’apparaît ni vaniteuse ni déconnectée des réalités. Elle est authentique et sa franchise comble sa pseudo absence de charisme.
Cela n’a toutefois pas empêché son département de devoir affronter des vents contraires, notamment lorsqu’il a fallu choisir un nouvel avion de combat. La Suisse a finalement opté pour les F-35 du constructeur américain Lockheed Martin.
Journaliste à la Neue Zürcher Zeitung et expert militaire, Georg Häsler a salué le fait qu’elle avait obtenu un bon prix, «mais il est toujours difficile pour moi de comprendre pourquoi elle a tout de même continué de négocier aussi longtemps avec le fournisseur français», nuance-t-il. L’affaire des avions de combat a dégradé les relations entre Berne et Paris, qui espérait vendre ses Rafale à la Suisse.
Puis la Russie a attaqué l’Ukraine. «Viola Amherd a alors compris que la Suisse devait coopérer au niveau international», précise Georg Häsler.
Parvenant à convaincre la population suisse de l’importance de la sécurité, la cheffe du DDPS a réussi à faire passer une enveloppe de 32 milliards pour l’armée, un budget record.
Mais elle s’est aussi exposée, en créant un secrétariat d’Etat pour les questions de politique de sécurité qui a eu pour effet, selon Georg Häsler, que «les ennemis de l’OTAN et les amis de la Russie en Suisse lui en ont tenu rigueur».
En tant que présidente de la Confédération, fonction dont les pouvoirs sont limités en Suisse, la Valaisanne veut utiliser l’année qui lui est impartie pour consolider l’intégration de la Suisse dans le concert des nations.
La reprise des négociations avec l’Union européenne est également à l’ordre du jour.
Une année d’adieux
Brigitte Hauser-Süess restera à ses côtés, du moins jusqu’à cet automne. Sa conseillère personnelle aura alors 70 ans, ce qui l’obligera selon les règlements à quitter la Confédération.
De quoi faire de cette année de présidence aussi une année d’adieux pour Viola Amherd.
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